Film de William Klein
Année de sortie : 1966
Pays d’origine : France
Scénario : William Klein
Photographie : Jean Boffety
Musique : Michel Legrand
Avec : Dorothy Mac Gowan, Jean Rochefort, Philippe Noiret, Sami Frey, Grayson Hall, Alice Sapritch, Delphine Seyrig.
Grégoire Pecque : Il ne faut rien expliquer. Ou alors, infailliblement, on se trompe.
Avec Qui êtes vous Polly Maggoo ?, le peintre, photographe et réalisateur américain William Klein réalise une satire à la fois drôle et mordante sur des univers qu’il connait bien : la mode (sujet principal du film) et la télévision. Mais plus généralement, ce film porte un regard juste et toujours d’actualité sur la société de consommation.
Synopsis de Qui êtes vous Polly Maggoo ?
A Paris, en 1966. Le mannequin Polly Maggoo (Dorothy Mac Gowan) est l’égérie actuelle de la mode. Grégoire Pecque (Jean Rochefort) est engagé pour réaliser son portrait dans le cadre d’un reportage télévisé intitulé Qui êtes-vous Polly Maggoo ?.
Critique du film
Grégoire Pecque : Les films de télé c’est mieux que le cinéma. La télé, on la regarde distraitement, c’est comme la vie. Le cinéma, on fait trop attention. Faut pas. Faut laisser des trous. Le petit écran, c’est un grand trou.
Avant de tourner Qui êtes vous Polly Maggoo ?, William Klein avait travaillé comme photographe, peintre, réalisateur de courts métrages et d’émissions de télévision. On ne s’étonnera donc pas du fait que son premier long métrage, tant sur la forme que sur le fond, soit largement imprégné de ces différentes disciplines artistiques et de son expérience des univers dans lesquels il les exerçait.
La narration (volontairement décousue, éclatée), le montage kaléidoscopique et la mise en scène de Qui êtes vous Polly Maggoo ? s’inscrivent assez nettement dans la nouvelle vague française ; mais ce qui aurait pu n’être qu’un exercice cinématographique un peu vide et daté devient, grâce au regard et à la personnalité de son auteur – mais aussi à l’intelligence de certains dialogues – un film percutant, souvent drôle et assez visionnaire dans son propos qui, malgré sa construction très libre, ne s’essouffle jamais vraiment (à part, peut-être, dans ses vingt dernières minutes).

Jean-Jacques (Philippe Noiret) et Grégoire (Jean Rochefort) dans les bureaux d’O.K.T.V.
Si l’on peut justement qualifier le film de satire de la mode, on ne peut le résumer à cela. D’abord, la mode étant aussi un reflet de la société, Klein réfléchit, à travers elle, à l’évolution de la société française, et plus généralement à la société de consommation. Mais surtout, le film est un condensé dynamique et riche de son regard sur l’époque, qui fourmille d’anecdotes, de phrases, de scènettes très justes et souvent assez visionnaires. D’où un film qui prête souvent à sourire autant pour la justesse de ces observations que pour leur résonance actuelle.
Prenons d’abord la mode – un milieu que Klein connait très bien. Derrière sa caméra, la mode est un monde d’artifices régie par le profit, teinté d’absurde (voir les vêtements immettables créés par le couturier dans le film), peuplé d’individus prétentieux (que de justifications intellectuelles vaseuses autour des créations). C’est un milieu impitoyable (une mannequin y remplace une autre), où la beauté est totalement formatée (voir la séquence où Klein illustre de façon saisissante les critères de beauté du visage féminin), voire déshumanisée (Polly Maggoo est comparée par sa « coach » à une fusée
). Déjà, Klein relève la tendance à mettre en avant des corps féminins dénués de formes prononcées, des corps minces d’adolescentes – tendance qui, on le sait bien, dure encore aujourd’hui (hélas). Il anticipe également la starification des mannequins, des cover girls, dont on ne connaissait – à l’époque de la sortie du film – que rarement le nom (sauf quand elles étaient également des actrices ou chanteuses célèbres).
Dans Qui êtes vous Polly Maggoo ? la mode prend souvent une connotation religieuse, comme le souligne la musique (signée Michel Legrand) mais aussi les mises en scène à l’occasion des séances photo (le plan où le visage de Polly Maggoo apparait derrière le Christ l’illustre très bien). Klein semble ici vouloir nous dire que l’époque hisse volontiers au rang de sacré des valeurs superficielles, dérisoires. Qu’à partir du moment où seul le profit dirige l’art et la culture, il n’y a plus rien de grand ni de futile, uniquement ce qui rapporte et ce qui ne rapporte pas. Dans le même temps, la position de William Klein reste nuancée car la mode est un phénomène qui, de toute évidence, l’amuse et l’intéresse. À travers les répliques d’un philosophe engagé pour le reportage Qui êtes vous Polly Maggoo ?, il en livre une analyse assez juste : Fétichisme, mutilation, souffrance : c’est toute l’histoire de la mode
. Fétichisme car la mode glorifie, mystifie des objets et des accessoires, mutilation et souffrance car ses partis pris esthétiques extrêmement formatés exige que l’être humain s’y conforme, à n’importe quel prix.

