Film d’Ernst Lubitsch
Année de sortie : 1940
Pays : États-Unis
Titre original : The Shop Around the Corner
Scénario : Samson Raphaelson, Ben Hecht (non crédité), d’après la pièce Parfumerie de Miklós László
Photographie : William H. Daniels
Montage : Gene Ruggiero
Musique : Werner R. Heymann
Avec : Margaret Sullavan, James Stewart, Frank Morgan, Joseph Schildkraut, Sara Haden, Felix Bressart, William Tracy
Parce qu’elle est filmée par Ernst Lubitsch et qu’elle est le cadre d’un récit intelligent, sensible et charmant, la boutique au coin de la rue
(traduction littérale du titre original de Rendez-vous) est un lieu de cinéma
qu’on revisite souvent, en pensée, après la vision du film.
Synopsis du film
Alfred Kralik (James Stewart) travaille comme vendeur dans une petite maroquinerie tenue par Hugo Matuschek (Frank Morgan), à Budapest. Alfred est un peu sur un nuage : depuis quelques jours, il entretient une correspondance amoureuse, par le biais de petites annonces, avec une femme qu’il n’a jamais vue, et dont il ignore le nom.
En revanche, le climat au travail n’est pas des plus agréables : s’il s’entend toujours bien avec ses collègues, son patron, qui pourtant l’apprécie d’ordinaire, lui témoigne une certaine hostilité, pour de mystérieuses raisons.
Un jour, une jeune femme entre dans la boutique. Alfred l’accueille comme une cliente mais en réalité, Klara Novak (Margaret Sullavan) recherche un poste de vendeuse. Contre toute attente, Matuschek décide de l’embaucher. Rapidement, Alfred et Klara entretiennent des rapports assez tendus.
Un soir, Alfred fait une surprenante découverte…
Critique de Rendez-vous
Il y a des films à l’intérieur desquels on aimerait presque se nicher tellement ils ont un côté « refuge », du fait qu’ils décrivent une réalité en grande partie douce et rassurante (sans pour autant côtoyer la mièvrerie ou l’insignifiance).
Rendez-vous est de ceux-là. À travers la description d’un « microcosme social » — les employés et le patron d’une petite boutique à Budapest —, le film de Lubitsch propose une galerie de portraits savoureux, tout en dessinant une image d’Épinal : celle du petit commerce indépendant à taille humaine, celui-là même que la mondialisation malmène parfois brutalement et que la pandémie actuelle, hélas, n’a pas épargné.

Ce contexte — qui est d’ailleurs plus qu’un contexte, dans la mesure où il est l’un des sujets du film (comme le souligne son titre original : The Shop Around The Corner) — est dépeint avec un soin, une intelligence et un humanisme qui donnent toutes les raisons de croire qu’Ernst Lubitsch n’était pas seulement un grand metteur en scène : il s’agissait aussi, très probablement, d’un homme aux grandes qualités humaines ; or, même s’il ne faut pas systématiquement vouloir cautionner l’individu derrière une œuvre (un travers, me semble-t-il, propre à notre époque), il est indéniable que certains films ou certains livres portent en eux la bonté de leur auteur, et que celle-ci contribue à leur aura.
Rendez-vous est une pure comédie romantique — sans doute d’ailleurs, l’un des premiers modèles du genre — qui contient deux dimensions principales : une dimension sociale (la vie dans un petit magasin de quartier ; la condition de salariés d’un niveau de vie modeste) et une dimension intime. Ces dimensions sont distinctes mais complémentaires et d’ailleurs, toutes deux portent le même optimisme.

Au niveau de la seconde, puisque nous avons déjà évoqué la première, le film réfléchit notamment sur la manière dont deux individus peuvent « se louper » (ne pas tomber amoureux) non pas par incompatibilité, mais parce que les circonstances de leur rencontre ne mettent pas en lumière ce qui les rapproche. Ainsi, ni Alfred ni Klara ne voient en l’autre le mystérieux individu avec lequel chacun entretient une correspondance anonyme, leurs relations de travail (problématiques) obstruant la véritable découverte de l’autre.
Toute la démarche d’Alfred, qui va lui découvrir que Klara est bien la femme avec laquelle il échange des lettres romantiques, va être de déconstruire l’image peu flatteuse à laquelle les circonstances pas toujours idéales du quotidien l’ont associé aux yeux de celle qu’il convoite secrètement. Ce qui ne va pas être chose facile : Klara a du répondant et du tempérament. On est très loin d’un personnage de potiche (comme quoi, on a bien tort d’affirmer que les personnages féminins étaient toutes des faire-valoir dans le cinéma des années 40-50 : c’est une vision extrêmement caricaturale, dictée par des préjugés).

Les dialogues de Samson Raphaelson (qui a adapté ici une pièce du dramaturge hongrois Miklós László) sont précis, souvent très drôles et pleins d’esprit ; les personnages, finement caractérisés, sont servis par d’excellents comédiens ; la réalisation est d’une grande élégance, tirant le meilleur parti d’un espace confiné et enfin, la construction narrative ne souffre d’aucune longueur. Ces qualités techniques et artistiques font naturellement de Rendez-vous l’un des fleurons de la comédie romantique.
Anecdote
Le son de Rendez-vous est l’œuvre de Douglas Shearer. Originaire du Quebec, Shearer joua un rôle crucial dans le développement de la technologie du son au cinéma, et fut donc l’un des grands artisans du cinéma parlant. Il travaillait pour la célèbre MGM (Metro-Goldwyn-Mayer).
Rendez-vous parvient à inscrire un récit sentimental intelligent, subtil et jamais mièvre dans un contexte social joliment dépeint. C’est aussi un bel hommage à la petite boutique de quartier, d’autant plus émouvant dans la situation économique et sanitaire actuelle.
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