Film de Robert Wise
Titre original : The Curse of the Cat People
Pays : États-Unis
Année de sortie : 1944
Scénario : DeWitt Bodeen, Val Lewton (non crédité)
Photographie : Nicholas Musuraca
Montage : J.R. Whittredge
Musique : Roy Webb
Avec : Simone Simon, Kent Smith, Jane Randolph, Ann Carter, Eve March
Pour son premier film en tant que réalisateur, Robert Wise signait, avec La Malédiction des hommes-chats, une séquelle intelligente et cohérente de La Féline. On y retrouve avec plaisir la comédienne française Simone Simon, vedette du film de Jacques Tourneur précité.
Synopsis du film
Amy Reed (Ann Carter) est une petite fille un peu solitaire et rêveuse. Son père Oliver (Kent Smith) voudrait qu’elle soit plus sociable et « comme les autres ».
Un jour, Amy fait la connaissance d’une mystérieuse femme qui devient son amie. Elle seule peut la voir et pour cause, il s’agit d’Irena (Simone Simon), l’ex-femme d’Oliver, morte quelques années plus tôt…
Critique de La Malédiction des hommes-chats
La Malédiction des hommes-chats est la suite de La Féline (1942), ce dernier étant aujourd’hui reconnu comme un grand classique du cinéma fantastique, pour des raisons en partie expliquées dans la critique dédiée au célèbre film de Jacques Tourneur.
Bien que la réputation du film de Robert Wise soit plus confidentielle, et que sa place dans l’histoire du cinéma est indubitablement moins importante, La Malédiction des hommes-chats s’affirme à bien des égards comme une suite cohérente du film de Tourneur, dont il reprend et développe intelligemment certains des thèmes.
Ce n’est d’ailleurs pas vraiment étonnant : si le brillant Jacques Tourneur n’est plus aux manettes, on retrouve cependant le même scénariste (DeWitt Bodeen), le même chef opérateur (Nicholas Musuraca), le même compositeur (Roy Webb), le même producteur (Val Lewton, le responsable de RKO Pictures) et, en partie, les mêmes comédiens (Simone Simon, Kent Smith et Jane Randolph, qui reprennent leurs rôles respectifs).
Quant à Robert Wise, s’il signait ici son premier film en tant que metteur en scène, il possédait déjà une belle expérience puisqu’il avait monté, deux ou trois années plus tôt, l’immense Citizen Kane (1941) d’Orson Welles – ce qui ne dut pas être une mince affaire !
L’une des qualités principales du scénario est de parvenir à la fois à se démarquer de La Féline tout en s’inscrivant dans sa continuité. En effet, La Féline décrit avant tout comment une femme immigrée (Irena, incarnée par Simone Simon), au tempérament artistique et tourmenté, ne parvient pas à se conformer aux standards de la société américaine des années 40 ; dès lors, ses singularités deviennent « monstrueuses », se manifestent d’une manière brutale et violente, en partie parce qu’elles sont refoulées et non acceptées. C’est toute l’intelligence et la sensibilité du film de Tourneur, et l’on retrouve ces qualités dans La Malédiction des hommes-chats.
Le personnage d’Oliver (Kent Smith) représente à nouveau le citoyen modèle qui cherche par tous les moyens à ce que sa fille Amy (Ann Carter) se comporte comme les autres enfants de son âge, de même qu’il voulait, dans La Féline, qu’Irena soit une épouse comme les autres (même si, et c’est toute l’ambiguïté de ce personnage en apparence simpliste, il se sentait attiré par son mystère et sa différence). Amy (très bien interprétée par la jeune Ann Carter) est de son côté une enfant rêveuse, fascinée par le mystère, l’imaginaire et l’invisible.
On retrouve donc ici la même logique d’opposition que dans La Féline, avec d’un côté une société obsédée par une forme de « normalité » et de matérialisme, et de l’autre, des individus qui ne se reconnaissent pas dans ces codes réducteurs, laissant peu de place à l’inspiration artistique et au développement personnel. La différence est bien entendu que La Féline dresse le portrait d’une femme, tandis que La Malédiction des hommes chats aborde la question de la psychologie enfantine, d’une manière plutôt éclairée.
On relèvera notamment la scène où une enseignante tente, avec succès, de faire comprendre à Oliver que l’attitude de sa fille n’a rien de pathologique ou de condamnable, et que l’imaginaire, chez l’enfant, est non seulement une réaction naturelle face à la solitude, mais aussi une manière de se construire et de se développer. Entièrement focalisé sur cette thématique, le scénario de DeWitt Bodeen ne sacrifie jamais au spectaculaire et à la surenchère ; il est au contraire d’une grande sobriété, s’efforçant de bout en bout de dresser le portrait d’une petite fille mal comprise, et de proposer une réflexion pertinente sur notre rapport à l’imaginaire et à l’invisible.
Le fantastique, dans La Féline et La Malédiction des hommes-chats, n’est donc pas utilisé comme un banal ressort pour faire frisonner le spectateur : il véhicule un discours, propose une vision du monde et des êtres et articule même une forme, subtile, de critique sociale, doublée d’une ode à la différence et à l’imagination. Et même si La Malédiction des hommes-chat n’est pas aussi impressionnant que son prédécesseur, sa vision procure une expérience aussi agréable qu’intéressante.
La Malédiction des hommes chats transpose délicatement les thématiques de La Féline dans l'univers de l'enfance, intimement lié à l'imaginaire et au fantastique. Le résultat est un film sobre, sensible et cohérent, qui a été utilisé à plusieurs reprises comme support à des cours de psychologie aux États-Unis (lire The Curse of the Cat People sur Wikipédia).
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