Film de Lindsay Anderson
Titre original : This Sporting Life
Année de sortie : 1963
Pays d’origine : Royaume-Uni
Scénario : David Storey
Photographie : Denys Coop
Montage : Peter Taylor
Musique : Roberto Gerhard
Avec : Richard Harris, Rachel Roberts, Alan Badel.
Le Prix d’un homme (This Sporting Life) fait partie des films qui, dès le début des années 60, préfigurèrent le développement du cinéma social et réaliste britannique. Original, intéressant et très noir, le film possède des qualités indéniables, hélas un peu noyées par un essoufflement manifeste, des redondances et des effets parfois trop démonstratifs.
Synopsis de Le Prix d’un homme
Au cours d’un match de rugby, Frank Machin (Richard Harris) – ancien mineur devenu joueur professionnel – reçoit un coup violent dans la mâchoire. Emmené d’urgence chez le dentiste, il se souvient, dans un état semi-conscient, des circonstances qui l’ont amené à devenir joueur, et de plusieurs moments passés avec sa logeuse, Margaret (Rachel Roberts).
Critique du film
Dès le début du film, on est captivé à la fois par la qualité et l’inventivité de la réalisation, de la photographie, du montage et de la bande sonore, étrangement inquiétante. Par le personnage principal également, incarné par le grand comédien (et chanteur) Richard Harris (Major Dundee, The Molly Maguires). Sa présence physique et son expressivité servent remarquablement ce rôle d’homme sans cesse en mouvement, qui semble bouillonner en permanence, et qui souhaite ardemment s’arracher à sa propre condition sociale.
Le discours social du film est intéressant, puisque à la fois engagé et non stéréotypé. Lindsay Anderson montre très bien les fossés existant entre les différentes classes sociales, et les aspects pervers d’une société ou l’argent et le profit conditionnent les relations entre les individus et la conception de la réussite personnelle. Ainsi lorsque le personne principal, très symboliquement appelé Frank Machin (et pour cause, il ne deviendra jamais vraiment quelqu’un aux yeux de la société), devient une célébrité locale et commence à gagner de l’argent grâce à ses talents de rugbyman, le regard des autres (les riches) sur lui ne change pas fondamentalement : il reste de leur point de vue un prolétaire, limite un abruti, à ceci près qu’il est devenu rentable. C’est une attraction (les femmes, y compris celle de son employeur, veulent coucher avec lui) avant d’être un individu, un homme à part entière. On reconnait sa puissance et sa capacité à faire gagner une équipe – mais il ne gagne pas pour autant un véritable respect. Mais la critique est intelligente, car le film ne tombe jamais dans le manichéisme (les gentils et honnêtes pauvres et les riches pervers et calculateurs) : Frank, et à travers lui la classe qu’il représente, est loin d’être exempt de défauts. Le succès et l’argent lui tournent la tête, et il veut pouvoir toujours critiquer des personnes et un système tout en tirant profit de celui-ci, ce qui finit par le placer dans une position incohérente, paradoxale, où il se bat avec des contradictions et finit par se perdre. Il ne témoigne aucune ou peu de reconnaissance envers ceux qui l’ont aidé, y compris de manière parfois totalement désintéressée (comme Johnson, un vieil homme qui le soutient tout en refusant d’en tirer profit). Brutal, violent, il se montre parfois stupide et incapable de comprendre certaines choses. Si la vision du film sur les riches est donc très acide, on est loin d’une représentation idéalisée de la classe populaire, ce qui rend le propos d’autant plus convaincant car plus réaliste et nuancé.

Frank (Richard Harris) dans « Le Prix d’un homme »
Un autre aspect intéressant du scénario est la relation entre Frank et sa logeuse Margaret (Rachel Roberts). Veuve, mère de deux enfants, elle reste cloitrée et refuse de vivre et de s’ouvrir aux autres. La manière dont Frank va se révolter contre ce parti pris, si elle est parfois maladroite, est aussi et surtout saisissante, sincère et belle. C’est un véritable combat qu’il livre avec elle, aussi intense que ceux qu’il donne sur un terrain de rugby. Dans le film, son désir de réussite est largement motivé par son amour pour Margaret : il pense qu’en gagnant de l’argent et en étant mieux considéré dans la société, il va parallèlement gagner son estime. Le film montre donc très bien que la pression sociale affecte directement les comportements des individus et leurs relations intimes. Ces deux personnages sont consistants, loin de tout stéréotype, et leur relation complexe est intelligemment développée.
