Film de Stephen Frears
Année de sortie : 1984
Pays : Royaume-Uni
Scénario : Peter Prince
Musique : Eric Clapton, Paco de Lucía
Photographie : John A. Alonzo, Mike Molloy
Montage : Mick Audsley
Avec : John Hurt, Tim Roth, Laura del Sol, Terence Stamp, Bill Hunter, Fernando Rey.
Willie Parker (parlant de la mort) : It’s just a moment. We’re here. Then we’re not here. We’re somewhere else… maybe. And it’s as natural as breathing. Why should we be scared?
Avec The Hit, Stephen Frears signe un film atypique qui est avant tout une réflexion sur la mort et plus particulièrement sur la façon dont l’individu l’appréhende et l’affronte le moment venu.
Ce polar philosophique est servi par des « gueules » du cinéma britannique, dont John Hurt, Terence Stamp et le jeune Tim Roth, dans l’un de ses premiers rôles.
Synopsis de The Hit
Willie Parker (Terence Stamp), un gangster britannique, dénonce ses complices après un deal passé avec la police.
Dix ans plus tard, alors qu’il menait une vie paisible en Espagne, Parker est kidnappé par deux tueurs à gages : l’expérimenté Braddock (John Hurt) et le jeune et instable Myron (Tim Roth).
Tandis qu’ils prennent la direction de Paris, Myron et Braddock sont peu à peu intrigués par l’attitude étonnement sereine et décontractée de Parker, alors que celui-ci semble parfaitement conscient de sa mort imminente…
Critique du film
Ce n’est pas un hasard si The Hit s’ouvre sur un très beau plan (d’abord énigmatique, et qui est en réalité extrait d’une scène clé du film) montrant John Hurt, de dos, auprès d’une tombe : ce film étonnant, le troisième du réalisateur britannique Stephen Frears, détourne les codes du cinéma noir pour porter avant toute chose un regard éclairé sur « la » situation existentielle par excellence – l’être humain face à sa propre mort. Sujet qui est donc d’emblée illustré par un générique de début hautement significatif.
Après cette intéressante entrée en matière, The Hit déroule pendant quelques minutes un schéma relativement classique de film noir (tout en instillant déjà un rythme et un style qui lui est propre) : du procès où Parker dénonce tous ses complices (avec une aisance qui, déjà, surprend) au kidnapping du même Parker, 10 ans plus tard, en Espagne. Débute ensuite une sorte de road movie crépusculaire mettant en scène dans un premier temps trois personnages : le taciturne, expérimenté et insondable Braddock, dont l’identité même est un mystère ; le jeune Myron, prototype du petit voyou impulsif ; et Parker, dont le flegme et la décontraction – alors qu’il sait très bien que ses ravisseurs le conduisent à une mort certaine – produisent une note étrange, décalée, donnant le « la » d’un film qui utilise une situation relativement classique au cinéma pour explorer des questions rarement traitées aussi frontalement : peut-on vraiment se préparer à mourir ? Comment chaque individu vit ses derniers instants ? Comment appréhender l’idée même de sa propre mort ?
L’une des bonnes idées du scénario de The Hit (signé Peter Prince) est notamment d’utiliser chaque personnage pour développer une perspective distincte sur ce sujet. Y compris des personnages secondaires – à l’image de cet homme cadré en gros plan qui, en regardant son dernier match de rugby à la télévision, dit d’un ton résigné : It’s my team. They’re losing
. Il y a évidemment le point de vue de Willie Parker, celui qui surprend le plus, tant l’homme semble être parvenu, après des années de préparation, à une acceptation sereine et sans peur de sa propre fin. Il intrigue aussi bien ses ravisseurs que les spectateurs du film, sa manière d’appréhender la mort étant difficile à concevoir.
Cette sagesse qui semble inébranlable donne au personnage une aura fascinante, mystérieuse, drôle aussi – le voir siffloter, prendre des poses décontractées, ou collaborer volontiers avec Myron et Braddock prête à sourire, tant ces différentes attitudes sont complètement décalées et assez absurdes par rapport au contexte.
L’écriture témoigne d’un soin tout particulier au niveau de la caractérisation des personnages : tous une épaisseur, une histoire (même si celle-ci n’est pas explicitée), une aura qui leur est propre. Cela fonctionne d’autant mieux qu’ils sont incarnés par des acteurs charismatiques, dont les visages et les regards disent beaucoup de choses : Terence Stamp, avec ses cheveux blancs et son regard bleu, a des aspects angéliques d’ailleurs assez ironiques (son attitude est loin d’être irréprochable…), tandis qu’à certains moments, son expression se teinte d’une intensité assez saisissante (notamment lorsqu’il se tourne vers Braddock, après avoir longuement contemplé des chutes d’eau) ; John Hurt, avec ce visage dur, fermé, flanqué de lunettes noires, compose parfaitement un personnage mystérieux, ambigu et difficile à cerner ; et le tout jeune Tim Roth est parfait en petit nerveux agité, mais pas totalement dénué d’une certaine éthique.
