Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a connu en mars 2016 des modifications qui, selon la SRF (Société des Réalisateurs de Films) menace l’une de ses vocations initiales, en ce qui concerne l’exploitation des films en salle.
Qu’est-ce que le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ?
Il s’agit d’une loi qui définit un ensemble de dispositions dans les domaines de la création des œuvres, de la diffusion des spectacles, de la protection du patrimoine et de la valorisation de l’architecture. Ce projet de loi a été déposé à l’été 2015 par Fleur Pellerin, qui était alors Ministre de la Culture et de la Communication.
Le titre 1er de cette loi, celui qui porte sur la création des œuvres et la diffusion des spectacles, concerne – entre autres – directement le cinéma. Initialement, une partie de la loi visait à réguler l’exploitation des films en salle, de sorte à ce qu’elle permette un maximum de diversité. En d’autres termes, il s’agissait de tenter d’équilibrer un tant soi peu la balance entre les poids lourds du box office et les films plus confidentiels, destinés à un moins large public, en assurant à ces derniers une plus grande visibilité qu’aujourd’hui. Cet aspect était détaillé au sein de l’amendement n°216 du projet de loi – amendement qui a été modifié en mars 2016, et c’est tout l’objet de la polémique en cours.
La lettre ouverte du SRF
Selon la SRF (la Société des Réalisateurs de Films), cette modification a en effet consisté en la suppression des mesures qui concernaient la diffusion des œuvres. Et ce alors que l’association pointe, à juste titre, des dysfonctionnements flagrants dans le système actuel. Une lettre ouverte, adressée à la Ministre de la Culture (Audrey Azoulay) et à la Présidente du Centre National de la Cinématographie (Frédérique Bredin), a été publiée puis signée par de nombreuses personnalités du cinéma français, dont Mathieu Amalric, Agnès Jaoui, Jacques Audiard, Lucas Belvaux, Guillaume Brac (Tonnerre), Claire Denis, Gilles Marchand (Qui a tué Bambi ?), Anna Novion (Rendez-vous à Kiruna), Bertrand Tavernier, Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, etc.
Une inégalité flagrante
Quand on aime le cinéma, on peut difficilement ne pas cautionner la démarche de la SRF, et partager tant ses constats que son dépit. De nombreux films sont en effet diffusés dans très peu de salles, et pendant très peu de temps. Ce qui réduit presque à néant leur chance de rencontrer leur public. Même pour ceux qui les avaient repérés à l’avance, il faut un sens du timing et une disponibilité certaine pour les voir au cinéma, tant l’accélération de la rotation
, pour reprendre l’expression de la SRF, devient vertigineuse, évoquant une véritable machine à broyer tous les films qui ne sont pas taillés pour un nombre suffisant de spectateurs. Et c’est un phénomène qui s’aggrave : un triste record a été atteint en 2014, avec seulement 10 films mobilisant plus de 80% des écrans en moyenne, par semaine.
Plusieurs exemples récents illustrent ce déséquilibre : Le Chant du merle, de Frédéric Pelle, est sorti le 16 mars et n’est aujourd’hui plus visible dans aucune salle parisienne, et ce alors que le film a reçu un bon accueil critique ; Évolution, sorti la même semaine, est diffusé dans seulement deux cinémas (on peut juger ce long métrage de Lucile Hadzihalilovic quelque peu surestimé par la critique, mais ce n’est pas le sujet). Le problème ne concerne pas que les films catalogués d’art et d’essai, mais tous ceux qui ne présentent pas un potentiel commercial suffisant. Le cinéma de genre en souffre particulièrement : à l’exception des franchises à succès, souvent médiocres, les films ne sortent pas ou font l’objet d’une diffusion qui les condamne d’emblée aux oubliettes. Ainsi Le Sanctuaire, un film d’horreur britannique et irlandais, n’est projeté que dans 4 salles pour sa toute première semaine d’exploitation.
A cette réalité, qui encourage un téléchargement illégal régulièrement pointé du doigt par les élus de tous bords, s’ajoute la diminution progressive, au fil des années, des cinémas de quartier, nettement moins nombreux aujourd’hui que par le passé. Or ces cinémas ont souvent le mérite de faire des choix de programmation audacieux.
Si les revendications de la SRF continuent de résonner dans le vide, il y a malheureusement fort à parier que les grosses productions, et plus généralement les films faciles à marketer
, continueront de prendre une place de plus en plus grande au sein des réseaux de distribution, au détriment de tous les autres. Ou comment transformer peu à peu l’exception culturelle
en un vague et lointain concept…
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