Film de Paul Thomas Anderson
Année de sortie : 2008
Pays : États-Unis
Scénario : Paul Thomas Anderson, d’après le roman Oil! de Upton Sinclair
Photographie : Robert Elswit
Montage : Dylan Tichenor
Musique : Jonny Greenwood
Avec : Daniel Day-Lewis, Paul Dano, Dillon Freasier, Kevin J. O’Connor, Ciarán Hinds, Sydney McCallister, Russell Harvard
Daniel Plainview: I have a competition in me. I want no one else to succeed. I hate most people.
Avec There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson filme magistralement le rêve américain à la dérive. Il en ressort l’un des films les plus importants de ces dix dernières années, servi par une interprétation de haute volée et la musique habitée de Jonny Greenwood.
Synopsis de There Will Be Blood
A l’aube du 20ème siècle, Daniel Plainview (Daniel Day Lewis) découvre un gisement de pétrole dans sa mine d’argent.
Quelques années plus tard, Plainview est devenu un riche prospecteur, disposant de beaucoup d’hommes et d’un équipement de pointe. Un soir, le jeune Paul Sunday (Paul Dano) lui parle du ranch que possède sa famille à Little Boston, en Californie. Selon lui, une quantité considérable de pétrole se trouverait dans la terre.
Plainview et son fils H.W. (Dillon Freasier) se rendent près du ranch en question, en se faisant passer pour des chasseurs de cailles. Ils rencontrent alors le frère de Paul, Eli Sunday.
Très vite, les informations fournies par Paul semblent se confirmer…
Critique du film
L’ouverture
La première séquence du film, entièrement dépourvue de dialogues, montre Daniel Plainview et ses hommes tenter d’extraire de l’argent dans un puits d’où finira par jaillir, contre toute attente, ce pétrole qui fera la fortune – entre autres – du protagoniste. On peut songer alors à l’ouverture – tout aussi silencieuse – de The Molly Maguires, dans laquelle Martin Ritt filmait le travail dans les mines de charbon du 19ème siècle avec une lenteur, une solennité et un souci du détail comparables.
Le résultat impressionne encore plus ici. La caméra de Paul Thomas Anderson, au cours d’un travelling avant significatif, plonge littéralement dans le puits, mouvement qui (habilement) illustre la quête des hommes et annonce son issue vertigineuse.

La main de Daniel Plainview (Daniel Day Lewis), noircie par le pétrole.
D’emblée, il émane de cette scène un mélange de beauté (celle des paysages et de la photographie de Robert Elswit, chef opérateur fétiche d’Anderson), d’authenticité (chaque détail sonne juste, le rythme est soigneusement calculé) et de tension (la souffrance physique et la mort sont déjà présentes) que l’on retrouvera tout le long d’un film qui du premier au dernier plan témoigne d’une rigueur, d’une intelligence et d’une intensité telles qu’on comprend aisément les nombreux superlatifs employés unanimement par les critiques et les spectateurs à l’égard de ce classique instantané du cinéma américain.
De Oil! à There Will Be Blood
There Will Be Blood est basé sur un roman d’Upton Sinclair écrit en 1927, dans le contexte du scandale du Teapot Dome (dans les grandes lignes, une affaire portant sur des relations douteuses entre le gouvernement américain et des compagnies pétrolières privées ; lire Teapot Dome Scandal sur Wikipedia).

Daniel Day Lewis et Kevin J. O’Connor
Paul Thomas Anderson a accompli un important travail de ré-écriture : le scénario ne reprend qu’une partie du roman, intègre de nombreux événements inédits, n’adopte pas le même point de vue et se concentre sur un personnage principal différent, majoritairement écrit par Anderson puisque ne correspondant pas exactement à son homologue dans le livre. On est donc assez loin d’une adaptation fidèle, et le résultat est plus que concluant : l’écriture est rigoureuse, subtile, et porteuse d’un regard éclairé sur des hommes, un pays, une époque.
Du rêve au cauchemar américain
Le parcours de Daniel Plainview, entrepreneur richissime et misanthrope, est à mettre en perspective avec plusieurs éléments inhérents à l’histoire et à la culture américaines. La quête et l’exploitation de « l’or noir », mais pas uniquement.

