Film de Robert Aldrich
Titre original : The Grissom Gang
Année de sortie : 1971
Pays : États-Unis
Scénario : Leon Griffiths, d’après le roman Pas d’orchidées pour miss Blandish, de James Hadley Chase
Photographie : Joseph Biroc
Montage : Michael Luciano, Frank J. Urioste
Avec : Kim Darby, Scott Wilson, Tony Musante, Robert Lansing, Irene Dailey, Connie Stevens, Wesley Addy, Joey Faye, Ralph Waite
Anna: I gave him two of the best years of my life!
Eddie: From where I sit honey, I’d say you’ve still got quite a few good years left.
S’il n’est pas le meilleur long métrage de son auteur, Pas d’orchidées pour miss Blandish est un film de gangsters à la fois drôle et désabusé qui jette un regard acide sur la bêtise, la violence et l’égoïsme des hommes, toutes classes confondues.
Synopsis de Pas d’orchidées pour miss Blandish
Au début des années 30, Barbara Blandish, la fille d’un milliardaire vivant à Kansas City, est kidnappée par trois vauriens. Ceux-ci se font rapidement doubler par le gang Grissom, un peu plus expérimenté, qui les abattent et prennent la fille en otage.
Slim Grissom, l’un des membres du gang, tombe aussitôt amoureux d’elle, tandis qu’une demande de rançon est envoyée à John P. Blandish. Ce dernier demande à Dave Fenner, un détective à la dèche (la crise de 29 bat alors son plein), de faire l’intermédiaire.
La transaction se passe bien mais Barbara n’est pas relâchée ; la redoutable Ma Grissom, chef du gang, souhaite en effet l’abattre pour ne courir aucun risque…
Critique du film
Slim: Haven’t you ever loved nobody?
Barbara: Not like that. Nobody’s ever loved me like that either. They’ve said it lots of times, but… I guess they just didn’t mean it the way you mean it.
Slim: That makes me better than all them college boys then, uh?
Le roman Pas d’orchidées pour miss Blandish, de l’écrivain britannique James Hadley Chase, avait obtenu un grand succès critique à l’époque de sa sortie, en 1939. Il avait également suscité une controverse, en raison d’un traitement explicite de la violence et de la sexualité. Une première adaptation cinématographique a vu le jour en Angleterre en 1948, sous le titre No Orchids for Miss Blandish, et c’est peut-être pour cette raison que la version de Robert Aldrich s’intitule, en anglais, The Grissom Gang – titre moins inspiré mais qui a le mérite d’éviter toute confusion.

Ma Grissom (Irene Dailey)
Nous sommes au tout début des années 70. Quatre années se sont écoulées depuis Les Douze salopards (1967), chef d’œuvre du film de guerre qui compte clairement – avec En Quatrième vitesse et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? – parmi les films les plus cultes de son auteur ; entre temps, celui-ci a signé pas moins de quatre longs métrages, qui reçurent un accueil critique et public mitigé.
Sur le papier, même s’il est tiré d’un roman qui a sa réputation, Pas d’orchidées pour miss Blandish n’a d’ailleurs pas d’arguments particuliers pour inverser la tendance – pas de vedettes, pas vraiment de héros, et un propos grinçant, voire nihiliste. Robert Aldrich ne courait de toutes façons probablement pas après le box office – et ce n’est guère quelque chose que l’on peut reprocher à un cinéaste.

Woppy (Joey Faye) et Eddie (Tony Musante)
On devine ce qui, dans l’histoire imaginée par Hadley Chase, a pu séduire le réalisateur des Douze salopards. Pas d’orchidées pour miss Blandish est en effet peuplé de personnages plus ou moins irrécupérables et tordus. Le film se concentre d’abord, avoir nous avoir présenté trois malfrats minables aussitôt liquidés, sur le gang Grissom et ses différents membres : Slim Grissom (Scott Wilson), un sociopathe aussi violent que simplet, qui dès le premier coup d’oeil tombe amoureux de sa charmante – bien que revêche – otage ; sa mère Gladys, également appelée Ma Grissom (Irene Dailey, remarquable dans le rôle), la chef du gang, mais surtout une vieille et redoutable mégère qui dans la séquence la plus célèbre du film arrose les policiers de Kansas City en ponctuant les détonations frénétiques de sa mitraillette d’un rire rauque et tonitruant ; son mari, le prototype de l’homme faible, ravi de laisser son épouse mener les affaires quotidiennes ; Mace (Ralph Waite), peut-être le plus « réglo » de la bande, mais qui n’influe jamais sur les événements ; Woppy (Joey Faye), un gros lourdeau sans envergure ; et enfin Eddie (Tony Musante), séducteur sans scrupules. Tous ces personnages gravitent donc autour de Barbara Blandish (Kim Darby), qui apparait de prime abord comme le prototype de la petite bourgeoise hautaine et superficielle.
Pendant un bon moment, le film, qui présente une dimension sociale évidente, joue de l’opposition entre ces deux mondes – la haute bourgeoisie citadine et les gangsters à la petite semaine, issus des milieux ruraux populaires (l’action se déroule en 1931, soit deux ans après le krach boursier de 29). Si Aldrich ne rend pas ces derniers sympathiques, il n’en fait jamais des stéréotypes ; ils sont dangereux, souvent stupides, pathétiques, pervers, lourds, parfois vaguement drôles et finalement, plutôt humains et crédibles. Devant ces nombreuses scènes montrant Slim étaler son ignorance et sa gaucherie en tentant vainement d’impressionner sa protégée (tous les autres ont pour projet de l’abattre), ou encore Eddie et Mace échanger des blagues roublardes, on finit par se demander où le réalisateur veut en venir. Et puis on comprend ; John P. Blandish (Wesley Addy), le père milliardaire de Barbara Blandish, est cynique, rigide, égoïste, soucieux de sa réputation uniquement. Incapable d’aimer sa fille, il préfère la savoir morte que dans les bras d’un bandit crasseux, y fut-elle contrainte. En un mot, il ne vaut pas mieux que les ravisseurs de Barbara. Quant aux policiers, ils sont incompétents et lorsqu’ils résolvent l’affaire – grâce au travail du détective Fenner (Robert Lansing), chargé en bourbon (malgré la prohibition encore en cours) mais intelligent, lui -, ils convoquent la presse pour se faire bien voir. Le mauvais goût est de coutume : l’horrible et luxuriante chambre aménagée par Slim pour sa protégée est appréciée par le commissaire McLaine (Hal Baylor).

