Film de Lee H. Katzin
Année de sortie : 1971
Pays : États-Unis
Scénario : Harry Kleiner
Photographie : René Guissard Jr, Robert B. Hauser
Montage : Ghislaine Desjonquères, Donald W. Ernst, John Woodcock
Musique : Michel Legrand
Avec : Steve McQueen, Elga Andersen, Siegfried Rauch, Ronald Leigh-Hunt, Fred Haltiner, Luc Merenda…
Michael Delaney : A lot of people go through life doing things badly. Racing’s important to men who do it well. When you’re racing, it… it’s life. Anything that happens before or after is just waiting.
La rencontre entre Steve McQueen, star mythique passionnée de sports automobiles, et la légendaire course des 24 Heures du Mans, dans une œuvre unique aux accents quasi-expérimentaux.
Synopsis de Le Mans
Au petit matin, un homme songeur observe calmement une route déserte. Il s’agit de Michael Delaney (Steve McQueen), pilote de course expérimenté, tout juste remis d’un terrible accrochage ayant coûté la vie un an auparavant à un autre concurrent.
Cette route tranquille va bientôt se transformer en arène d’asphalte destinée à accueillir les 24 Heures du Mans, que Delaney s’apprête à courir sous les couleurs de l’écurie Porsche. Pour le moment, l’américain se concentre, alors que l’arrivée de Lisa Belgetti (Elga Andersen), la veuve du pilote décédé, pourrait bien raviver ses remords…
Critique
Derrière le film Le Mans se tient Steve McQueen et en ce printemps 1970, alors que le métrage commence à être élaboré dans la campagne sarthoise, l’acteur est l’une des plus grandes stars en activité à Hollywood, alignant à son palmarès des classiques comme Bullitt, L’Affaire Thomas Crown et La Canonnière du Yang-Tsé, parmi d’autres joyaux cinématographiques.
La production Solar Films et le studio Cinema Center allongeaient le blé mais McQueen, lui, détenait le pouvoir… ainsi qu’une très personnelle déclaration à faire au monde entier : en tant que grand passionné de courses automobiles et plutôt honorable pilote lui-même, il souhaitait bâtir un film au contenu le plus réaliste, le plus terre à terre possible ; une sorte de témoignage sur l’essentiel travail collectif au sein d’une écurie de course et sur les difficultés rencontrées lors de l’épreuve : la fatigue, le danger, les montées d’adrénaline, la vitesse ressentie comme les effets d’une drogue, et cette singulière sensation, surtout chez les pilotes, que tous les aspects triviaux de l’existence sont effacés, mis entre parenthèses, pour laisser la place à… autre chose, quelque chose d’indéfinissable – un épisode de luminosité, de pureté. La vie, tout simplement (When you’re racing, it… it’s life
).

Des prises de vues extraordinaires, même pour les standards de 2013
Certains tenteront d’interférer avec cette vision : la production grondera contre le script inexistant, le premier metteur en scène (le prestigieux John La Grande Evasion Sturges) jettera l’éponge, aussi le faiseur Lee H. Katzin, engagé pour sa rapidité acquise sur les plateaux de télévision, débarquera de L.A. en catastrophe pour reprendre le projet, engendrant la méfiance de la star… qui, elle, ne bougera pas d’un iota. Pas question de faire demi-tour pour rentrer au stand quand la course est lancée.
Et où, à quel endroit, l’acteur pouvait-il s’établir pour construire son Xanadu, tourner son Citizen Kane ailleurs qu’au Mans, pendant la plus célèbre et ardue course du monde, les légendaires 24 Heures ? Alors en route pour trois mois, avec tournage en double (d’abord la véritable course avec les véritables équipes, puis les scènes « dramatisées » avec acteurs, figurants, cascadeurs…) et un lot d’incroyables anecdotes : un pilote dut être amputé d’une jambe suite à un crash, McQueen faillit y rester après une collision, vol et sabotage de matériel furent à déplorer, ainsi qu’une grève des figurants…

Le Mans, le film : quarante piges au compteur et pas une ride
Pour finalement voir se dessiner une œuvre étrange, unique ; une sorte de carrefour atypique – au beau milieu d’une France qui n’existe plus – entre un documentaire, un film expérimental et un film d’action. Par un évident geste de bonne volonté, McQueen daignera calmer la production en autorisant un timide début de romance suggérée entre son personnage, le calme et entêté Michael Delaney, et la douce veuve d’un pilote d’une autre écurie décédé un an auparavant. Désarçonnant le public potentiel, il fera couper court dans le scénario aux habituelles menaces, rivalités machistes, méchants et autres redondances ennuyeuses, pour focaliser le propos sur la course, rien que la course. Cette Égrégore d’un genre nouveau est la véritable héroïne du film, une sorte de monstre aimant ses adorateurs au point de leur offrir une transcendance à haute vitesse… mais également capable de les briser à jamais, comme le montrent deux accidents sur le circuit parmi les plus impressionnants jamais filmés, parce que sonnant « vrais ».
