Film de Joe Carnahan
Année de sortie : 2002
Pays : États-Unis
Scénario : Joe Carnahan
Photographie : Alex Nepomniaschy
Montage : John Gilroy
Musique : Cliff Martinez
Avec : Ray Liotta, Jason Patric, Alan Van Sprang, Chi McBride, Busta Rhymes, Ann Openshaw…
Henry Oak : A little girl being brutalized… a little girl being abused has got nothing to do with the rules and regulations and everything to do with right and wrong.
Œuvre coup de poing d’une noirceur absolue, à la réalisation hantée par l’ombre de William Friedkin, Narc confirmait en 2002 l’excellente santé d’un cinéma américain au sang neuf capable de bien des surprises en allant puiser chez ses aînés.
Synopsis de Narc
Detroit. Michael Calvess (Alan Van Sprang), officier de police infiltré pour la brigade des stups (les « narc » pour narcotics), a été assassiné. Nick Tellis (Jason Patric), lui aussi membre des narc et suspendu après une grosse bavure sous crack, se voit sorti du placard afin de reprendre l’enquête, épaulé en cela par le lieutenant Henry Oak (Ray Liotta), flic instable mais efficace, ami de Calvess et proche du dossier. Au fur et à mesure que l’investigation recommence à progresser, Tellis sent ses vieux réflexes d’ex-junkie le rattraper tandis que Oak, d’abord coopératif, devient de plus en plus évasif et violent…
Critique
Detroit, autrefois rock city, n’est plus qu’un spectre glacé tremblant sur les vestiges calcinés d’un American Dream moribond. La camarde a rattrapé la ville, déclarée en faillite en 2013. C’est au sein de cette antichambre de l’enfer que rôdaient déjà en 2002 les deux policiers Henry Oak et Nick Tellis (Ray Liotta et Jason Patric, éblouissants), à la recherche de l’assassin de leur collègue Michael Calvess, abattu dans un tunnel.
Il s’agit pourtant d’une illusion : le métrage a été tourné à Toronto, pour des questions d’autorisations. Illusions encore : la silhouette de Liotta a été épaissie à dessein, celle de Patric épurée, pour amplifier la confrontation entre les deux hommes. Nous sommes dans Narc, bel hommage au cinéma de William Friedkin, en terrain connu en quelque sorte : les deux protagonistes ne s’aiment pas, n’auront guère d’empathie l’un pour l’autre. Ce sont des flics durs, dans une ville coriace, et face aux dealers et aux truands, leur pire ennemi pourrait se situer dans le refoulement qui les ronge, thème là encore friedkinien en diable.
L’hommage pourrait être étouffant mais le jeune Joe Carnahan (33 ans et un long à son actif au moment de Narc) s’émancipe sainement : la connexion Friedkin est assumée mais ne tombe pas dans la citation. Pas de poursuite de voitures ou de scènes d’actions importantes, le budget ne le permettra pas : certains acteurs deviendront même co-producteurs pour sauver le film, Carnahan, fou de son projet, allant même tirer la sonnette de… Tom Cruise himself, qui crachera au bassinet. Pas de méchant vénéneux à la Cruising ou To Live And Die In L.A. non plus, mais une bande de malfrats suburbains dégénérés, reflet des classes sociales atomisées du ghetto.

Jason Patric dans « Narc » : une séquence d’ouverture sauvage et traumatisante
Le film raconte une histoire violente impliquant des gens torturés. À cet égard, le metteur en scène accompagne son sujet par des scènes particulièrement fortes, notamment une séquence d’ouverture sauvage et traumatisante où Jason Patric en sueur, tétanisé, provoque chez le spectateur un malaise durable qui l’accompagnera durant tout le visionnage : une importante scène d’exposition pour le personnage de Nick Tellis, policier en proie au doute, fil rouge du récit.
