Film de Ridley Scott
Pays : Etats-Unis
Année de sortie : 1987
Titre original : Someone to Watch Over Me
Scénario : Howard Franklin
Photographie : Steven B. Poster
Montage : Claire Simpson
Musique : Michael Kamen
Avec : Tom Berenger, Mimi Rogers, Lorraine Bracco
Won’t you tell him please to put on some speed
Follow my lead, oh, how I need
Someone to watch over me
George (musique) et Ira (texte) Gershwin, Someone To Watch Over Me
Si Traquée n’est pas à ranger du côté de chefs d’œuvre de son réalisateur (ni des polars incontournables de la décennie 80), il échappe également à la liste de ses ratages, en parvenant à rendre compte d’un dilemme amoureux crédible et nuancé.
Synopsis du film
L’inspecteur Keegan (Tom Berenger) est en charge de la protection de Claire Gregory (Mimi Rogers), qui a été témoin d’un meurtre commis par Joey Venza (Andreas Katsulas). Cette mission s’avère délicate à gérer pour Keegan, y compris sur le plan intime, dans la mesure où elle ébranle sa vie de couple auprès de son épouse Ellie (Lorraine Bracco). Peu à peu, l’inspecteur perd pied, tandis que le menaçant Joey Venza rôde toujours dans les parages…
Critique de Traquée
Si on le compare aux premiers films de son réalisateur, Traquée – encore un titre français inepte ; la traduction littérale du titre original, Quelqu’un pour veiller sur moi (référence à une superbe chanson de George et Ira Gershwin), aurait bien mieux convenu – se présente comme un projet de facture plus modeste. En effet, Ridley Scott a commencé sa carrière (inégale) par un très beau film d’époque (Les Duellistes) puis deux chefs d’œuvre consécutifs du cinéma d’horreur (Alien) et de science-fiction (Blade Runner), qui ont conquis aussi bien la critique que le public. Il a ensuite signé le charmant mais bancal Legend, ambitieux film de fantasy avec Tom Cruise (24 500 000 dollars de budget, soit plus du double de celui d’Alien) qui s’est soldé par un échec cinglant au box office. Échec qui explique sans doute en partie le choix d’un projet de film tel que Traquée, moins coûteux et, a priori, moins risqué que Legend.
Traquée ne rencontrera pour autant pas davantage de succès que ce dernier, et il n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi. D’abord, il s’agit d’un film indéniablement plus mineur que ceux qui ont assis la réputation de Scott ; ensuite, il navigue dans un entre-deux dont le grand public est en général peu friand. Sur le papier, on pourrait imaginer un thriller haletant, voire spectaculaire, quand le film de Scott s’approche en réalité davantage d’un drame intimiste. C’est d’ailleurs, précisément, dans ce parti pris que se trouve l’essentiel de la valeur de Someone to Watch Over Me.
En effet, l’intrigue policière n’a en soi pas beaucoup d’intérêt, au même titre que le personnage de bad guy campé par Andreas Katsulas, dont le comportement est d’ailleurs peu crédible. Si le film s’était concentré uniquement sur ces aspects, il serait sans doute tout juste regardable, malgré la réalisation sophistiquée de Ridley Scott. Mais voilà, le scénario d’Howard Franklin, plutôt avare de scènes d’action, laisse une large place au trio amoureux composé de l’inspecteur Mike Keegan (Tom Berenger), de son épouse Ellie (Lorraine Bracco) et de Claire Gregory (Mimi Rogers), la jeune femme « de la haute » que Keegan est chargée de protéger, et avec laquelle il va nouer peu à peu une relation adultère. Et cela fonctionne, parce que chacun de ces personnages est intelligemment caractérisé, y compris l’épouse de Keegan qui possède un vrai caractère, un beau tempérament, quand les femmes de flics au cinéma sont parfois de simples faire-valoir. Claire, qui apparaît au début du film comme une caricature de femme mondaine et superficielle, gagne de son côté peu à peu en consistance tandis que Keegan, servi par la présence et le charisme naturel de Berenger, révèle au fil de l’histoire une vulnérabilité assez touchante.
Le récit comporte une dimension sociale loin d’être inintéressante ; Mike et Ellie font partie de la classe moyenne et habitent dans le Queens, tandis que Claire évolue dans des sphères économiquement privilégiées, dont le film égratigne d’ailleurs les codes surfaits. On n’est cependant pas dans la caricature : Mike a beau juger ce monde superficiel (voir la scène de la soirée mondaine dans laquelle il se rend avec Claire), il est attiré, secrètement, par la distinction de sa protégée (c’est perceptible notamment quand il se met soudain à reprocher à sa femme son langage ponctué de « fuck! »). Cette tension sociale apporte un relief supplémentaire au dilemme de Mike et, du même coup, au film dans son ensemble.
Servi par un final qui donne, à raison, toute sa place au personnage d’Ellie, Traquée est peut-être un « petit » film si on le met en perspective avec les trois premiers longs de son auteur, mais il reste meilleur qu’une bonne partie de ceux qu’il a livrés depuis et plus globalement, s’affirme comme un alliage plutôt réussi de polar et de drame intimiste (même si le second registre est nettement mieux traité que le premier). À voir, ou à redécouvrir, également pour le talent de ses comédiens.
Traquée compense une intrigue policière maladroite par une dimension intime et sociale intéressante, ainsi que par des personnages (féminins notamment) habilement caractérisés.
Aucun commentaire