Arthur Penn joua un rôle majeur dans le renouveau du cinéma américain, au cours de la seconde moitié des années 60. Figure emblématique du Nouvel Hollywood, il se distingua autant par une vision volontiers désabusée et critique de l’Amérique que par un traitement frontal, spectaculaire (et à l’époque révolutionnaire) de la violence.
Arthur Penn, une figure majeure du « nouvel Hollywood »
Arthur Penn débute sa carrière de réalisateur au cinéma en 1958 avec un western, Le Gaucher, dans lequel Paul Newman interprète Billy the Kid. En dépeignant le célèbre hors-la-loi comme un adolescent désorienté et rebelle pas très éloigné d’une certaine jeunesse américaine des années 50 (marquées par l’avènement du rock and roll), Penn affirme une posture assez moderne, qu’il va confirmer quelques années plus tard en s’affirmant comme l’une des grandes figures du Nouvel Hollywood.
Comme l’explique très bien Jean-Baptiste Thoret dans son livre Le Cinéma américain des années 70, plusieurs événements historiques et culturels ont favorisé l’émergence de ce mouvement cinématographique ; on citera notamment l’assassinat de Kennedy, le mouvement américain des droits civiques et la guerre du Vietnam.
La Poursuite impitoyable et Bonnie and Clyde : une nouvelle représentation de la violence et une vision subversive de la société américaine
Le premier film d’Arthur Penn à initier une nouvelle approche de la violence et une vision très critique de l’Amérique est La Poursuite Impitoyable. La scène où le shérif Calder, interprété par Marlon Brando, se fait lyncher est particulièrement significative. Défiguré, ensanglanté, il fait face à une foule de témoins passifs et symbolise ainsi la mauvaise conscience d’une Amérique confrontée à sa propre violence. Dans le film, le metteur en scène dépeint une foule d’américains irresponsables, racistes, stupides, face à laquelle les rares personnages lucides et intelligents demeurent impuissants. Le tableau est d’une rare noirceur pour le cinéma hollywoodien de l’époque.
La même année, il va plus loin, au niveau formel, avec Bonnie and Clyde, marqué notamment par l’influence de la nouvelle vague française (François Truffaut a été approché pour réaliser le film). La scène finale, où le couple de gangsters est littéralement criblé de balles par la police, est révolutionnaire par sa violence extrême pour l’époque, et par l’utilisation brillante du ralenti, un procédé alors rarement exploité. Une explosion de violence précédée par une succession de plans admirablement montés. Coppola se rappellera de cette séquence en filmant l’assassinat de Sonny (James Caan) dans Le Parrain.
Arthur Penn et le western
Dans les années 1970, Penn réalise deux westerns en rupture avec le western américain traditionnel ; Little Big Man, un de ses films les plus célèbres, et le moins connu The Missouri Breaks, qui réunit Jack Nicholson et Marlon Brando. The Missouri Breaks s’inscrit directement dans une vague de westerns dépeignant la transition brutale et arbitraire entre l’American old West et l’époque où les riches propriétaires, les puissants, imposèrent leurs propres règles.
Dans le film, des voleurs de chevaux plutôt sympathiques sont traqués et froidement abattus par un « régulateur » psychopathe et excentrique (Marlon Brando) engagé par un riche propriétaire terrien. Cette peinture sans concessions et désabusée de l’ouest américain de la fin 19ème siècle – début 20ème siècle, on la retrouve notamment dans Butch Cassidy et le Kid de George Roy Hill, dans John McCabe de Robert Altman, dans Pat Garrett et Billy the Kid de Sam Peckinpah et La Porte du paradis de Michael Cimino.
Night Moves : l’Amérique trouble des années 70
En 1975, Arthur Penn réalise Night Moves, grand et beau film noir où des personnages un peu perdus, en quête de repères, évoluent dans un univers de mensonges et de trahisons très représentatif de l’Amérique du Watergate. Sans doute son film le plus émouvant, servi par une interprétation grandiose de Gene Hackman.
Inventif au niveau de la forme, audacieux et subversif au niveau du fond, Arthur Penn a signé plusieurs films majeurs dont la réalisation est au service de récits volontiers amers, parfois porteurs d’une critique sociale explicite, et portés, tant bien que mal, par des antihéros chancelants, en prise avec leur propre violence et celle du monde qui les entoure.
4 commentaires
Ahalala, j’ai adoré tous les films que j’ai vu d’Arthur Penn…
Effectivement, ce traitement de la violence si particulier, sur fond d’injustices de toutes sorte, est très fort. Je me rappelle encore, d’ailleurs, ce sentiment d’injustice qui me tenaillait à la vision de la Poursuite Impitable, ou d’autres de ces films…
Et au fait, Miracle en Alabama n’est-il pas une oasis de fraicheur, dans sa filmographie ? Il faudrait que je le revois pour être sûre 🙂
Et j’adore aussi Peckinpah, dont tu dit qu’il a été inspiré de lui. Je confonds souvent leurs films, d’ailleurs !
Cet article me donne envie de (re)voir plein de films ! 🙂
De Peckinpah, je te conseille bien sur « La horde sauvage » et « Pat Garrett et Billy the Kid », mais aussi « Croix de Fer » un film de guerre dont les « héros » sont des allemands sur le front russe, avec James Coburn, et « Les Chiens de Paille », remarquable réflexion sur la violence, mais peut-être les as-tu tous vus?
Du coté des films de Penn, je crois effectivement que « Miracle en Alabama » est plus léger mais je ne l’ai pas vu. Il y aussi « Alice’s restaurant » qui est plutôt frais mais pas terrible je trouve.
Si tu aimes le cinéma de cette époque je te conseille aussi « Conversation secrète » de Coppola.
[…] lire : Un portrait chez Citizen Poulpe Une interview d’Arthur Penn par Damien Love datant d’août 2009 et parue dans le Bright […]
Bel extrait qui convoque au moins trois talents : celui de Brando dans l’un de ses meilleurs rôles, celui, sous-évalué, d’Angie Dickinson, celui encore de John Barry, avec sa musique tendue et obsessionnelle. Le film s’inscrit dans la lignée du « gothique sudiste » ; l’ombre vénéneuse de Tennessee Williams plane tout du long.
Le côté démonstratif de Penn ne l’empêche pas de s’adonner au glamour avec son légendaire couple de hors-la-loi, très éloigné de la réalité, parait-il, auquel on peut largement préférer le factuel « Les Tueurs de la lune de miel », lui aussi film unique de Kastle.
« Miracle en Alabama » possède une vraie charge physique, amoindrie toutefois par son statut de « véhicule oscarisable » pour Anne Bancroft et Patty Duke. L’académie de « professionnels de la profession » qui décerne ce prix raffole en effet du handicap exploité par la performance.