Film de Guillaume Brac
Année de sortie : 2020
Pays : France
Scénario : Guillaume Brac, Catherine Braillé
Photographie : Alan Guichaoua
Montage : Héloïse Pelloquet
Avec : Éric Nantchouang, Salif Cissé, Édouard Sulpice, Asma Messaoudene, Ana Blagojevic, Lucie Gallo, Martin Mesnier, Nicolas Pietri, Cécile Feuillet, Jordan Rezgui
À l’abordage prolonge la veine naturelle et spontanée de Contes de juillet, avec une égale dextérité.
Synopsis du film
Félix (Éric Nantchouang) et Alma (Asma Messaoudene), deux jeunes gens d’une vingtaine d’années, passent une soirée ensemble à Paris, au cours de laquelle ils échangent quelques baisers. Au petit matin, Alma prend le train pour rentrer chez ses parents, dans la Drôme.
Félix décide alors de prendre une semaine de congés pour aller la retrouver, sans la prévenir. Il propose à son ami Chérif (Salif Cissé) de l’accompagner. Les deux compères, qui vivent dans le même quartier populaire en banlieue parisienne, réservent un blablacar et se retrouvent dans la voiture d’Édouard (Édouard Sulpice).
C’est le début d’une petite aventure pleine d’imprévus, de tensions, de tendresse et d’incertitudes…
Critique d’À l’abordage
Le dernier film de Guillaume Brac est né d’une proposition faite par le Conservatoire National d’Art Dramatique, consistant à écrire un film pour des comédiens en formation – ce qui correspond d’ailleurs plus ou moins à la manière dont Contes de juillet, son film précédent, avait pris forme.
Ce n’est pas le seul point commun entre ces deux films : on perçoit, dans À l’abordage comme dans Contes de juillet, le même souci de donner au spectateur l’impression d’assister à d’authentiques moments de vie, que le réalisateur ne cherche pas à « dramatiser » outre mesure. Cette approche est perceptible dès les premiers courts et moyens métrages de Brac, mais il est vrai que Tonnerre, loin d’être à l’opposé de celle-ci, entretenait cependant une tension dramatique progressive, flirtant même, à sa façon bien particulière, avec le thriller. Contes de juillet, et maintenant À l’abordage, poussent plus loin que Tonnerre la filiation entre Brac et son cinéaste fétiche, Jacques Rozier.
Le mot « naturel » est celui qui vient le plus immédiatement à l’esprit quand on regarde À l’abordage (ou n’importe quel film de Rozier) : les situations, les dialogues, le jeu des comédiens ne diffèrent pas, dans leur tonalité et leur contenu, de ce qu’on pourrait observer et entendre dans la « vraie vie », tandis que la réalisation se soustrait à toute volonté démonstrative, à toute esthétique trop ouvertement travaillée. Brac a par ailleurs écrit les personnages du film en s’inspirant de la personnalité des comédiens qui les interprètent, rendant ainsi plus encore un peu plus poreuse la frontière entre réalité et fiction (rappelons qu’il a réalisé un documentaire, L’île au trésor). Il a d’ailleurs, de son propre aveu, expliqué aux acteurs que leurs personnages respectifs correspondaient en quelques sortes à celles et ceux qu’ils seraient potentiellement devenus s’ils n’avaient pas choisi de faire de la comédie.

Le résultat est, comme pour Contes de juillet, séduisant et plein de charme. Si l’effort et le travail sont imperceptibles à l’écran, il est en réalité extrêmement difficile d’insuffler, dans un film, une telle spontanéité, une telle vivacité. Tutoyer à ce point l’ordinaire exige une précision d’orfèvre, autant qu’une grande sensibilité, sans lesquelles on a vite fait de sombrer dans la banalité ou l’anecdotique. À l’abordage est bien loin de ces travers : c’est un film qui célèbre la jeunesse et l’amour avec une délicatesse rare. La caméra est elle-même délicate, et discrète ; on ne pense jamais à elle, tant elle paraît s’effacer devant les instants fugaces qu’elle enregistre.
La dimension sociale du film est traitée d’une façon tout aussi pudique. Félix et Chérif vivent tous deux dans un quartier populaire, et plusieurs détails viennent habilement nous le rappeler ; toutefois, ce n’est jamais surligné, tandis que leur personnalité est bien loin des clichés dont témoigne souvent le cinéma français quand il cherche à dépeindre des personnages issus des banlieues défavorisées. De toute évidence, Guillaume Brac n’est pas étouffé par les préjugés, et son regard sur la jeunesse française émeut par sa bienveillance jamais mièvre (ses personnages sont tous nuancés : ils peuvent être tour à tour sympathiques, lourds, agressifs, fragiles, injustes, généreux…).
Les acteurs nous procurent un plaisir constant. On devine qu’ils ont dû broder autour de situations données, ne disposant sans doute pas d’un texte très écrit, et ils le font admirablement bien. Les amours souvent contrariés vécus par leurs personnages font songer, parfois, au cinéma de Rohmer (les critiques évoquent, bien entendu, son fameux Conte d’été) mais encore une fois, c’est bien de Rozier dont Guillaume Brac semble être le plus proche, même s’il ne cache pas son admiration pour le réalisateur de Pauline à la plage. Brac n’a, ceci dit, rien d’un imitateur ; il est même, assurément, l’une des personnalités les plus singulières et intéressantes du cinéma français contemporain.
Voir À l’Abordage sur Arte
Le film, produit par Arte, est visible gratuitement sur le site de la chaîne franco-allemande ainsi que sur sa chaîne YouTube.
Avec À L'Abordage, Guillaume Brac filme une jeunesse amoureuse d'une bien jolie manière, parvenant à saisir des moments simples et précieux qui nous vont droit au cœur. On oublie volontiers la caméra, ce qui veut dire, en général, qu'elle est fort bien employée ; en l'occurrence, par l'un des cinéastes les plus talentueux de sa génération.
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