Film de Bent Hamer
Année de sortie : 2005
Pays : Norvège, France, États-Unis, Allemagne, Italie
Scénario : Bent Hamer et Jim Stark, d’après le roman Factotum de Charles Bukowski
Photographie : John Christian Rosenlund
Montage : Pål Gengenbach
Musique : Kristin Asbjørnsen
Avec : Matt Dillon, Lili Taylor, Didier Flamand, Marisa Tomei
Henry Chinaski: Some writers tend to write what has pleased their readers in the past. They hear accolades & believe them. There is only one final judge in writing, and that is the writer. When he is swayed by the critics, the editors, the publishers, the readers, then he is finished. And of course when he is swayed with his fame & his fortune, you can float him down the river with the turds.
Factotum, du réalisateur norvégien Bent Hamer, compte parmi les meilleures adaptations cinématographiques d’une œuvre de Charles Bukowski. Matt Dillon, en alter ego de l’écrivain américain, est particulièrement convaincant.
Synopsis de Factotum
Henry Chinaski (Matt Dillon) vivote de petits boulots précaires, d’allocations chômages, de paris hippiques. Souvent à la rue et sans le sous, il fume et boit à outrance tout en se consacrant quotidiennement à sa passion, l’écriture.
Un soir il rencontre Jan (Lili Taylor), qui comme lui est une marginale portée sur la boisson. Tous deux entament une relation houleuse.
Critique du film
Jan: The Bible says love your neighbour
.
Henri Chinaski: It also means leave him alone
.
En s’attaquant à l’adaptation de Factotum, le second roman de Charles Bukowski, Bent Hamer se penche sur une période de la vie de l’écrivain – en gros, les galères et multiples petites boulots par lesquels il est passé avant d’être publié – qui correspond à celle dont traitait déjà Barfly (1987) de Barbet Schroeder.
Après Mickey Rourke, c’est donc ici le charismatique Matt Dillon qui incarne Henry Chinaski, l’alter égo de l’écrivain. Amusant de songer que les deux acteurs, alors qu’ils se donnaient la réplique dans le culte Rusty James (1983) de Coppola, allaient plus tard chacun composer Bukowski à l’écran – un exercice difficile, tant il appelle facilement la caricature. Si Rourke avait déjà convaincu en son temps, les premiers plans de Factotum imposent d’emblée un constat tout aussi flatteur pour Dillon : sa présence physique, sa diction, sa démarche et sa posture convoquent naturellement l’aura de l’écrivain disparu, dont l’acteur ressuscite le détachement et la prestance atypique sans verser une seconde dans l’imitation – autre célèbre piège que réserve ce type de performance.
A ses côtés, l’actrice Lili Taylor (connue notamment pour sa prestation dans l’excellente série Six Feet Under) est également très juste dans le rôle parfois ingrat de Jan (pour lequel elle reçut le prix de la meilleure actrice au Festival international du film de Copenhague), tout comme Marisa Tomei – qui joue notamment dans le dernier film de Sidney Lumet (7h58 ce samedi-là) – dans celui de Laura.
Le jeu finalement assez « sobre » de Matt Dillon est conforme à la tonalité et au réalisme du film dans son ensemble. Il est clair que Bent Hamer n’a pas cherché à insister particulièrement sur les bagarres, les soirées dans les bars, les cuites ; ce qui semble en effet avoir intéressé le metteur en scène et co-scénariste, c’est la personnalité de l’artiste et son rapport avec le monde dans lequel il évolue. Son refus total de la compromission, son détachement, son indépendance (There’s only one final judge of writing, and that is the writer
), son regard un peu désabusé sur son époque et ses contemporains, et par dessus tout cette volonté tenace de ne jamais renoncer à sa passion – l’écriture. Ce sont ces éléments qui font que le quotidien de Chinaski, s’il est toujours précaire et parfois chaotique, n’inspire jamais le désespoir, le sordide ou le pathos. L’homme a une tenue, une ligne de conduite dont il ne s’écarte jamais vraiment au fil de ses expériences. Et s’il boit énormément, il garde cette prestance, cette classe qu’on retrouve un peu, par exemple, chez des personnages tels que le consul imbibé né sous la plume de Malcolm Lowry dans son roman culte Au-dessous du volcan. Style is the answer to everything
, écrivait d’ailleurs Bukowski dans l’un de ses plus célèbres poèmes – que Ben Gazzara récite lors de la première scène de Conte de la folie ordinaire, une adaptation (par Marco Ferreri) à mon sens plutôt ratée du recueil de nouvelles éponyme.
