Film de Richard Brooks
Titre original : In Cold Blood
Année de sortie : 1967
Scénario : Richard Brooks, d’après le roman de Truman Capote, De Sang Froid
Photographie : Conrad Hall
Montage : Peter Zinner
Musique : Quincy Jones
Avec : Robert Blake, Scott Wilson, John Forsythe, Paul Stewart.
Le procureur (citant la Bible) : Who so shedeth man’s blood, by man shall his blood be shed.
Avec De Sang Froid, réalisé en 1967, Richard Brooks adapte le roman éponyme de Truman Capote, l’une des œuvres littéraires américaines les plus importantes du 20ème siècle. Le résultat, si il ne peut, pour des raisons que nous allons évoquer, atteindre le niveau de détail et de profondeur du matériau original, convainc grâce à la rigueur, la maîtrise et l’expérience de Brooks (qui signe la réalisation et le scénario) et l’interprétation excellente de Robert Blake et Scott Wilson. Un film engagé qui dénonce intelligemment – comme le roman extraordinaire dont il est tiré – ce qui, plus de quarante ans plus tard, existe toujours aux États-Unis : la peine capitale.
Synopsis
Kansas, 1959. Deux anciens détenus, Perry Smith et Dick Hickock, s’introduisent dans la demeure de Herbert Clutter, un riche exploitant, dans l’espoir d’y voler une grosse somme d’argent. Ils repartent avec une quarantaine de dollars, après avoir exécuté toute la famille.
Critique
Ce qui fait du roman de Truman Capote, De Sang Froid, un authentique chef d’œuvre de la littérature, est – outre l’immense talent d’écrivain de l’auteur – la précision et le sens du détail dont il a fait preuve, consacrant des années de sa vie à l’écriture de ce qui est unanimement aujourd’hui considéré comme son chef d’œuvre. Le travail de recherche qu’il a effectué et son implication personnelle dans cette affaire – qui est, rappelons-le, un véritable fait divers survenu dans le Kansas en 1959 – font que le livre est d’une richesse époustouflante ; chaque fait, chaque événement lié à ce quadruple meurtre et à l’investigation qu’il a suscitée sont rapportés dans le livre, l’ensemble étant construit avec une intelligence et une efficacité qui ont définitivement consacré Truman Capote comme l’un des écrivains majeurs du 20ème siècle. Mais l’auteur n’a pas uniquement témoigné d’une démarche rigoureuse de documentariste – sans quoi De Sang Froid n’aurait jamais atteint ce niveau de profondeur et d’intensité – il a également et c’est primordial, développé une approche humaine et sensible, décrivant avec une justesse inouïe la personnalité des principaux personnages liés au terrible fait divers ; qu’il s’agisse des membres de la famille, du policier qui dirigea l’enquête et, bien entendu, des deux meurtriers, développant notamment pour l’un d’eux – Perry Smith – une empathie, voire des sentiments, qui l’affecta profondément mais qui explique probablement la dimension bouleversante et authentique du roman.

Scott Wilson
Il est impossible, évidemment, de restituer toute la richesse du livre dans un film de deux heures, et Richard Brooks (A la recherche de Mister Goodbar) a donc été obligé d’épurer de façon assez considérable le chef d’œuvre de Capote, le vidant ainsi d’une grande partie de sa substance, mais parvenant, et c’est là la grande réussite du film, à exprimer l’essentiel, c’est à dire la dimension absurde et vaine de la peine de mort, que le réalisateur condamne avec la même vigueur que l’écrivain avant lui. Pour faire passer ce point de vue, il était primordial de développer avant toute chose la personnalité des deux condamnés, en faisant preuve à l’égard de ces personnages de l’approche profondément humaine qui avait été celle de Capote. De Sang Froid, le film, est donc très largement centré sur eux, quand le livre aborde un grand nombre d’événements et de personnages connexes. Ce parti pris est au fond le seul qui était envisageable pour un film d’à peine plus de deux heures, et si il est forcément frustrant pour quiconque a lu le livre, on ne peut que fondamentalement l’approuver, même si l’impasse faite sur les membres de la famille Clutter – leur caractère, leur quotidien avant la nuit du crime – demeure préjudiciable. En effet, le spectateur, relativement détaché des différentes victimes, ne peut pas développer à leur égard l’empathie nécessaire pour ressentir pleinement l’horreur de ce qu’ils traversent. C’est regrettable, car on peut songer qu’en vingt minutes à peine de film supplémentaires, Richard Brooks auraient probablement pu développer davantage cet aspect essentiel de l’histoire.
