Film de Brett et Drew Pierce
Année de sortie : 2020
Pays : États-Unis
Scénario : Brett et Drew Pierce
Photographie : Conor Murphy
Montage : Terry Yates
Musique : Devin Burrows
Avec : John-Paul Howard, Piper Curda, Zarah Mahler, Kevin Bigley, Gabriela Quezada Bloomgarden, Richard Ellis, Blane Crockarell, Jamison Jones, Azie Tesfai
Dillon: Mummy has been weird.
Dialogues entre Dillon (Blane Crockarell) et son père Ty (Kevin Bigley) dans The Wretched
Ty: You should have seen her at Burning Man.
Succès surprise au box office américain, The Wretched est déjà un classique des drive-in, revenus à la mode en ces temps de pandémie. Mérite-t-il cette reconnaissance ?
Synopsis du film
Les Shaw sont en train de se séparer. Dans ce contexte familial forcément délicat, le père, Liam (Jamison Jones), et le fils, Ben (John-Paul Howard), partent ensemble passer quelques jours dans une petite ville du Michigan. Tous deux travaillent dans le port de plaisance local. Ben y fait rapidement la connaissance de Mallory (Piper Curda), une jeune fille de son âge.
Les vacances se passeraient plutôt bien si Ben n’avait pas le sentiment qu’il se passe quelque chose d’étrange chez ses voisins, Abbie (Zarah Mahler) et Ty (Kevin Bigley)…
Critique de The Wretched
The Wretched est un film américain indépendant d’épouvante comme il en sort beaucoup chaque année, qui ne semblait pas particulièrement promis (toute considération artistique mise à part) à un succès public spectaculaire. Or la pandémie de coronavirus est passée par là, augmentant, outre Atlantique, la fréquentation des drive-in (ces derniers permettant de profiter d’une séance de cinéma dans un environnement covid-friendly), et repoussant sans doute la sortie de quelques poids lourds hollywoodiens ; dans ce contexte particulier, The Wretched, sorti à l’été 2020, est devenu le premier film depuis Avatar à occuper le haut du box-office pendant six semaines consécutives.
Il faut dire d’une part que le cinéma d’épouvante se prête bien à l’ambiance des drive-in, d’autre part que le film des frères Pierce (Brett et Drew) possède des ingrédients familiers, à même de séduire le grand public et en particulier, un public adolescent. Par ailleurs son sujet même, qui (nous y reviendrons) est intimement lié à la famille, a peut-être particulièrement parlé aux gens dans un contexte où chacun s’inquiète, plus ou moins, pour ses proches – mais c’est là une explication beaucoup plus hypothétique et bancale.

The Wretched convoque plusieurs références cinématographiques et littéraires que ses auteurs, en amateurs assumés du genre horrifique, ont volontiers citées lors de leurs interviews. On pense à Steven Spielberg, à Stephen King, à Tom Holland (pour son classique Vampires, vous avez dit vampires ?), tandis que le plâtre porté (au bras) par le jeune héros, combiné à la paire de jumelles qu’il braque fréquemment sur la maison de ses voisins, évoque celui porté (à la jambe) par James Stewart dans Fenêtre sur cour ; sur ce point précis, la référence la plus directe qui vient à l’esprit est d’ailleurs Disturbia, thriller divertissant (également un grand succès auprès des ados) qui lui aussi renvoyait au film d’Hitchcock précité.

