Film de Maïwenn
Année de sortie : 2015
Pays : France
Scénario : Maïwenn et Étienne Comar
Photographie : Claire Mathon
Montage : Simon Jacquet
Avec : Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot, Louis Garrel, Isild Le Besco
Mon Roi est porté par la justesse de jeu de ses comédiens, que la réalisation de Maïwenn met intelligemment en valeur. Et ce, même si l’ensemble manque un peu de relief.
Synopsis du film
Souffrant d’une assez grave fracture au genou à la suite d’une chute au ski, Tony (Emmanuelle Bercot) est admise dans un centre de rééducation. Des épisodes de sa relation tumultueuse avec Georgio, son ex-mari, lui reviennent alors peu à peu.
Critique de Mon Roi
Auréolé du prix d’interprétation féminine à Cannes – décerné à Emmanuelle Bercot lors de l’édition 2015 du célèbre festival -, Mon Roi est sorti sur les écrans français le 21 octobre de cette même année, pour aussitôt susciter des réactions souvent extrêmes qui, nous le verrons, en disent davantage sur certains aspects de notre société que sur le film lui-même.
Celui-ci est le 4ème long métrage de la réalisatrice, scénariste et comédienne Maïwenn, dont le précédent film, Polisse, avait également été récompensé à Cannes (par le prix du jury). Au niveau du style et du type de réalisation, on retrouve dans Mon Roi les éléments typiques du cinéma de Maïwenn : une réalisation « sur le vif », privilégiant la spontanéité, qui fait qu’on l’associe souvent à un cinéma dit « naturaliste » et qu’on la compare, parfois, à des metteurs en scène comme Maurice Pialat ; et une direction d’acteurs qui laisse, de ce fait, une large place à l’improvisation. Dit autrement, Maïwenn fait partie des cinéastes qui cherchent davantage à saisir, chez ses comédiens, un mot et un regard juste, plutôt qu’à fignoler l’esthétique d’un plan pendant des heures (c’était aussi l’approche, par exemple, d’un John Cassavetes).
Le scénario de Mon Roi a été écrit à quatre mains, par Maïwenn elle-même et Étienne Comar, producteur et scénariste dont le nom est associé à plusieurs films français importants de ces dernières années – tels que Des Hommes et des dieux (qu’il a écrit et produit) ou Timbuktu (qu’il a produit). L’histoire est simple : c’est celle d’une relation amoureuse passionnelle, toxique aussi (cette toxicité émanant largement du personnage joué par Cassel), racontée depuis le point de vue de la femme, prénommée Tony (Emmanuelle Bercot). Le film est structuré en flash-back, alternant les souvenirs de l’héroïne et les moments qu’elle passe dans un centre de rééducation (des suites d’une blessure qui, bien entendu, symbolise sa blessure amoureuse).
Comme souvent chez Maïwenn, le film est porté par l’énergie et la performance des comédiens : Emmanuelle Bercot (qui avait co-écrit le scénario de Polisse) et Vincent Cassel sont excellents. Ils incarnent des personnages crédibles, plus nuancés qu’il n’y paraît, et les moments d’intimité font mouche – pas un geste, une réplique ou un regard déplacés ne viennent altérer la dynamique des séquences. C’est évidemment dû au talent des interprètes mais aussi à celui de Maïwenn qui, indéniablement, a le don de former, à partir de longues prises au cours desquelles les acteurs improvisent autour du texte initial, une scène courte et incisive, constituée des moments les plus convaincants que la caméra a enregistrés. Et prenant soin, au passage, de gérer plutôt bien les variations d’intensité au fil des séquences.
En revanche, si chaque séquence sonne juste, l’ensemble demeure un peu faible. Comme si un manque de liant empêchait le tout de former une histoire avec une progression dramatique palpable, une consistance réelle (on est loin, par exemple, de la force et de l’émotion dégagés par un film tel que L’Usure du temps, par exemple, ou encore de Nous ne vieillirons pas ensemble – pour revenir à Pialat). Si Maïwenn a le don de diriger et de monter intelligemment chaque scène, et si les comédiens maintiennent une qualité d’interprétation constante, il n’en reste pas moins que la construction du film dans sa globalité ne parvient pas à apporter suffisamment de relief, de profondeur sur la durée. On a l’impression d’avoir vécu une succession de moments, davantage qu’une histoire ; et ce n’est pas dû au parti pris scénaristique qui implique, à la base, une construction elliptique – il semble plutôt que ce point faible témoigne des limites actuelles de la méthode et du cinéma de Maïwenn.
