Film de Max Ophüls
Pays : France
Année de sortie : 1952
Scénario : Jacques Natanson et Max Ophüls, d’après trois nouvelles de Guy de Maupassant (Le Masque, La Maison Tellier, Le Modèle)
Photographie : Christian Matras, Philippe Agostini
Montage : Leonide Azar
Musique : Joe Hajos et Maurice Yvain
Avec : Claude Dauphin, Gaby Morlay, Jean Galland, Madeleine Renaud, Danielle Darrieux, Pierre Brasseur, Jean Gabin, Ginette Leclerc, Mila Parély, Daniel Gélin, Simone Simon
Le Plaisir de Max Ophüls est une œuvre pleine de vie et d’énergie, à la fois visuellement inventive et respectueuse des trois nouvelles de Maupassant dont elle est l’adaptation.
Synopsis du film
Le Masque : au cours d’un bal endiablé, un jeune homme (Jean Galland) fait irruption dans la salle et se joint à des danseuses. Mais ses mouvements sont moins souples, plus laborieux que ceux de ses partenaires. Il finit par s’évanouir, et le médecin (Claude Dauphin) qui l’ausculte fait alors une surprenante découverte…
La Maison Tellier : dans une ville normande, la fermeture ponctuelle de la maison close tenue par Julia Tellier (Madeleine Renaud) plonge les habitants dans un profond dépit, tandis que Julia et ses « filles », dont Madame Rosa (Danielle Darrieux), se rendent dans un petit village campagnard pour assister à une communion.
Le Modèle : Jean (Daniel Gélin), un jeune peintre prometteur, tombe amoureux de Joséphine (Simone Simon), qu’il séduit et prend comme modèle. Le couple emménage ensemble mais peu à peu, le poids des habitudes ternit leur bonheur…
Critique de Le Plaisir
Le Plaisir est composé de trois segments, portant chacun le titre de la nouvelle de Guy de Maupassant dont il est tiré. Le fil rouge auquel fait référence le titre du film est une création de Max Ophüls, dans la mesure où aucun recueil du célèbre écrivain français du 19ème siècle n’est intitulé de la sorte ; mais en dehors de ce point de détail, les scénarios écrits par Ophüls et Jacques Natanson semblent très fidèles aux textes de l’auteur du Horla et de Bel-Ami.
Le plaisir est en effet présent, de différentes façons, dans ces textes, en particulier dans les deux premiers segments ; le troisième, malgré la présence de Simone Simon et de Daniel Gélin, convainc un peu moins, peut-être parce qu’il est le fruit d’une concession (initialement, Ophüls souhaitait adapter La Femme de Paul et non Le Modèle, mais il dut renoncer pour des raisons de budget). Il reste cependant tout à fait plaisant à regarder et comporte une phrase intéressante à bien des égards : le bonheur n’est pas gai
.
Dans le premier segment, le plaisir se teinte d’une conscience mélancolique, puisque Le Masque aborde le thème du passage du temps et du vieillissement. Le médecin joué par Claude Dauphin, joyeux fêtard, rencontre un vieil homme qui se fait passer pour un jeune danseur, par nostalgie à l’égard de son passé ; il incarne, en un sens, le reflet vieillissant du docteur, la projection d’un avenir inévitable (le médecin perdra un jour, lui aussi, sa jeunesse et sa vigueur). En d’autres termes, le plaisir est précieux autant qu’éphémère… Dans le second segment, La Maison Tellier (qui est l’une des nouvelles les plus célèbres de son auteur), le plaisir vient de la manière, enjouée et pleine de gaieté, dont Maupassant dépeint la prostitution (un univers qu’il connaissait bien) ; manière qui, comme le souligna Daniel Grojnowski sur France Culture dans une émission radiophonique dédiée à Maupassant, relève d’une « belle fantaisie de littérateur » (« on est dans la fable », ajouta-t-il au cours du même programme). Le troisième segment reflète le pessimisme de Maupassant à l’égard des relations homme-femme, rarement très heureuses dans ses nouvelles. Le Modèle évoque en effet une relation (celle d’un peintre avec son modèle) basée en partie sur une émotion esthétique finalement malmenée par le poids du quotidien, jusqu’à ce qu’un événement dramatique, davantage qu’un amour réciproque semble-t-il, contribue à pérenniser ce couple un peu bancal.

Ce qui frappe d’emblée dans Le Plaisir, c’est l’inventivité de la mise en scène. Le film porte bien son nom, indépendamment du contenu des segments : Ophüls éprouvait de toute évidence un immense plaisir à filmer, qu’il communique largement au spectateur. Il émane des longs travelling, des mouvements sophistiqués d’appareil et du contenu même des plans une énergie et une vivacité intactes, tandis que les angles adoptés par la caméra produisent d’expressifs effets de perspectives. On songe parfois au cinéma d’Orson Welles, qu’Ophüls devait probablement apprécier (sa carrière ayant toutefois débuté avant celle de Welles, je doute que l’on puisse parler d’influence à proprement parler).
Dans La Maison Tellier, Ophüls a l’idée remarquable, d’une grande modernité pour l’époque, de filmer la maison close normande désignée par le titre presque exclusivement de l’extérieur : la caméra glisse le long de la façade et capte, par l’ouverture des fenêtres, les scènes de vie se déroulant à l’intérieur du bâtiment. Ce point de vue nous rappelle le rapport entre l’art cinématographique et une certaine forme de voyeurisme ; rapport qu’Alfred Hitchcock abordera directement dans Fenêtre sur cour, qui sortira deux ans plus tard (en 1954).

Mais Ophüls excelle tout autant dans des scènes plus apaisées, plus calmes ; citons par exemple la séquence où les prostituées font une pause dans l’herbe au cours de leur retour à la gare, en compagnie de Joseph Rivet (Jean Gabin), qui conduit la diligence. Ici, Ophüls créé un joli moment de quiétude champêtre, de tranquillité rurale, tel que des grands peintres ont su en immortaliser dans leurs tableaux. Le jeu de Gabin et de Danielle Darrieux (le premier s’excusant auprès de la seconde d’un comportement déplacé) rend d’ailleurs cette scène, à propos de laquelle le cinéaste Paul Vecchiali exprima une vive admiration (source : Commentaires sur Le Plaisir, Wikipedia), plus émouvante encore (l’amour éprouvé par Joseph, et peut-être par Rosa – c’est plus difficile à dire –, semblant voué à l’échec).
On citera également la scène où un groupe d’hommes, dépités par la fermeture ponctuelle de la maison close où ils ont leurs habitudes, partagent un bref moment de paix ensemble, face la mer ; bref car très vite, la frustration autant que leurs différences de caractère et de situation provoquent de vives disputes. Là aussi, c’est une scène qui dit beaucoup de choses, à la fois drôle et un peu amère…
Pour toutes ces raisons, Le Plaisir s’affirme comme l’une des plus belles adaptations cinématographiques de Maupassant, et comme un classique du cinéma français d’après-guerre.
Le Plaisir conjugue une grande maîtrise formelle avec un traitement intelligent, sensible et fidèle des textes de Guy de Maupassant.
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