La Cinémathèque française consacre, du 27 juin au 2 juillet 2018, une rétrospective au réalisateur français Joël Séria, auteur d’une œuvre pittoresque et irrévérencieuse.
Galettes, blasphèmes, parapluies et crocodiles
Quand on pense au cinéma de Joël Séria, on entend aussitôt la belle voix grave, reconnaissable entre toutes, de Jean-Pierre Marielle, son acteur fétiche, lançant des répliques rabelaisiennes à mille lieues d’un certain cinéma bien pensant et politiquement correct. On revoit le grand comédien, compagnon de Conservatoire (et ami proche) de Jean-Paul Belmondo, s’extasier longuement sur les fesses d’Angela (Dolorès Mac Donough) dans Les Galettes de Pont-Aven (1975 ; sans doute le film le plus connu – et peut-être le meilleur – de son auteur), ou encore descendre au bar du village en peignoir dans le bien nommé C.. comme la lune (1977).

Jeanne Goupil et Jean-Pierre Marielle dans « Les Galettes de Pont Aven ». Le tableau en haut à droite semble être un portrait représentant Joël Séria.
Chez Séria, Marielle incarne une certaine idée de l’hédonisme à la française, un provincial avec ses qualités et ses défauts
(pour reprendre une formule de l’acteur). Ce n’est pas toujours le même personnage, loin de là : Henri Serin, le représentant en parapluies, peintre amateur, mari amer et amant jouisseur des Galettes… n’est pas comparable à l’anti-héros de C.. comme la lune, amusant mais passablement abruti.
Les parcours de vie plutôt cahoteux de ces deux zigotos sont ponctués de formules truculentes (toi tu sens la pisse, pas l’eau bénite
; elle a pas froid aux escalopes
ou encore : c’est une bigote […] c’est une merde
), n’épargnant pas la bourgeoisie et l’Église catholique. Il faut dire que Séria était passé par la case pensionnat, et son premier long métrage, le sulfureux Mais ne nous délivrez pas du mal (1970), s’affirme comme une réaction saisissante à cette expérience visiblement pénible.
Très éloigné du ton plus léger (mais pas dénué de mélancolie) que le cinéaste adoptera par la suite, ce beau film radical (vaguement inspiré de l’affaire Parker-Hulme) qui fut censuré à l’époque (sous la pression de l’Église), ouvre logiquement la rétrospective qui aura lieu du 27 juin au 2 juillet 2018 à la Cinémathèque française. Il met en scène la comédienne alors débutante Jeanne Goupil, qui deviendra plus tard l’épouse de Joël Séria et que l’on retrouvera dans Charlie et ses deux nénettes, Les Galettes de Pont-Aven, Marie-poupée et San-Antonio ne pense qu’à ça.
Le cinéma de Joël Séria, qu’on pourrait probablement sous-titrer scènes de la vie provinciale, conjugue drôlerie, réalisme, amertume, étrangeté, mélancolie et dialogues irrévérencieux, le tout avec de réelles touches de tendresse, voire de poésie. Il découle de cet alliage nuancé une tonalité et une atmosphère singulières ainsi qu’une qualité rare, signe qu’on a affaire à un véritable auteur : Séria a beau écrire des dialogues et des situations souvent crues, son cinéma est infiniment moins vulgaire que les trois quarts des comédies françaises bâclées qui envahissent régulièrement les salles de cinéma hexagonales.
Il est vrai que le talent et l’envie de raconter quelque chose, quand ils prédominent sur l’unique souci de la recette commerciale, préservent souvent de la véritable vulgarité…
Toutes les informations sur la rétrospective Joël Séria à la Cinémathèque
Vidéos
Jean-Pierre Marielle (en pattes d’eph, évidemment) discute avec Pierre Tchernia du film Les Galettes de Pont-Aven dans l’émission Monsieur Cinéma du 6 juillet 1975. L’acteur déclare notamment que la Bretagne est formidablement évoquée dans le film
, et sa remarque est très juste : Joël Séria fait partie de ces réalisateurs pour qui le cadre géographique, culturel, social d’une histoire est essentielle. Vers la fin de l’interview, Marielle évoque le tournage à venir de Calmos, un film particulièrement délirant de Bertrand Blier, avec également Jean Rochefort et Brigitte Fossey.
Joël Séria parle dans la vidéo ci-dessous de son premier film, Mais ne nous délivrez pas du mal. Il explique l’origine du projet, inspiré à la fois par sa propre expérience et par un terrible fait divers, l’affaire Parker-Hulme. Séria revient également sur le tournage (réalisé sans l’autorisation du CNC), sur le casting et sur la sortie houleuse du film, entravée par la censure.
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