Film de Dennis Hopper
Année de sortie : 1980
Pays : Canada
Scénario : Leonard Yakir, Gary Jules Jouvenat, Brenda Nielson
Photographie : Marc Champion
Montage : Doris Dyck
Musique : Tom Lavin
Avec : Linda Manz, Dennis Hopper, Sharon Farrell, Don Gordon, Raymond Burr
Cindy Barnes (AKA Cebe) : Subvert normality. Punk is not sexual, it’s just aggression. Destroy. Kill All Hippies. I’m not talking at you, I’m talking to you. Anarchy. Disco sucks.
Porté par une jeune comédienne remarquable (Linda Manz), Out of the Blue est indéniablement l’un des films les plus réussis de Dennis Hopper. C’est aussi, de loin, son plus noir…
Synopsis de Out of the Blue
Alors qu’il conduit son camion aux côtés de sa fille Cindy (Linda Manz), Don Barnes (Dennis Hopper) percute un bus scolaire et cause la mort de plusieurs enfants.
Sa peine de prison prend fin cinq années plus tard. Entre temps, Cindy est devenue une jeune adolescente, qui écoute Elvis, les Sex Pistols, et fait les 400 coups. Le retour de Don ne se passe pas aussi bien que prévu ; l’homme n’a pas lâché la bouteille, sans compter que la famille Barnes recèle de bien sombres secrets…
Critique du film
Out of the blue,
and into the black
Extrait de la chanson My My, Hey Hey (Out of the Blue), de Neil Young (1979).
Dennis Hopper n’a pas réalisé de film depuis The Last Movie (1971), son deuxième long métrage (très mal reçu à l’époque de sa sortie), quand il tourne Out of the Blue. C’est d’ailleurs uniquement en tant qu’acteur qu’il devait travailler sur ce projet – mais après quelques semaines de tournage improductives, les producteurs canadiens lui ont demandé de remplacer Leonard Yakir, le metteur en scène (et scénariste) qui était sensé réaliser le film à la base. Manifestement, Yakir n’arrivait pas à choisir une direction et sauf erreur de ma part, il n’aurait d’ailleurs pas tourné le moindre plan avant que Hopper ne prenne les commandes, avec pour consigne de boucler le film en quatre semaines maximum.
S’il doit donc respecter un délai précis et plutôt serré pour un long métrage, Hopper a en revanche carte blanche pour remanier le scénario initial, ce qu’il fait dans une large mesure. A la base, comme l’explique très bien l’éditeur et critique de cinéma François Guérif dans les bonus du DVD, le psychologue que la jeune héroïne consulte à deux reprises dans le film – interprété par Raymond Burr – tenait un rôle central ; ce qui laisse supposer que le drame familial était donc pour l’essentiel raconté depuis un point de vue extérieur. Nul ne s’étonnera du fait que Dennis Hopper n’ait pas été particulièrement séduit par une approche qui, sans être mauvaise en soi, aurait forcément donné un film plus lisse – un qualificatif qui ne correspond guère au réalisateur d’Easy Rider.

Cindy (Cebe) Barnes (Linda Manz) dans « Out of the Blue »
Hopper décide donc de réduire considérablement le rôle du Dr Brean et de se concentrer presque exclusivement sur le personnage de Cindy Barnes, « Cebe », cette adolescente en colère dont la caméra embrasse les errances en abolissant volontairement la distance inhérente à la première version du scénario.
Ce changement de cap fonctionne très bien, en grande partie grâce à la composition remarquable de l’actrice Linda Manz, vue auparavant dans Les Moissons du ciel (sans doute le plus beau film de Terrence Malick). La qualité de son interprétation fait qu’elle n’a aucun mal à porter le film sur ses épaules – une responsabilité induite, dans une certaine mesure, par l’approche voulue par Dennis Hopper. Il s’agira d’ailleurs, et c’est assez surprenant compte tenu de son talent et de sa présence naturelle, de son dernier rôle important au cinéma.