Outre ce parti pris discutable, le réalisateur fait preuve d’une maîtrise et d’une rigueur qui servent remarquablement bien son sujet. La précision et l’efficacité redoutable de la réalisation (Brooks a déjà 17 films à son actif au moment de tourner De Sang Froid), l’intelligence de l’adaptation et la qualité de la photographie – très sombre, évidemment – de Conrad Hall (Les Professionnels, du même Richard Brooks, Luke la main froide de Stuart Rosenberg, Fat City de John Huston), contribuent à la qualité indéniable du film, qui au cours de certaines séquences – notamment la longue scène du crime, d’une tension remarquable – parvient presque à égaler l’intensité du roman.

Robert Blake
Mais on ne peut évoquer la réussite du film en faisant l’impasse sur le travail remarquable des deux comédiens principaux, Robert Blake et Scott Wilson. C’est simple, on peut difficilement envisager des incarnations plus convaincantes des deux malfrats qui ont tant fasciné Truman Capote. Si, physiquement, ils évoquent clairement les descriptions de l’auteur, leur interprétation parvient totalement à restituer cette dimension humaine nécessaire au propos du film. C’est peut-être plus flagrant encore en ce qui concerne Robert Blake puisqu’il tient le rôle de Perry Smith, lequel, bien qu’étant l’auteur des quatre meurtres, est des deux hommes le plus sensible et le plus déroutant. Blake rend parfaitement compte de la personnalité ambigüe et complexe de son personnage, incarnant à merveille cet « assassin de circonstances », cet homme rêveur au passé tortueux qui commet l’irréparable sans comprendre pourquoi. Les deux acteurs portent le film de Brooks de bout en bout et leur contribution à la réussite du projet est inestimable.
Réflexion sur ce qui pousse un homme non dément à commettre un acte insensé, mais aussi dénonciation d'une justice prônant une vengeance stérile, De Sang Froid est un film qui n'a rien perdu de sa force et dont le propos humaniste est toujours d'actualité. Mais l'auteur de ces lignes ne peut qu'encourager ceux qui ne l'ont pas lu à découvrir d'abord le roman de Truman Capote, qui reste bien plus riche et plus fascinant que sa très honorable adaptation cinématographique.
7 commentaires
Je partage tout à fait votre point de vue sur les impasses du film, notamment sur l’impossibilité pour le spectateur de développer de l’empathie vis à vis des membres de la famille, cependant la complexité de la personnalité de Perry Smith me semble le thème le mieux exploité du film. La mécanique judiciaire est elle aussi assez bien exploitée dans la deuxième partie du film, mais j’y ai davantage vu une analyse sur la déshumanisation des prisonniers pendant leur incarcération plutôt qu’un réquisitoire contre la peine de mort. J’encourage ceux qui n’ont pas lu Truman Capote ( on prononce Capoté, paraît-il), à le faire. Breakfast at Tiffany est une autre adaptation, excellente à l’ écran, par Blake Edwards en 1961, d’un de ses livres ; plus récemment le brillant Philip Seymour Hoffman a endossé le rôle de Truman Capote dans le film éponyme de Bennett Miller sur la genèse du roman « De sang froid ».
Toutes proportions gardées, on peut rapprocher le livre de Capote de « L’Adversaire » de Carrère. Blake, « Mystery man » pour Lynch sur l’autoroute perdue et protagoniste d’un texte d’Ellroy concernant l’assassinat de sa femme. À relier à « La Balade sauvage » de Malick.
Ce film ne dénonce pas la peine de mort qui on le voit dans le film qui est une peine prévue dans la bible dans un pays profondément religieux mais plutôt la violence gratuite totalement inexplicable pour le commun des mortels
Le livre de capote n est pas un roman mais un document ,un reportage.
Le film n est pas une fiction mais une mise en image de ce même document avec l immense talent de brooks et de son équipe,d ou le manque d épaisseur des personnages.
Ni capote ni brooks ne prennent position ils décrivent froidement.
Un chef d œuvre,dont la version bluray multi zones vendue sur les sites américains est une véritable reussite
Merci pour votre commentaire. Je ne suis néanmoins pas d’accord avec vous. « De Sang froid » est le récit d’un fait divers réel, avec des personnages et des situations authentiques, mais Truman Capote reste un écrivain et le livre comporte forcément des éléments – dialogues ; descriptions ; voire des scènes entières etc. – ajoutés ou modifiés par l’auteur et qui ne sont pas la « réalité » à proprement parler, telle qu’on peut la voir dans un reportage. D’autre part j’ai senti chez Capote un point de vue contre la peine de mort, même s’il ne l’affirme pas explicitement – cela me paraît assez évident ne serait-ce que dans sa manière de dépeindre les criminels.
J’ai récemment vu le film sur arte et l’ai trouvé excellent, bien que Richard Brooks ne s’attarde pas sur la psychologie de la famille Clutter … votre article m’a poussé à commander le livre
Tant mieux ! Le livre est remarquable. Bonne lecture !