Le documentaire d’Émérance Dubas, Mauvaises filles, vient de paraître en DVD chez Arizona Distribution. Il apporte un éclairage précieux sur les traitements réservés aux jeunes femmes françaises dans des maisons de correction religieuses, jusqu’à la fin des années 1970.
Les maisons de correction en France : une différence de traitement selon que l’on était une fille ou un garçon
L’histoire de secrète des Magdalene Sisters françaises
: c’est à travers cette accroche que fut présenté le documentaire Mauvaises filles, sorti le 23 novembre 2022 ; référence directe au film irlando-britannique The Magdalene Sisters, sorti 20 ans plus tôt (en 2002), qui relate l’horreur vécue par des adolescentes enfermées dans un couvent irlandais, dans les années 1960.
Le parallèle est justifié, même si chaque pays a sa propre histoire : en simplifiant, on peut dire que le documentaire d’Émerance Dubas et le film de Peter Mullan sont tous deux le reflet d’une société ultra patriarcale, autoritaire et sexiste, qui cherche à contrôler les femmes (c’est-à-dire leur attitude ; leur façon de penser ; leur corps) et cela dès l’adolescence.
Comme l’explique très bien l’historienne Véronique Blanchard (autrice du livre Adolescentes sous contrôle, de la Libération à la libération sexuelle) dans l’un des bonus du DVD de Mauvaises filles, ce contrôle s’exerce notamment, en France, par le biais des maisons de correction et ce à partir du 19ème siècle. Certes, il existait aussi des maisons de correction pour garçons mais, à la différence de celles qui « accueillaient » les jeunes filles, celles-ci étaient laïques, tandis que les adolescences françaises jugées déviantes étaient placées dans des congrégations religieuses, dont la plus importante était celle du Bon Pasteur.
Autre différence majeure entre filles et garçons : si la fonction de juge pour enfant fut créée en 1945, l’emprise du Bon Pasteur va se prolonger bien au-delà de cette date, la faute à une culture patriarcale et à une Église catholique profondément ancrées dans la France de l’époque.
Les garçons vont donc profiter plus vite du changement de politique à l’égard des mineurs, tandis que les jeunes filles vont continuer d’être jugées déviantes pour des comportements tout à fait tolérés chez des garçons (comme sortir dans un bar, par exemple) et seront, jusqu’à la fin des années 1970, toujours menacées d’être confiées à des établissements du Bon Pasteur (congrégation dont l’appellation est peu représentative de ses méthodes). Autant dire, et ça ne surprendra personne, que les événements de mai 68 n’ont pas porté leurs fruits du jour au lendemain en matière de droits des femmes.
Mauvaises filles, dont le titre même porte un regard critique sur ce qu’on considérait, autrefois, comme tel, met en lumière les expériences de différentes femmes ayant passé plusieurs années au sein de ces établissements, à différentes époques.
L’approche du documentaire
L’une des forces du documentaire est de donner presque exclusivement la parole à quatre femmes ayant été enfermées dans des maisons du Bon Pasteur ; ce sont leurs voix qu’on entend dans le film et, par moments, celles d’adolescentes d’aujourd’hui (leurs petites-filles), dans une logique de transmission bien évidemment essentielle.
En termes de réalisation, la réalisatrice choisit tantôt de superposer ces voix à des images évocatrices tournées au sein du Bon Pasteur de Bourges, aujourd’hui à l’abandon, tantôt de filmer simplement les femmes qui ont accepté de raconter leur douloureuse histoire (ponctuées d’humiliations, de mises à l’isolement, de bastonnades, etc.). En d’autres termes, Émérance Dubas se met entièrement au service de son sujet et, consciente de la gravité de ce dernier, opte pour une approche sobre, sans artifices qui ne met que plus en valeur les récits, parfois glaçants, qu’on nous donne ici à entendre.
Un documentaire instructif, émouvant et important qui fait état d’une réalité des plus récentes et qu’on ne saurait, hélas, associer uniquement au passé : dans la France d’aujourd’hui, le libre arbitre des femmes et l’égalité des sexes est un acquis non seulement à défendre, mais aussi à renforcer.
Se procurer le DVD de Mauvaises filles
Le DVD de Mauvaises filles est disponible, entre autres, sur le site d’Arizona Distribution. Il contient bien évidemment le documentaire, mais aussi des entretiens avec Émérance Dubas et Véronique Blanchard.
Un commentaire
Bonjour je tente ma chance avec plaisir.