Eli (Paul Dano)
Le récit met (tragiquement) en scène la figure du self-made man, de l’entrepreneur américain indépendant, parti de rien, dont Daniel Plainview constitue une sorte de dérive cauchemardesque – son individualisme et son goût acharné de la compétition (I want no one else to succeed
) l’amenant à renier tout sentiment et tout intérêt pour les autres (I hate most people
). Sans jamais être réduit à un stéréotype, une caricature, mais au contraire en montrant une réelle épaisseur, le personnage cristallise un idéal – le fameux « rêve » – américain poussé dans ses extrêmes les plus destructeurs. C’est en partie ce qui fait son intérêt : son parcours, sa personnalité reflètent à leur manière une société et son histoire ; ses valeurs, même, mais dont il illustre les effets pervers, tordus. Même si le constat reste nuancé : sa mine de pétrole permet à une région d’abord très pauvre en cultures et en équipements de se développer, et dans plusieurs séquences on ressent chez le personnage une humanité et des sentiments qu’il s’obstine à refouler.

Daniel Day Lewis
There Will Be Blood nous parle également de religion (domaine qui a encore aujourd’hui un poids et une influence beaucoup plus importants aux États-Unis qu’en France, par exemple) ; cette religion que prône le personnage d’Eli Sunday à travers son Église de la Troisième Révélation. Charismatique, intelligent mais aussi ambigu et intéressé, c’est un homme pétri de paradoxes qui reflète les rapports tortueux entre la foi et le pouvoir. La confrontation entre les deux personnages clés (Plainview et Sunday), aussi complexes l’un que l’autre, est très habilement orchestrée par Paul Thomas Anderson et servie par les interprétations hors du commun de Daniel Day Lewis (toujours aussi sidérant) et du jeune Paul Dano. Ils diffèrent en bien des choses et pourtant se rejoignent dans l’ambition, la mégalomanie et le goût du pouvoir ; ils s’opposent et se complètent : l’un finance les églises dans lequel prêche l’autre. Nul, au fond, ne forme un exemple ou un repère moral quelconque : chacun à leur manière, ils incarnent les extrêmes, les impasses d’un idéal et d’un système.

Eli (Paul Dano) et Daniel Plainview (Daniel Day Lewis)
Un final allégorique
La séquence finale, qui réunit Plainview et Eli Sunday dans l’ombre de la crise financière de 1929, frôle l’allégorie – ces personnages ayant, au delà de leur psychologie et personnalité propres, une dimension iconique.
Elle se déroule sur un terrain de bowling (qu’un plan prémonitoire, quelques instants plus tôt, nous avait déjà révélé), construit dans la demeure luxuriante de Plainview. Quand on songe que ce sport consiste à dégommer des quilles, on peut soupçonner ici une métaphore de la quête de la réussite sociale et du pouvoir telle que le film la dépeint.
Quant au titre There Will Be Blood, son constat fataliste produit des résonances intemporelles ; comme le concerto pour violon de Brahms que le film utilise si bien.
There Will Be Blood illustre la face cauchemardesque que peut révéler le rêve américain à travers un récit admirablement bien construit, et la prestation hallucinante d'un acteur hors norme.
4 commentaires
Bonjour,
J’ai découvert ce blog récemment et je profite de ce billet, concis et pertinent, sur un chef d’œuvre d’Anderson qui m’a bouleversé, pour témoigner le plaisir que j’ai de lire les/tes/vos riches critiques – et en particulier, parmi les plus récentes : L’Ombre d’un doute, Un après-midi de chien, Shame et La Mort aux trousses.
Pour terminer, j’ai trouvé Paul Dano, alias Paul Sunday (étrange conservation du prénom qui se retrouve chez Daniel Day-Lewis, un de mes acteurs britanniques favoris), infiniment plus convainquant ici que dans son rôle de teenager dans Little Miss Sunshine, donc le plébiscite en 2006 m’a laissé de marbre.
Bonne continuation !
Renaud
Merci !
Je ne me souvenais pas que Paul Dano avait joué dans « Little Miss Sunshine », film qui ne m’a pas marqué non plus ! C’est un peu comme « Juno », c’est sympa mais de là à faire tout ce bruit autour… Enfin c’est mon avis.
c’est vrai que Dano est très bon dans « There Will Be Blood ». Pas facile en plus de sortir son épingle du jeu quand on donne la réplique à un acteur comme Daniel Day Lewis. Apparemment il a joué aussi dans « La Dernière piste », un western qui me tentait bien mais que je n’ai pas encore vu.
Bonsoir, je suis sortie de ce film enthousiaste et bouleversée. C’est un des meilleurs films américains de 5 dernières années avec un DDL magistral qui avait bien mérité son Oscar. Paul Thomas Anderson nous donne à voir une leçon de mise en scène (voir mon billet du 01/03/2008 http://dasola.canalblog.com/archives/2008/03/01/8133809.html. Bonne soirée.
Oui Renaud, je viendrai visiter ce blog régulièrement.