Ce bémol ne fait pas de Mon Roi un mauvais film, et quiconque aime voir au cinéma des comédiens talentueux se renvoyer la balle avec le talent dont témoignent les deux acteurs principaux appréciera probablement ce long métrage jamais ennuyeux, souvent drôle, parfois touchant et énergique – mais pas, comme beaucoup l’ont écrit, « hystérique ».
Les réactions autour du film
Venons-en ici aux réactions que le film a suscitées dans les médias : on a parlé d’un film « hystérique », donc, mais aussi de « cinéma bourgeois », tandis que le personnage interprété par Vincent Cassel s’est vu fréquemment taxé de « salaud » et de « pervers narcissique ».
La récurrence du terme « hystérique » dans les articles de presse consacrés à Mon Roi étonne a posteriori, étant donné que le film ne comporte ni plus ni moins de scènes orageuses que la plupart des longs métrages abordant le même thème (la passion amoureuse). Il y a même ici, comme indiqué plus haut, un équilibre entre les séquences intenses, comiques ou plus apaisées. Dès lors se pose la question suivante : aurait-on autant parlé d’hystérie si Mon Roi avait été réalisé par un homme ? On peut raisonnablement en douter.
Ce manque de discernement se retrouve dans l’analyse qui est souvent faite du personnage joué par Vincent Cassel, taxé d’authentique « salaud ». Or, s’il se comporte en effet de manière irresponsable, toxique, lâche et égoïste dans de nombreuses scènes, ce jugement ne saurait le résumer totalement : il est évident que l’acteur a cherché à lui donner des nuances qu’il est un peu dommage de balayer à travers un qualificatif aussi définitif. On a même utilisé l’expression « pervers narcissique » pour le définir – un diagnostic très à la mode mais en l’occurrence en partie inapproprié. On a bien entendu le droit de ne pas aimer, voire de détester ce personnage (c’est d’ailleurs le cas du frère de Tony dans le film, incarné par un amusant Louis Garrel), mais ce n’est pas un manipulateur froid pour autant, et ce sont davantage ses faiblesses et ses démons qui provoquent le naufrage du couple qu’une volonté de blesser ou d’exercer une emprise. Et cette fois, on peut légitimement se demander si un personnage féminin aurait été aussi facilement taxé de « salope » et de « perverse ».
Quant à l’expression « cinéma bourgeois », qu’on emploie ces temps-ci à tort et à travers, que signifie-t-elle exactement ? Fait-elle référence à la classe sociale des personnages ? À une approche conventionnelle du cinéma ? Ou encore, au fait que les protagonistes sont davantage concernés par leurs problèmes personnels que par les problèmes de société, ou par la crise mondiale ? Mais en quoi ces éléments ont à voir avec la qualité artistique d’une œuvre ? Un réalisateur ou un écrivain parle de ce qu’il veut : par exemple, du chômage ou des peines de cœur d’une bourgeoise. On peut être naturellement plus ou moins touché ou concerné par ces thématiques, mais elles ne déterminent pas nécessairement, à elles seules, la qualité artistique d’une œuvre. Par ailleurs, un film relativement conventionnel dans sa forme et son propos n’est pas forcément mauvais ; l’art ne doit pas forcément être transgressif ou novateur. Il existe par exemple d’excellents morceaux de musique tout à fait conventionnels sur le plan de la composition et de l’interprétation.
Ces différentes réactions sont révélatrices de schémas de pensée récurrents, de mécanismes témoignant d’une vision des films biaisée par des considérations tantôt démagogiques (« cinéma bourgeois »), tantôt sexistes (Maïwenn est une hystérique ; Georgio est un pervers). Considérations qui n’ont pas grand chose à voir avec le cinéma, et qui prêtent aux metteurs en scène des intentions souvent fantasmées.
En l’occurrence, Maïwenn a simplement cherché à raconter une histoire d’amour, et à dresser le portrait d’un homme et d’une femme qu’elle se garde bien de juger et de condamner de but en blanc. Si encore une fois on peut trouver, me semble-t-il à juste titre, que l’énergie palpable de son cinéma existe (pour l’instant) au détriment de la profondeur et de la force du récit, il n’en reste pas moins qu’au niveau de la direction d’acteurs et de l’interprétation, Mon Roi présente des qualités qui ne méritent pas d’être noyées dans un torrent d’idées préconçues, et trop figées.
Mon Roi convainc par l'énergie et la justesse de ses deux interprètes principaux, mise en valeur par un montage et une réalisation dynamiques. Il ne parvient cependant pas à dégager suffisamment de force et de consistance, en ce sens que si chaque scène est plutôt efficace et vivante, l'ensemble manque de souffle.
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