Film d’Asghar Farhadi
Pays : Espagne
Année de sortie : 2018
Titre original : Todos lo saben
Scénario : Asghar Farhadi
Photographie : José Luis Alcaine
Montage : Hayedeh Safiyari
Musique : Javier Limón
Avec : Javier Bardem, Penélope Cruz, Ricardo Darín, Bárbara Lennie, Inma Cuesta, Eduard Fernández
Everybody Knows propose un habile mélange de thriller et de drame familial, que le réalisateur iranien Asghar Farhadi mène sans temps mort.
Synopsis du film
Laura (Penélope Cruz) vit avec son mari Alejandro (Ricardo Darín) et ses deux enfants en Argentine. À l’occasion du mariage de sa sœur cadette, elle retourne dans le petit village espagnol où elle a grandi. La fête bat son plein, mais la soudaine disparition de la fille de Laura bouleverse dramatiquement le cours des choses. Des tensions et secrets familiaux vont peu à peu ressurgir…
Critique de Everybody Knows
Everybody Knows, le huitième long-métrage d’Asghar Farhadi, a fait l’ouverture du Festival de Cannes 2018, et ce n’est pas forcément une position si enviable que cela ; certes, elle apporte au film un écho médiatique évident mais dans le même temps, elle le soumet à une critique cinéma qui, biaisée par l’étiquette « ouverture de Cannes » (un festival où l’on confond fréquemment exigence et snobisme), tend à se montrer alors particulièrement sévère. Le film de Farhadi, un réalisateur qui a plutôt les faveurs de la presse d’ordinaire, a d’ailleurs reçu un accueil plutôt tiède. Pas assez politique, pas assez polémique, pas assez choc, pas assez arty peut-être pour lancer la 71ème édition du festival cannois.
Pourtant, Everybody Knows est un bon film et si l’on se penche sur son écriture, son interprétation et sa mise en scène, on trouvera peu à redire : tout ici est maîtrisé, bien exécuté, tandis que la plume du réalisateur et scénariste brosse des personnages crédibles, nuancés, auxquels le jeu des comédiens fait honneur.
C’est important d’insister sur ce point (la caractérisation des personnages) car si Everybody Knows possède un aspect thriller loin d’être négligeable, il relève davantage du drame familial – et c’est un genre qui se passe difficilement de personnages solides (même si, me répondrez-vous fort justement, rares sont les bons films qui se passent de ce critère, tous genres confondus). L’enlèvement qui est au cœur du film génère certes son principal suspense (la question première que l’on se pose concerne le sort de l’adolescente kidnappée), mais ce qui intéresse particulièrement Asghar Farhadi, c’est la manière dont les membres de la famille – et même les habitants du village où se situe l’action – vont réagir.
Ces réactions s’inscrivent dans différents registres : psychologiques, sentimentaux mais aussi sociaux (le personnage interprété par Javier Bardem est un fils de domestique devenu propriétaire d’un domaine viticole, et cette position lui vaut des critiques). Dans leur forme également, ces réactions varient : elles sont tantôt individuelles (les différents membres de la famille), tantôt collectives (le petit village de campagne et ses éternels bruits et rumeurs). La grande réussite du film réside dans sa capacité à décrire les conséquences de l’enlèvement et à dessiner des liens familiaux, sociaux et amoureux souvent complexes avec une justesse indéniable : tout sonne vrai et chaque personnage possède son histoire, sa manière d’appréhender les choses.
Malgré une longueur un peu au-dessus de la moyenne (2h10), Everybody Knows n’est jamais ennuyeux. Le rythme est enlevé, les scènes sont souvent courtes et le réalisateur choisit intelligemment ce qu’il doit et ce qu’il ne doit pas nous dire. On arrive donc sans fausses notes vers une conclusion cohérente, emmené par la précision du texte, de la mise en scène et des comédiens (Javier Bardem est particulièrement remarquable, mais Penélope Cruz, Ricardo Darín – vu récemment dans l’excellent El Presidente – et tous les acteurs secondaires apportent beaucoup au film). On peut bien sûr ne pas être transporté par le sujet, c’est affaire de goût et de sensibilité – mais Everybody Knows est une œuvre solide qui méritait mieux, sans pour autant que l’on crie au chef d’œuvre, que les retours souvent mitigés qui ont suivi sa projection.
Dans Everybody Knows, Asghar Farhadi maîtrise parfaitement son sujet et excelle dans l'art d'observer des personnages et un milieu social en se gardant bien de tout jugement et de toute caricature, et en faisant preuve d'un précieux sens de la nuance. Une réussite.
Aucun commentaire