L’absence de script, loin de brider le film, va au contraire, par un paradoxal mouvement de balancier, augmenter la tension manifeste de la course. Ensevelis sous un monceau de pellicule (300 kilomètres !), sans doute touchés par la vision de McQueen, encouragés par une production pressée de se débarrasser du projet au plus vite (Solar Films coulera peu après), les monteurs vont tout se permettre… Zéro ligne de dialogue pendant une trentaine de minutes au début, la seule voix étant déclamée par un haut parleur. Un compte-à-rebours qui se poursuit indéfiniment, au point de rendre dingue le spectateur. Le bruit des moteurs supplantant la musique majestueuse, presque grandiloquente, de Michel Legrand. Un accident filmé en vitesse réelle puis repassé au ralenti, détaillant ainsi la violence de la désintégration du véhicule sacrifié… Et il y en a plein d’autres comme ça. C’est que Le Mans est une œuvre somme, qui passe haut la main le test du temps, quarante piges au compteur, même pas peur.
Ça passe ou ça casse… Malgré le charisme évident de Steve McQueen, le score prestigieux composé par Michel Legrand, et des scènes de caméras embarquées tout simplement extraordinaires, même selon les standards actuels (et davantage magnifiées encore par le Blu-ray sorti en 2011), le film ne sera pas le succès attendu au box-office, et se retrouvera même comparé au très surestimé Grand Prix, dont McQueen avait également acquis les droits avant que Warner Bros ne mette son véto.
Le prix à payer pour vivre sa passion, peut-être… When you’re racing, it’s life. Anything that happens before or after is just waiting
exprime Michael Delaney lors de l’un de ses curieux échanges avec la mystérieuse veuve du pilote italien disparu. La course, c’est la vie, et tout ce qui pourrait se dérouler avant ou après n’est qu’une simple attente.
Une belle épitaphe pour Steve McQueen, l’idole foudroyée par un cancer à cinquante ans, et dont l’image d’éternelle jeunesse brille maintenant à jamais dans un halo immaculé.

Steve McQueen dans « Le Mans »
Autour du film
Le Blu-ray du film Le Mans a paru en juin 2011, quatre décennies après la sortie du film. Le support fait honneur à l’œuvre, même si certains plans comportent encore une forte présence de fourmillements. Les plans remasterisés sont tout simplement splendides, l’effet HD accentuant davantage la sensation de vitesse, ce qui remplit a posteriori le contrat voulu par Steve McQueen. Niveau audio, le spectateur aura le bonheur d’entendre la version originale en DTS HD 7.1 (!), les sons mécaniques ayant été boostés au maximum, les rares dialogues demeurant clairs, parfois hantés par le vrombissement de la course au loin. A noter que la version française DTS 1.0 pourrait déplaire, les voix étant marquées par des accents poussés (McQueen parle français avec un accent américain à couper au couteau, Siegfried Rauch s’exprime comme un allemand caricatural…). Cette VF demeure toutefois une curiosité et accroît le potentiel décalé de l’œuvre.
Sur le plan des bonus, hormis une bonne vieille bande-annonce (tentant de vendre le métrage comme un film d’action, ce qu’il n’est pas), on trouve surtout Le Mans : Filming At Speed, court mais passionnant making-of bénéficiant des interventions de Lee H. Katzin (réalisateur), de deux producteurs et du pilote professionnel Derek Bell, le tout présenté par le fiston Chad McQueen, créant ici une filiation bienvenue avec le métrage. Bell insiste sur la passion de McQueen pour la course et ses talents de pilote (l’acteur avait fini deuxième aux 12 heures de Sebring en 70 et n’a pas été doublé dans Le Mans), ainsi que sur les aspects techniques élaborés des prises de vue embarquées et les défis à relever. Katzin et les producteurs Robert Rosen et Robert Relyea (brouillé avec McQueen suite à ce film) se souviennent avec une ironie non feinte des difficultés de production, du départ de John Sturges devant l’absence de scénario digne de ce nom, de l’intransigeance de la star, mais également des prodiges réalisés par les pilotes et l’ensemble de l’équipe. Le tout rend un vibrant hommage à l’œuvre et à sa vedette lumineuse, Steve McQueen ayant durablement marqué les esprits.