Mais Joe Carnahan connaît également la magie du cinéma. Au cours de l’enquête sur l’assassinat du policier Michael Calvess, descendu comme un misérable dans un tunnel sordide, Tellis va progressivement s’immiscer dans sa vie, en consultant des photos d’archives et en interrogeant les relations de la victime. Grâce à un travail accompli au niveau du montage, des cadrages et de la musique, Carnahan va réussir à rendre vivant Calvess. Les flashback maîtrisés, sombres et funestes, dressent alors le profil complexe, diffus au début puis de plus en plus précis, d’un homme qui, tout à sa tâche d’infiltration d’un gang de dealers, a lentement perdu le contrôle de sa propre existence.

Michael Calvess (Alan Van Sprang), policier assassiné et objet d’une quête obsessionnelle
D’une implacable rigueur quasi-documentaire (voir l’étude d’une scène de crime particulièrement réaliste), brossant le portrait psychologique de trois hommes à la dérive dans une ville sinistrée au bord de la ruine, porté par une interprétation tout bonnement superbe, Narc restera l’une des grandes réussites du polar des années 2000.
La distribution des rôles
Narc est un film de « gueules » à l’intense violence psychologique. La réussite du casting n’en est alors que plus frappante.
Dans le rôle du lieutenant Henry Oak, Ray Liotta atteint l’un des sommets de sa carrière. Loin du malfrat Henry Hill des Affranchis (Goodfellas, 1990), qui se résignait à devoir finir sa vie dans la peau d’un plouc
après avoir balancé tout le monde, le comédien ne laisse ici aucune proie au doute chez son personnage, agissant parce qu’il est convaincu d’être dans le droit chemin. Méconnaissable, monstrueux, magistral, Liotta interprète un Henry Oak exsudant la dangerosité (la première scène où il apparaît en est une illustration), sentiment accru par sa carrure imposante (« Oak » signifiant « chêne », patronyme lourd de sens).
Pour exister face à ce genre d’homme, l’officier Nick Tellis aura fort à faire. Le trop sous-estimé Jason Patric livre ici une excellente prestation en contrepoint : dissimulant sa belle gueule sous une barbe négligée et une moustache fournie, adoptant un look total urban street, le comédien donne la pleine mesure de son talent, rappelant au spectateur la bonne surprise Rush en 1991, où il interprétait déjà un flic infiltré dans le monde de la drogue, aux côtés de Jennifer Jason Leigh. L’on se souvient dans Rush que cette mission s’accompagnait de sérieuses difficultés, une expérience dans laquelle Jason Patric a dû puiser pour Narc. Une grande réussite, acclamée par la critique lors de la sortie du film.
Même si ces deux comédiens d’exception occupent l’écran une solide partie du temps, notons une distribution faisant le pari du réalisme : le capitaine Cheevers (Chi McBride), colosse désabusé, calme et têtu, le dealer Darnell Beery (Busta Rhymes), survitaminé dans un rôle plutôt difficile, et pour finir, une apparition du génial John Ortiz, découvert dans L’Impasse (Carlito’s Way, 1993), que l’on retrouve en petit fumeur de crack aux parties génitales pour le moins… abîmées, un pur moment de tragi-comédie horrifique comme bien des policiers ont dû en contempler dans leur carrière.

Jason Patric dans « Narc »
Le DVD
Narc étant une œuvre méritant d’être regardée plusieurs fois, le format DVD justifie ici pleinement son rôle. Il semble qu’aucun Blu-ray n’existe encore en août 2013, on se contentera donc de noter une copie correcte, avec quelques petites difficultés d’encodage dans les scènes sombres qui, problème, occupent une grande partie du métrage. Le film est peuplé de teintes noir et bleu, accentuant l’ambiance mortifère de l’histoire. Insistons également sur la puissance de la bande-son, score comme ambiance, inoubliables dans un Dolby Digital 5.1 de toute beauté (précisons que la VO offre davantage de détails au niveau des sons environnants, comme par exemple lors de la terrible scène d’ouverture).
Côté suppléments, figurent des interviews promotionnelles intéressantes quoique trop courtes, où l’on apprend notamment que Ray Liotta s’était quelque peu laissé envahir par la colère de Oak… Mais comme le souligne délicatement Jason Patric, ce genre de prestation peut transformer un acteur mais également servir au centuple le film… ce qui fut le cas pour Liotta sur Narc.
