Film de Leslie Megahey
Année de sortie : 1993
Autres titres : L’Heure du cochon (France) ; The Advocate (USA)
Scénario : Leslie Megahey
Photographie : John Hooper
Montage : Isabelle Dedieu
Musique : Alexandre Desplat
Avec : Colin Firth, Ian Holm, Donald Pleasence, Amina Annabi, Nicol Williamson, Michael Gough, Sophie Dix, Jim Carter, Sami Bouajila
The Hour of the Pig illustre les rapports troubles entre religion, superstitions, justice et pouvoir politique au Moyen Âge, en France. L’un des premiers rôles importants de Colin Firth.
Synopsis du film
Au 15ème siècle, en France. L’avocat Richard Courtois (Colin Firth) décide de quitter Paris en compagnie de son clerc Mathieu (Jim Carter) pour exercer à Abbeville, un village picard.
Rapidement, on lui propose de défendre… un cochon, accusé du meurtre d’un enfant. D’abord réticent, l’avocat se laisse convaincre par les propriétaires de la bête, Mahmoud (Sami Bouajila) et (surtout) sa sœur Samira (Amina Annabi), des émigrés venus d’Égypte.
Peu à peu, Courtois soupçonne que le cochon pourrait bien être un bouc… émissaire.
Critique de The Hour of the Pig
Voilà un drôle de film, plutôt oublié, en tout cas rarement évoqué et d’ailleurs la dernière fois qu’il l’a été, ce n’était pas pour des raisons liées à son contenu : l’actrice britannique Sophie Dix, qui fait partie du casting, est en effet l’une des premières femmes à avoir témoigné contre Harvey Weinstein, dont elle a subi, à l’époque de la sortie de The Advocate/The Hour of the Pig aux USA, les agissements brutaux et pervers (qui lui ont valu d’être condamné, en mars 2020, à 23 ans de prison). C’est d’ailleurs parce qu’elle s’est refusée à l’ex-magnat du cinéma américain que la carrière de Dix aurait connu un net frein par la suite ; hypothèse hélas crédible, surtout si l’on fait le décompte des témoignages similaires.

Précisons d’emblée que The Hour of the Pig n’est pas un film produit par Miramax : il s’agit d’une coproduction franco-britannique, produite par la BBC. Les Weinstein se sont simplement chargés de distribuer le film aux USA, apportant au passage des modifications nuisibles, tel qu’un inutile texte introductif, par exemple, ainsi que la modification peu inspirée du titre original (L’Heure du Porc a peut-être fait peur à Weinstein – il prend d’ailleurs, rétrospectivement, un sens prémonitoire). C’est malheureusement la version américaine que j’ai visionnée ; je tâcherai de voir la version originale un jour pour parfaire mon appréciation de ce film, plutôt plaisant et intéressant à bien des égards.

Intéressant du point de vue historique d’abord, encore qu’il appartienne à des spécialistes de se prononcer sur la crédibilité du récit sur ce point mais une chose est sûre, les procès d’animaux, qui sont au centre du film, ont bel et bien eu lieu en France au 15ème siècle, et ils n’avaient rien d’exceptionnels. Les animaux et notamment les cochons, sur-représentés dans ces procès, étaient défendus par un avocat – ils étaient jugés, en somme, comme n’importe quel individu humain, bien qu’ils ne pussent guère argumenter en faveur de leur défense. France Culture a d’ailleurs consacré une émission à cette pratique saugrenue.

Le scénario, de Leslie Megahey (également réalisateur), ne se contente pas d’ébaucher une histoire quelconque autour du procès d’un animal à des fins comiques ou absurdes. Cette réalité historique est un point de départ qui permet à l’auteur d’interroger l’influence (alors majeure) de la religion dans la société française de l’époque, ainsi que l’omniprésence des superstitions et, il faut bien le dire, d’un certain obscurantisme (les procès pour sorcellerie en attestent tristement). Obscurantisme souvent utilisé, manipulé à des fins politiques et dans une optique de consolidation des rapports de domination. L’affaire des démons de Loudun est un bon exemple de ce phénomène : Urbain Grandier n’a pas été jugé par des gens convaincus de son pacte (imaginaire) avec le malin, mais par des opposants idéologiques qui voulaient asseoir leur puissance (le remarquable film Les Diables traite directement de cette sombre affaire). On notera d’ailleurs, dans L’Heure du Porc, la présence d’un plan significatif, montrant un crucifix chevauché par une souris – symbole d’une religion sinon corrompue, du moins détournée de sa vocation initiale.

On a donc ici une critique des liens pernicieux entre la religion, la justice, l’argent et le pouvoir, et le scénario l’articule plutôt habilement, en soignant la caractérisation des personnages qui, s’ils ont chacun un « rôle symbolique » assez net (l’avocat joué par Colin Firth, inspiré par Barthélemy de Chasseneuz, représente la raison et l’intégrité ; Jehan d’Auferre une noblesse en partie viciée et corrompue), demeurent suffisamment consistants pour que l’ensemble échappe aux pièges du didactisme et de la caricature (même si l’égyptienne incarnée avec talent par Amina Annabi, malgré l’aura évidente de cette actrice, n’est pas exempte de quelques clichés – qui ne sont toutefois pas plus gênants que cela).

Sur le plan esthétique, The Hour of the Pig tient tout à fait la route : la photographie est de bonne facture, le travail de la monteuse française Isabelle Dedieu (Les Invasions barbares) fonctionne bien et la réalisation de Leslie Megahey s’avère plutôt adroite dans l’ensemble, si on excepte des scènes oniriques assez kitch. L’interprétation est également l’un des points forts du film ; il faut dire que le casting est solide, puisqu’il réunit un Colin Firth alors méconnu, Donald Pleasance, Ian Holm, excellent comédien qui nous a quittés récemment, Sophie Dix donc, dont la présence à l’écran a apparemment souffert du montage version Weinstein (on sait pourquoi…), la très belle Amina Annabi et même Sami Bouajila dans l’une de ses toutes premières apparitions au cinéma.

Intéressant et intriguant, parce qu’il mêle récit historique et thriller, malin dans son dénouement plein d’ironie, The Hour of the Pig est aussi un peu frustrant, un peu bancal, notamment parce qu’il ne parvient qu’à moitié à entretenir l’aspect mystérieux de son intrigue. Je ne peux toutefois pas exclure que ces défauts soient en partie liés au montage américain mais dans tous les cas, cela reste un film qui ne méritait pas de tomber à ce point dans l’oubli, et dont les qualités justifient qu’on l’évoque autrement que comme un exemple du sombre « Weinstein effect ».
The Hour of the Pig propose une réflexion assez intéressante sur la manière dont la noblesse et la religion utilisaient les superstitions populaires pour maintenir leur influence au Moyen-âge, et aussi pour dissimiler leurs propres méfaits. Le résultat est convaincant par moment, plus fragile à d’autres, mais très honorable dans l’ensemble. Une curiosité à découvrir.
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