Film de Philippe Lacôte
Pays : France, Côte d’Ivoire, Canada, Sénégal
Année de sortie : 2020
Scénario : Philippe Lacôte, avec la collaboration de Delphine Jaquet
Photographie : Tobie Marier-Robitaille
Montage : Aube Foglia
Musique : Olivier Alary
Avec : Bakary Koné, Isaka Sawadogo, Steve Tientcheu, Denis Lavant
La Nuit des rois est une fable carcérale reflétant aussi bien des problématiques sociales et politiques que notre besoin d’évasion par le biais de l’imaginaire.
Synopsis du film
Dans la prison de la MACA, en Côte d’Ivoire. Barbe-noire (Steve Tientcheu), un prisonnier respecté par les autres détenus, perd de l’influence à mesure qu’une maladie mortelle le ronge. Lorsqu’un jeune détenu arrive (Bakary Koné), il a l’idée de lui attribuer, arbitrairement, le rôle de « roman ». Conformément à cette pratique ancienne dans la prison, « Roman » va devoir divertir les autres prisonniers en racontant une histoire pendant toute une nuit.
Le jeune homme apprend par un dénommé Silence (Denis Lavant) qu’il sera sacrifié à la fin de son récit. Il va alors tenter de faire durer son histoire le plus longtemps possible…
Critique de La Nuit des rois
Il existe, dans la prison connue sous le nom de la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan), un curieux rituel : régulièrement, un prisonnier est désigné par les autres détenus pour raconter des histoires ; il hérite alors du surnom de « Roman ».
Le réalisateur franco-ivoirien Philippe Lacôte a eu vent de cette pratique par le biais d’un ami à lui qui a été incarcéré dans la MACA, et il a immédiatement perçu son potentiel cinématographique. Pour ajouter de la tension dramatique, il a ajouté un détail fictif : dans son film, le « roman » est censé être tué à la fin de son récit. Le personnage à qui l’on confie cette fonction tente donc de prolonger son histoire, pour échapper à la mort – stratagème qui n’est pas sans rappeler celui de Shéhérazade dans Les Mille et une nuit, une référence d’ailleurs revendiquée par Philippe Lacôte (La Nuit des rois est aussi le titre français de la pièce Twelfth Night, Or What You Will de Shakespeare).
Si La Nuit des rois est ancré dans une certaine réalité sociale et politique (celle d’une prison surpeuplée, où les conditions de détention sont exécrables et par extension, celle également d’un pays, la Côte d’Ivoire), il renvoie donc également à l’univers du conte, et cette relation entre le réel et l’imaginaire est au cœur même du récit ; on sent bien ici que ce qui intéresse le cinéaste, outre de décrire le fonctionnement interne de la MACA (et notamment les rapports très hiérarchiques et codifiés entre prisonniers), c’est de montrer comment l’être humain, confronté à l’enfermement, la maladie, la violence, etc., perçoit dans l’imagination et la fiction une façon d’échapper, ne serait-ce que temporairement, à sa condition.
Dans le récit imaginé par Roman (Bakary Koné), Lacôte glisse à la fois des éléments de folklore magique et des détails renvoyant à l’histoire récente de la Côte d’Ivoire (en particulier la crise majeure ayant fait suite aux élections de 2010), ce qui illustre à nouveau cette volonté de mêler réalité sociale et fiction (à l’image de la filmographie de Lacôte, qui alterne documentaires et œuvres de fiction).
Le casting mêle d’ailleurs des acteurs confirmés (Steve Tientcheu, vu entre autres dans Les Misérables, ou encore Denis Lavant, avec lequel Philippe Lacôte avait déjà tourné) et d’autres qui ont fait ici leur toute première apparition au cinéma. En termes de réalisation, Philippe Lacôte privilégie le mouvement et la dynamique entre les comédiens à toute forme de démonstration technique dans le souci, selon son propre aveu, d’échapper à la tentation du voyeurisme que le sujet aurait pu favoriser.
Si La Nuit des rois, en voulant décrire les rapports codifiés régnant au sein de la prison, nous présente des personnages manquant parfois de consistance (on peut toutefois y voir un parti pris, et non une faiblesse narrative) et articule par ailleurs un récit parfois un peu bancal dans sa progression, il demeure intéressant dans sa manière de rendre compte d’aspects sombres de la société ivoirienne (l’état délabré de la MACA, mais aussi la pauvreté dans certains quartiers d’Abidjan) tout en illustrant l’éternel pouvoir de l’imaginaire.
La Nuit des rois illustre intelligemment la façon dont l'être humain, confronté au pire, s'évade dans l'univers du conte et de la fiction. La stratégie du personnage principal, qui fait écho à celle de Shéhérazade dans Les Mille et une nuits, fait d'ailleurs un peu songer à un autre film en ce moment sur les écrans, l'excellent Les Sorcières d'Akelarre. Un pur hasard de calendrier, évidemment, dont je vous recommande de profiter en allant voir ces deux films (La Nuit des rois sortira en salle le 8 septembre).
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