Fenner (Robert Lansing)
D’abord énervante, Barbara finit par émouvoir quand on réalise le sinistre contexte familial dont elle a hérité et le manque de perspectives (au début du film, elle est mariée à un sombre idiot alcoolique) que lui offre une existence certes dorée mais désespérément vide. Au point que c’est un bandit dangereux et quasiment demeuré, mais sincèrement amoureux (soulignons ici l’interprétation très convaincante de Scott Wilson, tour à tour brutal, grotesque et désemparé, enfantin), qui lui redonne un peu de baume au cœur – en dépit des barrières sociales (entre autres) qui les séparaient au début. Dans le plan final, Barbara jette un regard perdu derrière elle et ne voit décidément rien à quoi se raccrocher. Le titre Pas d’orchidées pour miss Blandish prend alors tout son sens.

Barbara Blandish (Kim Darby) et Slim Grissom (Scott Wilson)
La lâcheté, la vulgarité, la bêtise, le cynisme, la folie éclaboussent donc ici tous les personnages et les milieux sociaux, y compris l’Amérique d’en haut. Dans ce contexte chaotique, le carnage final se présente comme une farce macabre, que synthétise le rire nihiliste et dément de Ma Grissom.
Aldrich orchestre cette fable à la fois absurde, grinçante et amère d’une manière à mon sens pas toujours efficace. Le rythme est un peu branlant ; le personnage du détective, pourtant intéressant, est étonnamment sous-exploité, et on regrette un peu, devant le spectacle haut en couleurs que nous offre Ma Grissom vers la fin du film, que celui-ci atteigne assez rarement ce niveau d’intensité, tandis que certaines scènes s’étirent inutilement en longueur (la durée de 2h08 laisse un peu sceptique) ou tendent à se répéter. A la manière d’un joueur de poker trop imbibé, Pas d’orchidées pour miss Blandish n’exploite donc pas à fond ses propres atouts. Il réserve néanmoins quelques très bonnes scènes et, plus généralement, séduit par l’intelligence de son traitement.
Le ton souvent humoristique du film cache en effet un profond pessimisme. S’il fallait chercher parmi les personnages lequel reflète le mieux le regard amusé mais surtout acide et critique du réalisateur, c’est indéniablement sur Dave Fenner que le choix devrait se porter. Écœuré par le richissime et infect père Blandish, blasé par la police et les journalistes, il s’élève un peu au dessus d’une masse d’assassins et d’imbéciles. Mais à lui seul, il ne changera pas la musique.
A propos du casting
Malgré son charme et son talent, Kim Darby s’est faite plutôt rare au cinéma. Avant de tourner sous la direction de Robert Aldrich, elle avait notamment joué dans Cent dollars pour un shérif (1969), un western avec John Wayne, Robert Duvall et Dennis Hopper. Deux ans après Pas d’orchidées pour miss Blandish, elle incarna Sally Farnham dans Don’t Be Afraid of the Dark, un téléfilm d’horreur doté d’une excellente réputation dont Guillermo del Toro a récemment (en 2011) produit un remake.
La filmographie de Scott Wilson est en revanche assez fournie. Sa carrière d’acteur démarre plutôt fort en 1967, année où il joue un petit rôle dans In the Heat of the Night, de Norman Jewison, et surtout où il interprète l’un des deux meurtriers dans De Sang froid, de Richard Brooks, adapté du roman éponyme de Truman Capote. On le verra ensuite, essentiellement dans des seconds rôles, dans des films tels que Gatsby le magnifique, L’Étoffe des héros, Johnny belle gueule, La Dernière marche, Way of the Gun et même The Host, l’excellent film de monstre sud-coréen de Bong Joon-ho sorti en 2006.
Irene Dailey, qui livre indéniablement l’une des compositions les plus mémorables du film, tient un petit rôle dans Cinq pièces faciles (1970), un beau drame de Norman Jewison avec Jack Nicholson dans le rôle titre. On la verra plus tard, en 1979, dans le célèbre film d’horreur Amityville, de Stuart Rosenberg (le réalisateur de Luke la main froide).
Robert Lansing, plutôt charismatique dans le rôle du détective Fenner, a essentiellement joué pour la télévision. C’est d’ailleurs assez étonnant, car l’acteur a une vraie « gueule » qui fonctionne très bien au cinéma. Quant à Tony Musante, son rôle le plus marquant est sans doute celui du héros de L’Oiseau au plumage de cristal, l’un des classiques de Dario Argento. Dans les années 2000, James Gray l’a dirigé à deux reprises, dans The Yards puis dans La Nuit nous appartient.
Pas d'orchidées pour miss Blandish est un film grinçant, dans lequel Robert Aldrich pose, comme souvent, un regard désabusé sur la violence et la bêtise humaines.
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