Grégoire (Jean Rochefort) et Polly Maggoo (Dorothy Mac Gowan)
Si la télévision était popularisée depuis finalement assez peu de temps en France à l’époque, Klein lui prédit déjà un avenir conditionné par des exigences de rentabilité, tout comme il critique un certain type de management d’entreprise. En témoignent notamment ces échanges (volontairement très écrits) entre Jean-Jacques Georges (Philippe Noiret) et Grégoire Pecque (Jean Rochefort), à propos de la politique de O.K.T.V (qui dans le film représente l’O.R.T.F) :
Jean-Jacques : Au lieu d’améliorer la productivité par une augmentation de la production, on cherche à obtenir le même effet par une compression des effectifs et un amenuisement de l’amélioration des situations. Et bien entendu on fait planer sur le personnel une psychose de crainte et d’insécurité.
Grégoire : Faudra t-il choisir bientôt entre un programme éducatif et culturel d’une télévision nationale, et le royaume d’Uniprix, si confortable fut-il à administrer ?
Il faut bien admettre que le discours sur les méthodes de management d’entreprise et le fonctionnement de la télévision publique est encore plus que valable aujourd’hui…
Qui êtes vous Polly Maggoo ? comprend également quelques scènes représentatives du malaise social pré-68. Un passant mécontent s’inquiète même des retraites…
Le réalisateur se moque au passage de l’aristocratie, à travers ce personnage de prince interprété par Sami Frey ; on comprend vite que son prétendu amour pour Polly Maggoo n’est motivé que par le désir de posséder quelque chose qui a de la valeur. L’américain William Klein épingle aussi la famille de français moyens, sa tête de veau et son antiaméricanisme primaire, lors d’une séquence significative.

La famille française et sa tête de veau dans « Qui êtes-vous Polly Maggoo ? »
Bien que très critique, donc, et en un sens assez engagé, Qui êtes vous Polly Maggoo ? n’est jamais haineux ou rageur. Finalement, le personnage incarné par Jean Rochefort, sans doute le plus intéressant, n’est peut-être pas sans rapport avec la position du réalisateur ; volontiers critique, largement désabusé, il est également au cœur du système, comme le lui rappelle justement Polly Maggoo lorsqu’il devient moralisateur à son égard. Klein a travaillé à la télévision et dans le milieu de la mode, sa situation est donc comparable à celle de ce personnage. C’est finalement un mélange équilibré entre un regard critique sur les phénomènes qu’il observe, et l’intérêt et l’amusement que ces mêmes phénomènes lui inspirent, qui fait que le film est une satire à la fois légère, effervescente, lucide et pessimiste.
Si on a l’agréable impression que le réalisateur et les comédiens se sont amusés sur le tournage, il faut souligner aussi la réalisation de Klein, plutôt maîtrisée dans l’ensemble. Si on sent dans la conception de certains plans le regard affûté, et inspiré, du photographe, il y a aussi une approche cohérente de la mise en scène et du montage. L’enchaînement rapide des plans, les dialogues parfois confus et entremêlés, la succession d’images et de références, la cohérence très relative de certaines séquences ne sont pas gratuits, puisqu’ils servent le propos et l’approche du film. Comme le dit Grégoire en parlant de la télévision, il faut laisser des trous
, ne pas faire trop attention
. S’il y a bien plus de choses à comprendre dans Qui êtes vous Polly Maggoo ? que dans un téléfilm de base, l’œuvre revendique aussi une certaine légèreté, comparable en cela à une chanson pop aux tonalités un peu acides.
Le casting est une réussite totale : tous les seconds rôles sonnent juste (voir la redoutable Grayson Hall), Noiret et Rochefort sont à la hauteur de leur talent et la belle Dorothy Mac Gowan, qui était mannequin et qui trouva dans Qui êtes vous Polly Maggoo ? son unique rôle d’actrice, est convaincante. Peu après la sortie du film, elle disparut de la sphère publique – comme, on le suppose, l’éphémère Polly Maggoo qu’elle incarna si bien.
Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? est une satire pertinente de la mode, de la télévision et de la société de consommation. William Klein y dresse des constats dans l'ensemble très justes, en usant d'un ton à la fois grinçant et amusé qui rend le film d'autant plus agréable à suivre qu'on y croise d'excellents comédiens, parmi lesquels Philippe Noiret, Jean Rochefort et bien sûr la jolie Dorothy Mac Gowan.
2 commentaires
Pas vu depuis un bail (plus d’une quinzaine d’années) mais un souvenir d’un truc assez excitant et inédit.
Ah, cet article me donne très envie de le voir ! Et, au passage, je ne savais pas du tout quelle tête avait Jean Rochefort jeune … Gros choc ! : )