N’oublions pas non plus la très voluptueuse Laura del Sol, dont le personnage témoigne d’une approche totalement opposée à celle de Willie : elle refuse la mort, et se bat bec et ongles pour survivre. Elle incarne une vie jeune et insoumise, en somme, face à un étrange et résigné philosophe lunaire (Willie) et un assassin morose (Braddock).
Quant à l’inspecteur de police qui est sur leurs traces, muet pendant presque toute la durée du film, le comédien espagnol Fernando Rey (vu notamment dans French Connection et Cet Obscur objet du désir) lui donne une allure et une prestance iconiques.
L’écriture est servie par une réalisation inspirée et cohérente. Stephen Frears alterne les plans serrés sur les visages – et sur la peur, la fascination, la colère, la paix, les doutes qu’on y lit – et les plans plus larges où les silhouettes et les paysages prennent une dimension solennelle, faisant écho à la thématique du film. Au travers de certaines images contemplatives, le réalisateur semble exprimer la beauté mystérieuse et le caractère immuable, éternel de la nature, soulignant ainsi, par opposition, la présence de la mort et l’aspect éphémère de la vie humaine.

Ce genre de plan donne l’impression d’une nature vaste, éternelle, tandis que l’homme est « petit » (voir la taille de la voiture au milieu du cadre) et éphémère.
Avec un sens de l’économie, une précision et une justesse de ton admirables, The Hit aborde donc un sujet fondamental autour duquel chaque personnage livre une variation crédible et unique. Un road-movie existentiel mêlant solennité, profondeur, humour et ironie avec un flegme et une classe typiquement britanniques… Brillant.
À propos du film
La musique du générique du début est signée Eric Clapton, assisté de Roger Waters, tandis que le périple espagnol des protagonistes est accompagné par la guitare omniprésente de Paco de Lucía, le célèbre guitariste flamenco, qui a donc composé la majeure partie de la musique originale de The Hit.
C’est Joe Strummer (le chanteur de The Clash) qui, après avoir décliné le rôle de Myron, recommanda le jeune Tim Roth, alors âgé de 22 ans. Strummer avait découvert Tim Roth dans le téléfilm Made in Britain (1982). Strummer tournera quelques années plus tard dans Mystery Train, de Jim Jarmusch, qui réunira d’ailleurs deux autres musiciens : Screamin’Jay Hawkins et Tom Waits (qui n’apparaît pas dans le film mais fait la voix du DJ à la radio).
The Hit a été présenté à la section Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 1984.
Terence Stamp a obtenu le prix du meilleur acteur du Evening Standard British Film, tandis qu’un prix d’interprétation collectif a été décerné à Stamp, John Hurt et Tim Roth au Mystfest (International Mystery Film Festival of Cattolica).
Lorsque Myron (Tim Roth) va prendre un verre dans un bar isolé en Espagne, la télévision diffuse de la corrida, ce qui peut être perçu comme un clin d’œil au sujet du film.
Le titre du film est possiblement à double sens. Le nom hit signifie (en argot) le « contrat », en l’occurrence celui qui vise à faire abattre Willie, mais peut aussi vouloir dire « le coup », « l’impact » ; auquel cas, le titre ferait référence également au « choc » ultime : la mort.
Subtil, élégant et crépusculaire, The Hit médite intelligemment sur l'être humain confronté à la mort. L'un des meilleurs films de Stephen Frears, servi par des acteurs à la hauteur du sujet.
6 commentaires
Oh, je ne connaissais pas du tout ce film, tu m’as donné envie de le voir.
Pas vu non plus. M’a l’air plutot interessant. A propos, j’ai revu l’affaire Tomas Crown. Faye Dunaway, Steve Mc Queen, Le split screen, la partie d’échecs, les chapeaux, la musique. Allez poulpe fait moi plaisir…
Un classique… que je n’ai pas vu !
J’ai vu ce film pour la première fois hier soir (18_ janvier 2012) sur une de mes chaînes TV Orange et il m’a fascinée, au point que j’ai eu envie d’en savoir plus sur ce film et votre commentaire est complet et EXCELLENT. Merci.
Merci à vous !
Frears, avant de s’égarer chez la Reine, Colette ou l’Angleterre rurale, signa deux grands films « noirs », comme disent les anglo-saxons : « The Hit » et « Les Arnaqueurs ». Quant à l’incandescente et bien-nommée Laura del Sol, on la reverra aux côtés… de Stévenin à la télévision française (dans la série « Le Camarguais ») !