Film de Mathieu Kassovitz
Année de sortie : 1993
Scénario : Mathieu Kassovitz
Photographie : Pierre Aïm
Montage : Jean-Pierre Segal et Colette Farrugia
Musique : Jean-Louis Daulne, Marie Daulne, Assassin
Avec : Julie Mauduech, Mathieu Kassovitz, Hubert Koundé, Vincent Cassel, Tadek Lokcinski, Jany Holt, Rywka Wajsbrot, Berthe Bagoe, Héloïse Rauth, Jean-Pierre Cassel, Andrée Damant, Brigitte Bémol
Métisse est une comédie sentimentale urbaine pleine d’énergie, porteuse d’une vision généreuse et humaniste de la société française.
Synopsis du film
Lola (Julie Mauduech), une jeune métisse antillaise, est enceinte d’un enfant dont le père pourrait bien être Jamal (Hubert Koundé), un musulman d’origine africaine, ou Felix (Mathieu Kassovitz), un juif blanc.
Pour elle, cette question n’est pas si importante : ce qui compte, c’est qu’ils soient présents à ses côtés, car elle a bel et bien décidé de garder l’enfant. Pour eux, en revanche, c’est un peu plus compliqué que cela…
Critique de Métisse
L’amour avant la haine
, écrivit Guillaume Gas dans sa belle critique de Métisse datée du 2 novembre dernier. La formule est limpide et juste : il émane du premier film de Mathieu Kassovitz un optimisme avec lequel le réalisateur – et scénariste – ne renouera jamais par la suite, en tout cas derrière la caméra.
Cet optimisme, près de trente ans après la sortie du film, fait du bien : Métisse est une bouffée d’air frais. Kassovitz, comme l’annonce d’emblée la chanson d’Assassin qui ouvre le film (dont Rockin’ Squat aka Mathias Cassel, le frère cadet de Vincent Cassel, était l’un des membres principaux, aux côtés de Solo), y fait l’éloge d’un métissage urbain qui, s’il n’est pas sans créer des tensions et difficultés dans le scénario, est synonyme d’espoir, de richesse culturelle et même d’amour. Car oui, Métisse est une comédie sentimentale dont la dimension sociale, bien réelle et même essentielle, est traitée avec légèreté (au niveau du ton) mais pas avec superficialité (la nuance est de taille).
S’il se distingue assez radicalement des autres films de Kassovitz en termes d’atmosphère, Métisse n’a toutefois rien d’un ovni dans sa filmographie, tant on y retrouve les thèmes chers à son cœur et ses principales influences cinématographiques. Concernant celles-ci, on pense bien sûr à Spike Lee (période Do the Right Thing, sorti quatre ans plus tôt) – une référence revendiquée depuis toujours – mais aussi à Bertrand Blier et plus particulièrement à Préparez vos mouchoirs, qui lui aussi mettait en scène un trio amoureux composé de deux hommes et d’une femme (les premiers étant volontiers benêts et un peu perdus, la seconde aussi intelligente que libre ; on retrouve ici une dynamique comparable même si Métisse joue beaucoup moins la carte de l’absurde, mais plutôt celle du réalisme social).

Au niveau des thématiques, la banlieue (qui sera le cadre principal de La Haine) est déjà présente puisque le personnage de Félix vit dans une cité à Saint-Denis. Mais Kassovitz montre surtout ses aspects positifs (sans éluder les difficultés auxquelles sont confrontées Félix et surtout son frère, campé par Cassel), dont une certaine solidarité entre ses habitants (voir la scène où Félix saute sur le capot d’une voiture pour signifier à ses voisins qu’il faut la surveiller). Et même quand il filme la violence policière, qui sera le point de départ de La Haine, cela donne une séquence plutôt nuancée qui finit par devenir franchement comique (cet humour n’effaçant bien entendu pas la dimension critique du regard de l’auteur). Plus généralement, Métisse montre une France urbaine et multiculturelle que le cinéma hexagonal d’alors décrivait rarement, et ce parti pris donne bien entendu une partie de sa valeur au film, tant du point de vue purement humain que sociologique.
Julie Mauduech est lumineuse ; elle mène allègrement cette valse de six pieds et nulle personne sensée ne songerait à lui contester ce rôle, tant la jeune comédienne et costumière, qui a été l’épouse du réalisateur, irradie l’écran de son aura précieuse. Son personnage a une portée symbolique : dans le film, elle relie deux cultures différentes, et leur apprend à s’unir et à s’aimer autour d’un projet constructif (l’éducation d’un enfant). D’un certain point de vue, cette fonction de « guide » fait de Lola une sorte de Marianne moderne…