Il y a donc une dignité, un sens derrière les errances de Chinaski, et Factotum exprime parfaitement cette idée centrale. Pour mieux souligner l’universalité du propos, le réalisateur transpose d’ailleurs le roman à une autre époque et en d’autres lieux (l’action ne se déroule pas à Los Angeles).
L’esthétique de Factotum reflète le parti pris du film : alors que l’histoire aurait pu suggérer une photographie sale et poisseuse, Bent Hamer et le chef opérateur John Christian Rosenlund optent pour une lumière douce, automnale. La caméra ne s’agite pas non plus inutilement, refusant de figurer, par des mouvements brouillons à l’épaule, le quotidien instable du protagoniste. Au contraire, elle suit son parcours par de longs plans fixes et des plans séquences – la scène où Chinasksi se lève aux côtés de Jan puis la quitte est un plan séquence de plus de 5 minutes – à la manière d’un observateur calme et patient, donnant ainsi une impression de distance qui fait écho à celle que Chinaski témoigne à l’égard de bien des aspects du monde qui l’entoure.
Plusieurs images font passer des idées simples et justes sur la vie du personnage ; comme ce plan montrant Chinaski regarder la ville par la seule fenêtre d’un grand immeuble en briques rouges. Ici, Bent Hamer illustre intelligemment la solitude de l’écrivain, son indépendance et son regard unique sur le monde. Par extension, l’image symbolise aussi la position de l’artiste en général au sein de la société.

Au centre : Chinaski se tient à l’unique fenêtre d’un immeuble, dans un plan très significatif de la personnalité et de la posture de l’écrivain.
Il émane du film une atmosphère d’attente, comme s’il était entièrement suspendu à son optimiste conclusion ; laquelle tient en les quelques mots prononcés par Matt Dillon dans l’ultime séquence :
If you’re going to try, go all the way. There is no other feeling like that. You will be alone with the gods. And the nights will flame with fire. You will ride life straight to perfect laughter. It’s the only good fight there is.
Une déclamation intemporelle en l’honneur de laquelle Bent Hamer a signé, avec Factotum, une ode élégante, bercée par la musique aérienne et mélancolique de la chanteuse et compositrice norvégienne Kristin Asbjørnsen.
Avec beaucoup de sobriété (à l'image de l'interprétation très juste de Matt Dillon) et sans tomber dans la caricature que Bukowski inspire parfois aux cinéastes, Factotum rend un bel hommage à l'écrivain américain et à l'écriture en général.
3 commentaires
Film assez juste en effet, aussi bien sur l’interpretation
que sur l’humour aussi très présente dans le film
Que ce soit sur les relations avec son père, ou l’épisode du feu
dans l’immeuble. Pour moi certainement le meilleur film sur ce formidable écrivain
que pouvait être Bukowski.
Je suis d’accord, j’ai préféré « Factotum » à « Barfly », qui était déjà plutôt réussi d’ailleurs.
« Conte de la folie ordinaire » pose un regard sur la société américaine et son décor totalement inédit, et d’une grande justesse, loin du glamour télévisé ou de son faux réalisme. Ferreri l’européen et Carpenter le local (dans « Invasion Los Angeles ») proposent un portrait social sans fard de la mal-nommée cité des anges – qui d’autre ?