Pour les amoureux de bandes originales, le score du film est disponible en CD, afin de retrouver les thèmes seventies délicieusement surannés de Michel Legrand. Entre deux envolées orchestrales décomplexées, le compositeur arrive à nous surprendre avec de délicates mélodies dignes de son talent d’aquarelliste sonore. La splendide montée en puissance du thème Opening Credits, illustrée à l’écran par les premières images à l’aube de la piste déserte pour finir avec une foule de dizaines de milliers de personnes, est une absolue tuerie. A noter que le sublime morceau entendu dans le lounge VIP où Michael Delaney retrouve Lisa ne figure pas sur le disque, c’est dommage. A la suite des pistes de Le Mans se trouvent celles du Chasseur (The Hunter, 1980), ultime film de Steve McQueen, curieux polar urbain où l’acteur joue la carte de la dérision grâce à un humour sympathique mais malheureusement troublé par son visage déjà marqué. La maladie gagnait du terrain, McQueen le savait, le film, à défaut d’être inoubliable, n’en est alors que plus émouvant. Ce score a été refusé par les producteurs et, ne figurant donc pas dans le film, il s’agit davantage d’une curiosité.
Pour conclure cette chronique, un mot sur l’excellent ouvrage en anglais de Michael Keyser et Jonathan Williams, A French Kiss with Death, monumental livre en trois volets autour de la course des 24 Heures du Mans, les deux premières parties adoptant une approche historique de l’épreuve, la troisième se focalisant sur le projet du film Le Mans, le gigantisme du plateau, les difficultés de production, autant de chapitres enrichis d’une foule d’anecdotes et de photos inédites… Quelques petits ragots égratignent l’image de la star (pas toujours un tendre dans la vie, doublé d’un joyeux coureur de jupons) mais rien de bien méchant, la joie de vivre et l’enthousiasme de Steve McQueen emportant l’adhésion. Au final, un trésor considérable qui comblera les fans anglophones.
2 commentaires
Bonne critique génétique, pied au plancher dans l’habitacle en cuir, du représentant d’une « niche » dont la série « Fast & Furious » constitue l’illustration contemporaine.
Mc Queen s’avère remarquable quand le dirigent de grands réalisateurs. Admirable dans « La Canonnière du Yang-Tsé », sans doute son meilleur rôle et sa meilleure interprétation, il dresse aussi des portraits mémorables chez Peckinpah et Schaffner. Sa colère et sa souffrance, explicables en partie par sa biographie et qui firent sa mauvaise réputation, transpirent de chaque plan, autant que son talent mélancolique.
Le rapport sociologique entre le cinéma et l’automobile s’incarne parfaitement aux États-Unis, avec le phénomène des « drive-in ». Morrison affirmait d’ailleurs que la vie américaine équivalait à un voyage en voiture. À un autre niveau, plus sexuel, « Crash » – le livre de Ballard et le film de Cronenberg – célébrait magistralement les noces rouges de l’essence et du sperme…
Par ailleurs, le film de Katzin, dans son usage particulier de la parole et son esquisse documentaire d’une France « qui n’existe plus », évoque aussi Tati.
Bonjour et merci pour votre commentaire ! Il apporte des éléments contextuels importants sur cette oeuvre singulière, un peu perdue, hors du temps…
Un des aspects que j’aime le plus dans « Le Mans », et vous le soulignez bien, se trouve dans ces jolies scènes de foule – à la Jacques Tati, votre analogie est bien vue – qui ancrent le film dans son époque et, d’une certaine façon, lui offrent une forme de patine permettant de résister aux années qui s’enfuient. Par ailleurs, le miroir social, populaire, de ce public crée une belle mise à l’échelle de la star McQueen, au premier plan à l’époque… Amusante séquence, brève, de ce petit garçon surgissant de derrière un arbre pour prendre l’acteur en photo, subrepticement… avant de disparaître, figeant ainsi le visage solaire du comédien pour l’éternité.
Cordialement