Sortis respectivement en 1973 et 1975, les films Season of the Witch de George Romero et Les Femmes de Stepford de Bryan Forbes reflètent chacun à leur manière l’évolution de la condition féminine dans la société occidentale de l’époque. Retour sur deux films clés du cinéma fantastique des années 70.
Joan, Joanna et la condition féminine dans les années 70
Les années 60-70 ont été marquées – entre autres bien sûr – par une évolution assez nette quant à la place de la femme dans la société occidentale. Non pas que cette évolution aît cessé depuis bien sûr, ou encore qu’elle était inexistante antérieurement, mais c’est du moins à cette époque qu’elle a pris un démarrage net et commencé à opérer des changements notables sur les mœurs, la culture et les mentalités. Le mouvement féministe en question, qui s’est d’abord affirmé aux États-Unis (à noter la création, par John F. Kennedy, de la Commission intitulée American Women en 1961), s’est développé ensuite dans la majorité des pays occidentaux.
Le cinéma, comme tous les arts, est aussi la photographie d’une époque et il est normal que de très nombreux films tournés à cette période aient reflété ce phénomène. Intéressons-nous ici à deux exemples issus du cinéma fantastique, pas forcément très connus du grand public mais extrêmement significatifs.
On notera d’ailleurs, en premier lieu, une étrange coïncidence : la similitude troublante entre les prénoms des héroïnes respectives de ces films, Joan et Joanna…
Season of the Witch : la femme au foyer dans tous ses états
Juste après The Crazies, représentation saisissante d’une Amérique plongée dans la démence et la violence, et cinq ans cette Nuit des morts-vivants (1968) qui le rendit célèbre, George A. Romero se consacre à un projet très personnel qui lui tient à cœur mais dont la réalisation ne lui apportera qu’une satisfaction toute relative, faute de moyens financiers adéquats : il s’agit du film Season of the Witch, tourné à Pittsburgh, dont il signa bien sûr la mise en scène mais également le scénario, la photographie et le montage.
Le film, auquel on attribua des titres différents en Angleterre (Hungry Wives) et aux États-Unis (Jack’s Wife), raconte l’histoire de Joan Mitchell (Jan White), une femme au foyer qui s’ennuie entre un mari accaparé par ses affaires (interpreté par Bill Thunhurst) et une fille de 19 ans en pleine rébellion (Joedda McClain).

Jan White dans « Season of the Witch »
En proie à des cauchemars hautement symboliques (elle est tenue en laisse ; harcelée par un homme masqué ; etc.), Joan entend parler d’une femme dans le voisinage, Marion Hamilton, qui pratiquerait la sorcellerie. À son contact, elle se persuade peu à peu d’être elle-même une sorcière…
Season of the Witch est un film singulier ; si on peut le classer parmi les films d’horreur du metteur en scène, on est très loin des zombies du film éponyme et de ses nombreuses variations (même si plusieurs de ces films portent également un discours social). La violence graphique est pour ainsi dire totalement absente et c’est davantage par son climat, son atmosphère et son imagerie que Season of the Witch se rapproche du cinéma de genre.
Il s’agit en effet avant tout du portrait d’une femme qui incarne d’abord la femme au foyer soumise et frustrée, puis une femme libérée et émancipée. La sorcellerie dans le film est avant tout un symbole : elle renvoie aux procès en sorcellerie qui, aux 16ème et 17ème siècle, condamnèrent de nombreuses femmes innocentes. La sorcière dans le film de George A. Romero n’est donc pas un être effrayant et maléfique, mais l’incarnation d’une révolte et d’une émancipation féminines.
Machination misogyne à Stepford
Seconde adaptation d’un roman d’Ira Levin au cinéma après le magistral Rosemary’s Baby de Roman Polanski (1968), Les Femmes de Stepford s’intéresse lui aussi à l’évolution de la femme dans la société des années 70. Considéré rétrospectivement comme un classique du fantastique mais néanmoins pas si connu et diffusé que cela en France, l’œuvre de Bryan Forbes offrit à la jolie Katharine Ross (la maîtresse de Sundance dans Butch Cassidy et le Kid) un rôle de femme forte, artiste (photographe amateur), qui déménage au début du film avec son mari et ses deux enfants à Stepford, une petite ville résidentielle du Connecticut.

Katharine Ross dans « Les Femmes de Stepford »
Très vite, Joanna (la femme en question) ne se retrouve pas du tout dans la mentalité de ses voisines, véritables archétypes de la femme au foyer dont les sources de plaisir varient entre la cuisine et les diverses tâches ménagères, et dont l’unique but est de réussir leurs brownies ou de faire reluire le parquet. En femme urbaine plus indépendante, Joanna créé avec l’aide d’une amie qui partage son point de vue une association, pendant féminin de la mystérieuse « Stepford Men’s Association« . Mais peu à peu, la jeune femme découvre que la condition féminine dans Stepford semble obéir à des lois et des mécanismes étranges, défiant l’imagination…
Thriller fantastique plutôt bien mené, Les Femmes de Stepford met en scène une femme moderne confrontée à un complot machiste délirant, le tout renvoyant évidemment, comme Season of the Witch, à la réalité sociale de l’époque (le roman éponyme de Ira Levin a été publié en 1972). Le film fera l’objet d’un remake en 2004, avec Nicole Kidman.
En conclusion…
Joan et Joanna sont deux femmes certes différentes mais qui portent chacune les combats féministes de l’époque, et qui subissent toutes deux une emprise masculine cherchant à les acculer dans le rôle traditionnel de la femme au foyer.
À travers des atmosphères, un traitement et un style bien distincts, Les Femmes de Stepford et Season of the Witch nous renvoient donc une même réalité sociale et culturelle.
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Le film de Forbes résonne également avec un autre titre de Romero, « Zombie », qui se déroule là où il s’achevait : dans un supermarché. Mieux que fable féministe, il annonce l’univers contemporain des avatars et des simulacres consuméristes, avec leur inquiétante étrangeté, leur feinte douceur et leur corne d’abondance maculée de sang – plutôt Marx et Baudrillard que le MLF, donc.
Le film montre aussi à quel point le couple est un lieu de rapport de force, comme s’il fallait forcément qu’il y aie un « gagnant » et un « perdant », un dominant et un dominé, au sein du couple. Ce que l’homme attend de la femme conduit à l’asservissement de cette dernière. Si la femme, fort logiquement, refuse et se bat pour sa liberté, alors que se passe-t-il? Privé de sa position dominante, quel intérêt pour l’homme dans le couple ? La relation gagnant:gagnant existe-t-elle réellement ou peut elle être inventée ?