Autour d’elle, Jamal et Felix se lancent des insultes racistes, échangent des coups avant que peu à peu, une harmonie presque inespérée ne survienne. On pourrait trouver ça un peu mièvre, mais l’énergie qui porte le film fait qu’on y croit jusqu’au bout. L’énergie est d’ailleurs ici un maître mot : c’est avec elle que Kassovitz compense un budget qu’on devine modeste. Les scènes sont dynamiques, pleines de vie (on note plusieurs plans-séquence bien maîtrisés), rythmées par les beats hip-hop choisis pour la bande originale ou encore bercées par le Take me Coco de Zap Mama, et ses belles harmonies vocales. Il n’y a pas un temps mort, mais le film laisse néanmoins ses personnages prendre forme, respirer, autant qu’il soigne la présentation de leur background familial et culturel respectif. Celui-ci tord le cou à certains clichés qui ont la vie dure : le blanc/juif est plutôt pauvre et deale occasionnellement ; le noir/musulman est fils de diplomate et brillant étudiant.
Au niveau du casting, outre Julie Mauduech, on retrouve Kassovitz lui-même, convaincant en livreur nerveux, grande gueule et maladroit. Il affirmait ici un talent d’acteur (il avait déjà fait quelques apparitions, mais Métisse lui a offert son premier rôle important) qui n’échappera pas à Jacques Audiard, lequel le fera tourner dès l’année suivante dans son premier long, Regarde les hommes tomber, aux côtés de Jean Yanne. (Si on compare les prestations de Kassovitz dans ces films, on remarque déjà sa capacité à composer dans des registres très différents.)

Dans Métisse, son « rival » est campé par Hubert Koundé et son frère aîné par Vincent Cassel (son père, le célèbre Jean-Pierre Cassel, interprète le rôle d’un gynécologue), deux acteurs qui exploseront deux ans plus tard dans La Haine. S’il y a donc plusieurs ingrédients communs entre les deux premiers longs métrages de Mathieu Kassovitz (le métissage ethnique, culturel et religieux, la banlieue, le hip-hop, la police…), il y a entre eux un fossé au niveau de l’approche et du ton. On sait, dans les (très) grandes lignes, pourquoi : remué par l’affaire Makomé M’Bowolé, une bavure policière qui se déroula l’année de la sortie de Métisse dans le 18ème arrondissement de Paris, Mathieu Kassovitz décidera alors de traiter frontalement de problèmes graves sur un ton grave, et ce parti pris marquera presque tous ses autres films (si l’on excepte Gothika et le polar Les Rivières pourpres, deux films de commande, enfin surtout le premier : Kassovitz participa activement à l’écriture des Rivières…, film dont il reste fier aujourd’hui et pour cause, il n’est pas dénué de qualités).
Même son style de réalisation allait changer (bien que sur ce point, des raisons économiques ont sans doute une influence) ; en effet si Métisse porte clairement sa patte visuelle, le film est, au niveau strictement formel, plus « brouillon », moins sophistiqué que ceux qui suivront, tous cadrés au cordeau (quoiqu’on en dise sur le fond, L’Ordre et la morale est remarquablement bien filmé) et parfois même un peu démonstratifs sur le plan de la technique. Loin d’être, à mon sens, une faiblesse, la mise en scène de Métisse, parce qu’elle procure une impression de spontanéité, contribue à la fraîcheur de ce premier film précieux et entraînant qui, même s’il a moins marqué les mémoires que son illustre successeur, s’affirme comme une pièce importante du cinéma français des années 90.
Vous pouvez le découvrir ou le revoir, gratuitement, sur le site de France TV, parmi d’autres premiers films.
Métisse n’a rien perdu de son énergie positive et communicative, presque trente années après sa sortie. C’est aussi une œuvre qui a une portée sociale signifiante, et qui porte une véritable vision, profondément humaniste, de la société française, tout en assumant une légèreté qu’on ne retrouvera que par (toutes) petites touches dans les films suivants de Mathieu Kassovitz. On ne peut sans doute pas lui en faire le reproche, car cela reviendrait à blâmer une démarche sincère qui découle peut-être autant des maux d’une époque que d’un choix personnel ; mais on a le droit de vouloir se replonger dans ce premier film avec nostalgie, d’autant qu'il a traversé les années avec grâce – on peut même considérer, et c’est bien sûr tout à fait subjectif et discutable, qu’il s’agit du meilleur long métrage de son auteur.
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