A bien des égards, la réalisation et le scénario sont brillants. Au cours de la première heure, la structure en flashback, soutenue par un montage et des cadrages percutants et expressifs, ainsi qu’une bande son inquiétante et originale, fonctionne à merveille. La photographie en noir et blanc, signée Denys Coop (ce chef opérateur anglais travaillera plus tard avec Otto Preminger sur Bunny Lake a disparu), est superbe. Le tout donne au film un véritable cachet sur le plan esthétique, et comme l’histoire et les personnages sont intéressants, on est dans un premier temps emporté par des séquences toutes aussi efficaces et riches de sens les unes que les autres. A certains moments, presque chaque plan véhicule une idée, et le rythme touche à la perfection. Plusieurs images expriment remarquablement bien la sensation étouffante d’enfermement ressentie par le personnage principal ; par exemple quand, après une dispute avec Margaret, il regarde par la fenêtre le quartier ouvrier dans lequel ils vivent, qui représente à ses yeux tout ce qu’il veut fuir (voir la photo ci-dessus). Son regard, mêlant colère et dépit, montre bien qu’il n’y arrive pas. Les scènes de rugby sont également très bien mises en scène ; vers la fin du film, un entrainement prend une dimension métaphorique, soulignée par la bande sonore et la mise en scène. Le jeu ne semble plus avoir aucun sens, l’effort est dérisoire. Frank se vautre dans la boue, défait. Dans la séquence qui précède, on le voit seul observer – avec un regard défiant – l’usine locale, depuis le haut d’une colline. En le filmant à terre quelques instants plus tard, le réalisateur semble nous dire qu’il n’est pas parvenu à échapper à sa condition sociale, à l’univers dans lequel il a grandi, malgré toute l’énergie qu’il a consacrée à cet objectif.

L’entrainement de rugby a dans cette scène une dimension symbolique.
Richard Harris a une présence assez extraordinaire ; sa carrure, son profil grec mais aussi ses expressions, son style de jeu et certaines intonations évoquent Marlon Brando dans Sur les quais, d’Elia Kazan, où l’acteur mythique campait un peu le même genre de personnage (Terry Malloy, un ancien boxeur devenu docker). C’est parfois si saisissant qu’il est possible qu’Harris avait la performance de Brando en tête au moment du tournage. Quand il chante une chanson d’amour dans un bar, debout sur la scène en gardant les bras croisés, le contraste entre son chant, les paroles et sa position refermée dit beaucoup de choses sur le personnage, et sur sa relation avec Margaret.
Malheureusement, passée la première heure, Le Prix d’un homme perd très nettement de sa vigueur. Il y a un effet de redondance plutôt lourd et probablement involontaire qui casse le rythme, rend les enjeux du film plus confus, et altère de fait l’intérêt du spectateur. Anderson cherche à dire dans plusieurs scènes très similaires ce qu’il aurait pu exprimer en quelques plans, tant son sens du cadre et la qualité du jeu des comédiens permettent de faire passer beaucoup de choses en un minimum de temps. Les scènes entre Frank et Margaret se répètent et véhiculent toutes la même idée. On finit par ne plus savoir ou le réalisateur veut nous emmener, par ne plus ressentir l’urgence et la dynamique dramatique qui habitaient la première partie du film, au point que chaque scène pourrait potentiellement être la dernière. Le conclusion très forte et très noire du film perd ainsi de son impact, et ce en dépit de quelques très bonnes idées (l’image où l’on voit Frank quitter le premier plan et rejoindre son équipe pour y « disparaitre » est extrêmement significatif : il redevient un joueur comme les autres, un anonyme), non seulement parce qu’elle n’est pas très bien amenée, mais aussi parce que la réalisation, comme le jeu de Harris, deviennent trop emphatiques, démonstratives. Par exemple, dans la scène de l’hôpital, on aperçoit une araignée courant sur le mur. Le symbole est clair, pas besoin de revenir dessus. Et pourtant, Anderson filme l’instant d’après Frank qui écrase à coup de poing l’araignée en poussant un cri de révolte. Là, ça devient soudain lourd, presque ridicule. De même, lorsque Frank rentre chez lui dans la scène suivante, la réalisation et la bande son deviennent trop pesamment solennelles, pathos, et Richard Harris se livre à ce qui ressemble à un numéro de l’Actors Studio, un numéro très bien fait, mais trop démonstratif. Il parvenait à émouvoir avec beaucoup plus de naturel et de sobriété dans les séquences précédentes.
C’est assez rageant, car Le Prix d’un homme avait tout pour être un excellent film, très original pour son époque, tant sur la forme que sur le fond. Mais un scénario déséquilibré et une réalisation trop insistante sur la fin laissent une impression plus mitigée.
Néanmoins, c’est l’œuvre d’un véritable auteur, avec un regard lucide et moderne sur la société, et des talents de réalisateur frappants. C’est aussi l’occasion de voir un grand acteur (Richard Harris) pas si connu en France, dont le charisme explose littéralement dans ce film. A voir, donc.
Le Prix d'un homme s'inscrit dans la veine sociale du cinéma anglais, aux cotés de film comme Samedi soir, dimanche matin ou encore Look Back in Anger (et plus récemment, de ceux de Ken Loach, par exemple). Si quelques redondances et lourdeurs sur la fin déséquilibrent l'ensemble, le film propose néanmoins une histoire solide et une réalisation inspirée, tandis que Richard Harris lui apporte son talent et son charisme.
Un commentaire
Jamais vu. Interessant. Bien sur Richard Harris reste méconnu. Quoiqu’il fasse parti des mutins du Bounty, version avec Brando.