JSA (Joint Security Area), le troisième long métrage du réalisateur Park Chan-wook (resté inédit en France depuis 18 ans), va sortir au cinéma le mercredi 27 juin 2018. Outre ses qualités cinématographiques, l’intérêt du film réside notamment dans sa thématique, en lien direct avec les récents événements liés à la Corée.
Les correspondances entre JSA et l’actualité internationale
À la base, JSA (Joint Security Area) est un film commandé par la société de production Myung Films, qui proposa à Park Chan-wook de porter à l’écran un roman de Park Sang-yeon. À l’époque (fin 90s-début 2000s), le cinéaste sud-coréen a tourné deux films et il est encore relativement peu connu du grand public et des critiques, du moins en dehors des frontières de son pays ; c’est sa célèbre trilogie sur la vengeance – composée de Sympathy for Mr. Vengeance (2002), Old Boy (2003) et Lady Vengeance (2005) – qui lui apportera une renommée mondiale.
Le film débute par un événement mystérieux survenu au sein de la JSA (acronyme désignant la zone commune de sécurité située dans la zone « tampon » entre la Corée du sud et la Corée du nord), événement que la mise en scène rend particulièrement énigmatique (presque onirique, à vrai dire), mais qui entraîne – sans que l’on sache comment – la mort de deux soldats nord-coréens, tandis qu’un autre est hospitalisé pour blessure. Le principal suspect est un militaire sud-coréen qui se serait retrouvé côté nord dans des circonstances obscures.
L’affaire, forcément délicate, est prise en main par la Neutral Nations Supervisory Commission, un organisme chargé, depuis l’armistice de 1953, de gérer les relations entre la Corée du nord et la Corée du sud ; la NNSC intervient notamment quand des événements x ou y exigent, en quelques sortes, un arbitrage « neutre ». En l’occurrence, c’est un commandant de l’armée suisse, une jeune femme nommée Sophie E. Jean (interprétée par Lee Young-ae), qui est chargé de mener l’enquête.

Lee Young-ae dans JSA (Joint Security Area). Crédit photo : La Rabbia
Il n’est guère besoin d’aller plus loin dans le résumé du film pour comprendre les correspondances flagrantes que Joint Security Area entretient avec l’actualité. Le rapport le plus direct entre l’histoire du film et la réalité concerne un événement survenu en automne 2017, dans la fameuse JSA justement : un militaire nord-coréen a en effet franchi (le 13 novembre) la frontière après avoir essuyé des tirs de son armée (il sera finalement secouru par l’armée sud-coréenne). L’incident avait à l’époque fait les gros titres de la presse mondiale. Mais plus globalement, le film fait songer aux récents tests de missiles et essais de bombe à hydrogène menés par l’inquiétant Kim Jong-un (le successeur de Kim Jong-il, le leader nord-coréen à l’époque où JSA fut tourné), et aux échanges tendus qu’ils entraînèrent avec les États-Unis (on se souvent de Donald Trump surnommant Kim Jong-un « Rocket Man », ou encore menaçant de détruire la Corée du nord) et la Corée du sud (jusqu’à un récent, et relatif, apaisement).
Voir JSA (Joint Security Area) aujourd’hui renvoie donc évidemment à ce contexte anxiogène, d’autant plus commenté dans les journaux du monde entier que ni Trump ni Kim Jong-un ne sont, en matière de communication, des modèles de sobriété, et se sont régulièrement insultés par média interposé (jusqu’à une rencontre en apparence sereine le 12 juin 2018 ; on se demanderait presque si les politesses échangées en amont ne relèveraient pas d’une absurde comédie politique).
L’intérêt de cette sortie tardive (à l’époque, JSA est resté inédit en France) est donc double : il s’agit à la fois de découvrir une œuvre qui traite d’un problème ancien et actuel (la séparation de la péninsule coréenne et les tensions entre ses deux parties) ; et également de voir l’un des premiers films de Park Chan-wook, dont le fameux Old Boy avait mis à genoux Quentin Tarantino lors du Festival de Cannes 2004 (d’où il reviendra auréolé du Grand Prix).

Lee Byung-hun et Song Kang-ho dans JSA (Joint Security Area). Crédit photo : La Rabbia
Un traitement au plus près de l’humain
Après une scène d’ouverture stylisée, JSA débute comme un thriller militaire relativement classique, qui souligne habilement plusieurs éléments spécifiques à son contexte. Le décor minimaliste, dont on retient notamment l’image d’un pont séparant deux postes militaires respectivement nord et sud-coréens – ainsi que plusieurs détails du scénario -, renvoient régulièrement à la notion cruciale de territoire, de frontière, qui est au cœur du film. Cette idée est d’ailleurs parfois volontairement illustrée de manière absurde et pour cause, Park Chan-wook se rapproche ici tout particulièrement de l’humain, de l’individu, de ses sentiments et de ses relations à autrui – et plus il procède ainsi, plus il révèle l’absurdité d’une situation où les rapports les plus simples, les plus profondément naturels sont rendus impossibles par un contexte géo-politique sur lequel nul, à l’exception des hauts dirigeants (et encore), n’a de prise quelconque.
Le propos du film prend ici une dimension à la fois spécifique (la situation en Corée) et universelle (comment les conflits entre nations écrasent et conditionnent arbitrairement les rapports entre individus) qui fournit au long métrage l’essentiel de sa matière dramatique. On pourra regretter, sur la fin, un excès de sentimentalisme (la réalisation surlignant une émotion qui aurait peut-être gagné à être exprimée plus sobrement), mais le soin accordé à la caractérisation des personnages (qu’il s’agisse de l’enquêtrice ou des militaires impliqués dans l’incident central) ainsi que les excellentes performances des comédiens font que JSA, au-delà de sa pertinence sur le plan politique, mérite d’être redécouvert dans les salles obscures françaises.
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