Mais venons à l’histoire ; elle propose une variation sur une figure récurrente dans le cinéma de genre, à savoir la sorcière. Les frères Pierce se sont livrés à quelques recherches en amont, afin de singulariser et d’enrichir leur approche. Ils se sont notamment inspirés de Black Annis, une créature imaginaire issue du folklore britannique qui hanterait la campagne de Leicestershire, en quête d’enfants à dévorer… Nous sommes donc ici face à une représentation ouvertement fantastique, et assez binaire, de la sorcière, en ce sens qu’elle est en l’occurrence une créature purement maléfique et surnaturelle (le traitement est bien distinct de celui, par exemple, de The Witch, de Robert Eggers).
Représentation binaire donc, mais à laquelle les frères Pierce parviennent à donner une dimension et une signification particulières, en l’intégrant à un récit qui possède un sous-texte ou du moins, qui autorise deux niveaux de lecture. Dans The Wretched, l’action principale de la créature consiste à détruire le noyau familial ; or les parents du héros sont séparés depuis peu quand l’histoire commence. Il semble donc assez évident que le « mal » représenté dans le film est la métaphore d’une angoisse intime liée à la famille et plus particulièrement à sa décomposition.
De ce point de vue, le récit présente un aspect initiatique (à nouveau, comme dans Disturbia, qui lui aussi met en scène un adolescent confronté à une perte de repères familiaux) : The Wretched filme en effet l’évolution d’un jeune homme qui, à travers une expérience extraordinaire, apprend à mieux gérer sa propre situation personnelle et familiale.

On retrouve, dans un autre récent film « de sorcière » qui n’a malheureusement pas rencontré le même succès, cette dimension intime et familiale : il s’agit de The Witch in the Window, dont le récit s’articule également autour d’un père et de son fils, et qui lui aussi utilise l’image de la sorcière pour parler avant tout d’une initiation au désordre du monde. (Les frères Pierce l’ont-ils vu ? C’est possible.) Toutefois The Witch in the Window développe une approche un peu plus adulte, tandis que The Wretched reste relativement conventionnel, intégrant des idées intéressantes à une narration certes efficace et maîtrisée, mais qui semble chercher à séduire davantage qu’à interroger et à intriguer.
Certaines ficelles du film d’horreur commercial sont en effet bien là, même si les réalisateurs les manient avec habileté ; on citera par exemple l’ouverture spectaculaire mais assez gratuite, dont la fonction principale semble être de s’assurer la patience du public par rapport à la mise en place, plutôt soignée, qui lui succède, ou encore un final qui n’évite pas quelques clichés et raccourcis.

Ceci étant dit, The Wretched est loin de cumuler les poncifs. Les frères Pierce n’ont par exemple jamais recours aux jump scare épuisants qui ponctuent de nombreuses productions horrifiques récentes, préférant soigner l’atmosphère et la caractérisation des personnages. Celle-ci est dans l’ensemble réussie, notamment en ce qui concerne les personnages féminins : Mallory (la petite amie de Ben, jouée par Piper Curda) est drôle et énergique, plus consistante que la poupée barbie américaine que l’on voit parfois dans ce type de films, tandis qu’Abbie (Zarah Mahler), la voisine des Shaw, est à la fois sensuelle et « virile », mère aimante et femme libre au caractère bien trempé (il faut la voir vider un cerf mort en buvant une bière). Son sympathique mari (Kevin Bigley) est d’ailleurs clairement moins audacieux et plus impressionnable qu’elle.

Cette écriture plutôt maline apporte un vrai plus au film, en particulier au cours d’une première heure d’autant plus plaisante que le cadre géographique du récit est lumineux et estival (et oui, il n’est pas obligatoire de tourner dans un endroit sombre et glauque quand on aborde le genre horrifique). Le dénouement, sans être raté, achève toutefois de donner cette impression que The Wretched est un film qui ne quitte jamais tout à fait des sentiers assez étroitement balisés. Mais la promenade reste agréable, et apporte tout de même son lot de bonnes surprises.
Bande-annonce
Sortie DVD et Blu-ray
The Wretched sortira en DVD et Blu-ray en France le 2 décembre 2020 prochain.
The Wretched utilise la figure d’une créature folklorique pour évoquer avant tout les craintes intimes liées à l'éclatement de la cellule familiale. Le résultat est soigné et souvent efficace, bien qu'un peu trop conventionnel.
Aucun commentaire