Film de Kelly Reichardt
Année de sortie : 2023 (France) ; 2022 (États-Unis)
Pays : États-Unis
Scénario : Jon Raymond et Kelly Reichardt
Photographie : Christopher Blauvelt
Montage : Kelly Reichardt
Musique : Ethan Rose
Avec : Michelle Williams, Hong Chau, Maryann Plunkett, John Magaro, André Benjamin, James Le Gros, Judd Hirsch
Avec Showing Up, Kelly Reichardt confirme à nouveau sa capacité à tisser des récits cinématographiques délicats, à la fois épurés et émaillés de détails significatifs et inspirants.
Synopsis du film
Lizzy (Michelle Williams) est une sculptrice vivant à Portland dans un appartement que lui loue Jo (Hong Chau), sa voisine, également artiste. À quelques jours du vernissage de son exposition, Lizzy éprouve un stress grandissant, renforcé par un ensemble de facteurs matériels (elle n’a plus d’eau chaude) et surtout familiaux.
Une nuit, elle trouve un pigeon dans sa salle de bains, que son chat était en train d’attaquer. Lizzy relâche le pigeon blessé sans s’en occuper ; mais le lendemain, elle croise Jo, qui l’a recueilli et tente de le soigner. Devant s’absenter pour la journée, Jo confie l’animal à Lizzy…
Critique de Showing Up
Il n’est pas rare que des récits simples et épurés contiennent, sous leur surface calme, plus de choses que ceux prenant une apparence plus dense et complexe. Showing Up est un bon exemple de cela, au même titre que la plupart des films de Kelly Reichardt d’ailleurs (parmi lesquels on citera les westerns La Dernière piste et First Cow, ainsi que le superbe drame Certaines femmes).
Ici, le rythme est posé, assez lent mais on ne s’ennuie pas, pour une raison simple : ce n’est pas du cinéma contemplatif affirmant bêtement que « lenteur » rimerait avec « auteur », ni un cinéma d’esthète démonstratif accumulant les plans superficiels ; c’est un cinéma qui raconte quelque chose, c’est-à-dire que chaque image, même muette, est une partie d’une histoire. Dès lors, on regarde ces images avec la même attention que celle qu’on accorderait à un récit qu’on nous conterait oralement. Des images ayant ce potentiel narratif et évocateur ne sont jamais ennuyeuses, même lorsqu’elles sont découpées lentement.
Non seulement Kelly Reichardt a un sens aigu du cadrage (elle filme à merveille les œuvres de la protagoniste, mais aussi toute l’architecture des décors environnants) et du montage (qu’elle exécute elle-même) mais surtout, tout ce qu’elle choisit de montrer à l’écran est riche en détails significatifs. En un ou deux plans, elle installe une atmosphère (celle d’un quartier, d’une rue, d’une maison, d’une école d’arts…), croque un personnage, suggère une idée, un passé qu’on ne raconte et qu’on ne montre pas, des relations familiales qui ne sont jamais vraiment explicitées, des émotions qui ne sont pas verbalisées. En d’autres termes, cette réalisatrice fait confiance à l’intuition du spectateur, intuition qu’elle stimule en accordant beaucoup de soin à chaque geste, chaque mouvement, chaque expression, chaque élément du décor ; une précision, et une délicatesse, que l’on retrouve dans les gestes de Lizzy (remarquable Michelle Williams, pour sa quatrième collaboration avec Reichardt) élaborant ses sculptures.
Le film est calme, reposant, mais jamais vide, bien au contraire. En faisant respirer les scènes, en donnant de l’espace aux comédiens, Reichardt en donne aussi au public, dont le ressenti est discrètement stimulé tout au long du métrage. En sourdine, le récit évolue, comme notre regard sur une héroïne qu’on trouve d’abord revêche (elle n’est pas toujours commode, il faut bien l’admettre), mais à l’égard de laquelle notre empathie grandit.
Empathie est d’ailleurs un mot-clé ici ; dans la mesure où l’histoire met en parallèle un processus artistique et la guérison d’un animal (un pigeon de surcroît, c’est-à-dire un oiseau détesté par une foule de gens), on peut en effet se demander si Kelly Reichardt ne dit pas, à sa façon, que la création est, contrairement à certaines idées reçues, davantage liée à l’ouverture aux autres qu’au repli sur soi. Par ailleurs, si on part de l’idée que Lizzy finit par s’occuper d’un pigeon qu’elle a d’abord chassé sans ménagement de chez elle, on peut aussi en conclure que la démarche artistique revient davantage à accueillir le monde et ses propres émotions, même les plus encombrantes, qu’à les refouler.
De toute façon, la réalisatrice n’a pas de prise réelle sur les idées que peut éveiller son film, car comme le fin de Showing Up l’illustre joliment, une œuvre, une fois terminée, échappe à son créateur aussi facilement qu’un oiseau ; et cette même œuvre constitue ensuite, à l’image du dernier plan du film, une nouvelle fenêtre sur le monde.
À travers une chronique, sur quelques jours, du quotidien d'une artiste, Showing Up parle du processus créatif, en évitant les poncifs souvent liés à ce thème. Alliage de discipline et de lâcher prise, d'expression personnelle et d'ouverture au monde, la création, si elle émane de quelqu'un en un lieu et en un temps donné, devient autonome, et finit par échapper, en bonne partie, à son auteur. Conformément à cette vision, la réalisatrice, si elle maîtrise de toute évidence son art, laisse à chacun la liberté de modeler, à sa façon, les idées que Showing Up véhicule, avec beaucoup de douceur et de légèreté. Enfin, soulignons la qualité de la musique originale d'Ethan Rose et celle de la photographie de Christopher Blauvelt, fidèle collaborateur de la réalisatrice.
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