Un making of détaillé décrit le processus complexe de mise en œuvre des scènes à la chorégraphie millimétrée pour optimiser au mieux un tournage au budget à peine supérieur à celui de la cantine d’un Michael Bay (le bon mot est de Carnahan), tandis que dans le pénombre se tient Michelle Grace, la femme de Liotta, présence captatrice sur laquelle l’acteur comptait beaucoup pour le guider dans son jeu.
Le morceau de choix réside dans l’interview de William Friedkin, le grand réalisateur faisant preuve de bienveillance envers la jeune génération de cinéastes s’inspirant de son œuvre, tel Joe Carnahan dont il a semble-t-il apprécié le travail. Friedkin pointe avec beaucoup de pertinence les changements de mentalités opérés depuis les années 70, affirmant avec un relatif pessimisme que les films qu’il a lui même réalisés seraient certainement impossible à produire de nos jours.
Triste constat qui les rend d’autant plus importants aujourd’hui.
7 commentaires
Bonne présentation d’un film en effet d’obédience friedkinienne. Signalons que l’on pressentit un temps Carnahan pour diriger « Mission impossible 3 » ou l’adaptation du « White Jazz » d’Ellroy – avec George Clooney, qui ne planait pas encore dans les étoiles tel Gary Sinise cherchant Connie Nielsen dans « Mission to Mars » -, mais il réalisa finalement… « L’Agence tous risques ». Le sous-thème de l’enfance abusée résonne bien sûr avec « Taxi Driver » (ou « L’Exorciste » !). De Jason Patric, je me souviens de l’excellent « La Bête de guerre », signé Kevin Reynolds (auteur aussi du recommandable « 187 code meurtre »). Votre conclusion un brin pessimiste (et nostalgique) me fait penser au « Blood Ties » du sieur Canet, hommage sincère, après d’autres, au cinéma de ce temps, amour partagé par le Poulpe himself, dont les tentacules semblent parfois prises dans les années 70. Tournez-vous donc du côté de l’Asie, pour constater la vitalité du genre, avec notamment le remarquable « J’ai rencontré le Diable » (Friedkin aussi) de Kim Jee-woon, qui s’émancipe de cet héritage pour mieux en retrouver l’esprit expérimental et sans concessions.
Cordialement.
Merci Mr Mattéi pour vos remarques et conseils. Nostalgique, moi ? Un brin, c’est vrai… mais je ne suis pas le seul ! Est-ce la période qui veut cela ? Un certain James Franco ne vient-il pas de bâtir le projet « Interior Leather Bar » visant, d’après ce que j’ai lu, à littéralement recréér les scènes coupées du chef d’oeuvre interlope « Cruising » ? Que sont ces images : censure de producteurs ou légende urbaine ? Le cinéma de Friedkin, réac et anar en même temps, continue-t-il de se réinventer ? A nous de continuer d’explorer ! Merci encore et bonne journée !
Excellent movie. Noir et poisseux a souhait. Quand a la performance de Ray Liotta, elle surpasse son rôle de Mafieux dans ce Gooodfellas. Quand monsieur Mattei vous parle de cinéma asiatique, je rajouterais The Murderer (The Yellow Sea) de Hong Jin Na après le talentueux The Chaser, et aussi Gangs of Wasseypur, film indien de Manuraj Kashyap, fresque en deux parties sur deux familles maffieuses luttant pour le leadership. Entre Coppola et Tarantino.
Merci Mr Lemer pour votre commentaire et vos conseils de visionnage ! Si le cinéma arrive encore à nous surprendre, tout n’est pas perdu ! Bonne journée à vous !
Bonjour Monsieur Joulin
Pourquoi ne peut on commenter Wolfen?
Merci.
Bonjour Monsieur. Je l’ignore, Monsieur Poulpe a effectivement bloqué cette possibilité, et c’est bien dommage …. Je n’ai pas pris le temps de lui en demander la raison. Je suis navré pour ce petit embêtement ! J’espère que la situation va évoluer pour cet article ! Bien à vous. G.
Corrigé, aucune raison particulière l’option était simplement décochée sur cet article