Film de John Huston
Titre original : The Dead
Année de sortie : 1987
Pays : États-Unis
Scénario : Tony Huston, d’après la nouvelle de James Joyce The Dead, parue dans le recueil Les Gens de Dublin (Dubliners)
Montage : Roberto Silvi
Photographie : Fred Murphy
Avec : Angelica Huston, Donal McCann, Helena Carroll, Cathleen Delany, Marie Kean
The rain falls on my heavy locks, and the dew it wets my skin.
My baby lies cold within my arms, but none will let me in.
Gens de Dublin est l’ultime film de John Huston. Cette œuvre mélancolique, adaptée d’une nouvelle de l’écrivain irlandais James Joyce, a magnifiquement ponctué la carrière de l’un des plus grands réalisateurs américains de son temps.
Synopsis de Gens de Dublin
Dublin, 1904. Les vieilles demoiselles Morhan donnent un dîner pour le réveillon de noël. Au terme de la soirée, une chanson évoque à Gretta Conroy (Angelica Huston) une histoire ancienne et douloureuse, qu’elle n’avait jusque là jamais partagée avec son mari Gabriel (Donal McCann).
Critique du film
Snow is falling (…), falling faintly through the universe, faintly falling like the descent of their last end upon all the living and the dead.
De nombreux films de John Huston, et non des moindres, sont adaptés d’un roman ou d’une nouvelle : Moby Dick, La Nuit de l’Iguane, Reflets dans un œil d’or, Fat City, Wise Blood, Au-dessous du volcan… A travers ces adaptations, le cinéaste explorait les styles et les univers d’auteurs très différents (Tennessee Williams, Malcolm Lowry, Herman Melville, Carson McCullers, etc.) en témoignant d’un respect et d’une compréhension intime de l’œuvre, dont on devinait qu’elle l’avait profondément marqué et fasciné.
Plusieurs raisons expliquent, sans doute, ce qui l’a poussé à adapter la nouvelle de James Joyce The Dead, outre la qualité inhérente à celle-ci. D’abord, Huston s’était expatrié en Irlande dans les années cinquante, on peut donc voir dans le film une marque d’attachement à ce beau pays – d’ailleurs, en 1984, soit trois ans avant Gens de Dublin, il avait tourné Au-dessous du volcan au Mexique, un autre pays qui compta beaucoup dans sa vie. Ensuite, The Dead parle du temps qui passe, de l’amour, du couple, de la vie, de la mort ; des thèmes qui, probablement, devaient particulièrement toucher le metteur en scène, alors âgé de 80 ans. Il émane donc du film une sincérité et une implication particulières, du fait de cette relation intime entre un metteur en scène, un pays et un texte, celui de Joyce ; et c’est sans doute pourquoi Gens de Dublin est aussi juste et émouvant. Le scénario est d’ailleurs très fidèle à la nouvelle, dont il reprend plusieurs passages à l’identique ; et l’alchimie entre les mots de l’écrivain et les images du metteur en scène est admirable (notamment lors de la scène finale).
La première heure du film est essentiellement consacrée au déroulement du dîner ; on y fait connaissance avec une époque, une culture et des personnages, parmi lesquels Gretta (interprétée par la fille du réalisateur, Angelica Huston) et Gabriel Conroy (joué par le comédien irlandais Donal McCann). Déjà, le passé apparaît en filigrane derrière les conversations qui animent le repas, et au cours desquelles sont mentionnés divers souvenirs. Et quand la caméra de John Huston se glisse dans une chambre vide, pendant que l’une des hôtesses interprète Arayed for the Bridal (chanson écrite par George Linley sur une musique de Vincenzo Bellini), c’est pour y évoquer des années disparues.
Les scènes se succèdent donc en suggérant par petites touches la thématique de la nouvelle, mais sans provoquer une réelle implication émotionnelle – ou alors de façon fugace, comme lors du mouvement de caméra décrit à l’instant. Et puis survient une séquence qui fait soudainement basculer Gens de Dublin au cœur de son sujet – tandis qu’elle descend les marches d’un escalier, Gretta Conroy s’immobilise brusquement ; au premier étage, l’un des convives vient de commencer à chanter La Fille d’Aughrim (la version irlandaise d’une ballade populaire anglaise ou écossaise), et visiblement cette chanson provoque chez elle une émotion particulière. Gabriel observe son épouse, intrigué, fasciné même par cette réaction dont il ne comprend alors pas l’origine. Le spectateur ne la comprend pas davantage ; nous sommes donc dans la même position que Gabriel, et de fait la solitude qu’il éprouve (bien que tout près de sa femme, il se sent loin d’elle) nous gagne aussitôt. C’est une émotion pure, intime que le jeu de l’actrice et la musique nous communiquent ici – une émotion d’autant plus troublante qu’aucune référence explicite ne vient la filtrer
. Il s’agit probablement de l’une des plus belles scènes tournées par Huston, une scène à laquelle le hors champ, l’invisible, le non-dit, donnent une aura profondément nostalgique et singulière.
Les pensées de Gabriel, sur lesquelles le film s’achève et qui suivent fidèlement le très beau texte de James Joyce, ponctuent Gens de Dublin d’une note grave et mélancolique – la toute dernière que jouera John Huston. Une manière certes un peu triste, mais très belle de clore son imposante filmographie.
Bel hommage au texte de l'un des plus grands écrivains du 20ème siècle - James Joyce -, Gens de Dublin est une méditation poignante sur le temps qui passe, sur la mort et sur la solitude. Un film testament
par excellence, dont l'illustre auteur (John Huston) mourut quelques temps avant sa sortie au cinéma. Dès lors, les mots de James Joyce qui ponctuent la fin du film sonnent comme une épitaphe - et constituent un bien bel adieu.
3 commentaires
Qu’est ce j’ai pu m’ennuyer en regardant ce film qui a si mal veilli…
Un de mes livres et de mes films préférés : je ne me lasse pas de cette atmosphère si particulière…
La mélancolie qui baigne tout le film et les scènes finales à partir du moment où s’achève le réveillon en font une oeuvre qui me touche toujours autant.