Mais si convaincante soit-elle, Linda Manz n’est bien entendu pas le seul atout d’Out of the Blue. Hopper – et son mérite est d’autant plus grand qu’il disposa de peu de temps et n’eut en aucun cas la possibilité d’effectuer une quelconque préparation – a pris cette histoire par les tripes et l’a filmée avec une sincérité et un jusqu’au-boutisme qui forcent le respect. Bien décidé à plonger au cœur du quotidien tourmenté de l’héroïne et d’une famille rongée par ses démons, il livre une réalisation inspirée, énergique. Le mal-être de la jeune fille envahit l’écran d’une manière qui doit à la fois à l’interprétation de Linda Manz et à une mise en scène sans fioritures, privilégiant un réalisme brut et saisissant.
Une autre force du film découle du fait qu’il est profondément ancré dans son époque – une caractéristique typique de l’approche de Dennis Hopper en tant que cinéaste. Si Easy Rider avait déjà, en son temps, capté à la fois les idéaux et les désillusions du mouvement hippie, Out of the Blue l’enterre encore un peu plus, notamment à travers une réplique significative prononcée par la protagoniste (Kill all Hippies
). Ici, c’est le mouvement punk qui prend le relai, mais il n’offre guère plus de perspectives (it’s just agression
, dit Cindy à son sujet), à l’image du slogan « no future » brandi à l’époque par le groupe iconique les Sex Pistols – slogan que le film de Hopper illustre par son atmosphère et sa conclusion.
La mort d’Elvis Presley, survenue en 1977 (donc peu de temps avant le début du tournage), est un autre élément contextuel que le film évoque directement ; la disparition du « king » constitue même l’un des ressorts de la posture pessimiste et nihiliste adoptée par Cindy. A noter que la chanson de Neil Young (sortie en 1979) qui donne son titre au film – My My, Hey Hey (Out Of The Blue) – y fait référence : The king is dead / But he’s not forgotten
(Johnny Rotten est également cité dans cette chanson, laquelle mentionne donc les deux idoles de l’héroïne).
Le mouvement punk se fait donc naturellement l’écho de la colère ressentie par Cindy, tout comme il a probablement suggéré à Dennis Hopper le dénouement brutal, sombre et nihiliste du film – qui choqua beaucoup en son temps et qui, aujourd’hui encore, continue de malmener le spectateur.
Quelques années plus tard, au moment de réaliser Colors, Hopper témoignera du même flair pour ce qui est de capter l’ère du temps, puisqu’il choisira de situer l’action du métrage à Los Angeles et non à Chicago, contrairement à ce qui était prévu au départ. Résultat, Colors est considéré comme le premier film à avoir montré le phénomène des gangs dans la fameuse « cité des anges ».
Il faut également souligner la performance de Dennis Hopper en tant que comédien, puisqu’il parvient à donner au personnage du père, Don Barnes, une épaisseur et une ambiguïté étonnantes. Ce personnage est très représentatif de la démarche artistique de Hopper : ne pas être manichéen sans pour autant édulcorer la violence et la perversité. C’est ainsi que Don est tantôt humain et même touchant, tantôt pathétique et redoutable. Hopper exprime très bien ces différentes facettes du personnage, ce qui permet de mieux comprendre les sentiments contrastés qu’il inspire à sa fille et ce qui rend par ailleurs la séquence finale encore plus dérangeante et terrifiante. Plus tard, en interprétant Frank Booth dans Blue Velvet – un personnage bien plus mauvais encore que Don -, Hopper témoignera à nouveau de cette faculté à incarner un personnage dans toute sa complexité et son ambiguïté.
Out of the Blue est sans doute le dernier long métrage sur lequel Dennis Hopper bénéficia d'une réelle liberté artistique, et où il put aller au bout de ses idées sans faire la moindre concession. Si on peut juger la fin presque trop radicale, elle a le mérite de pousser dans ses derniers retranchements cette volonté typique du cinéma de Dennis Hopper : filmer sans détour le désespoir d'une génération, la violence des hommes et les mythes qui partent en fumée.
Un commentaire
Dennis hopper est un acteur formidable, en tant que réalisateur il a aussi ce petit coup de génie dommage qu’il n’ait pas fait assez de film.