Film de Diane Bertrand
Pays : France, Allemagne, Royaume Uni
Année : 2006
Scénario : Diane Bertrand, d’après le roman L’Annulaire de Yoko Ogawa
Photographie : Alain Duplantier
Montage : Nathalie Langlade
Musique : Beth Gibbons
Avec : Olga Kurylenko, Marc Barbé, Stipe Erceg, Édith Scob
L’Annulaire est un conte mystérieux et sensuel, filmé avec une belle précision par Diane Bertrand.
Synopsis du film
Iris (Olga Kurylenko) perd son emploi dans une usine de mise en bouteilles à la suite d’un accident du travail.
Elle finit par trouver un poste d’assistante dans un curieux laboratoire, dont le responsable (Marc Barbé) exerce une non moins curieuse activité : préserver des « spécimens » apportés par différents clients dans des éprouvettes contenant un liquide de conservation. Il peut s’agir d’un objet, d’un végétal, d’un squelette animal comme d’une partition de musique…
Un jour, le naturaliste offre à Iris une paire de chaussures qui lui va à ravir. Peu à peu, tous deux se rapprochent, bien qu’Iris se pose des questions sur son employeur et surtout, sur la disparition de la jeune femme qu’elle a remplacée…
Critique de L’Annulaire
Dix années se sont écoulées depuis le dernier film en date (Baby Blues, sorti en 2008) de Diane Bertrand et quand on découvre aujourd’hui L’Annulaire, son avant-dernier long métrage, on s’étonne qu’une cinéaste de cette trempe puisse être aussi longtemps absente des plateaux de cinéma. Certes, L’Annulaire est un film singulier (il pourrait bien être programmé dans une carte blanche de L’Étrange Festival), pas un passeport pour se voir accorder une confiance aveugle par les producteurs en quête de performances au box-office ; mais il témoigne, sur les plans technique et artistique, d’une maîtrise et d’un savoir-faire évidents.
Pour adapter à l’écran le roman éponyme de l’écrivaine japonaise Yoko Ogawa, Diane Bertrand a fait plusieurs choix qui s’avèrent tous judicieux. Premièrement le film n’est pas, à la différence du roman, un pur huis-clos, et cela fonctionne notamment parce que la cinéaste a choisi une ville portuaire (Hambourg) pour tourner les scènes d’extérieur. Choix très cohérent : la protagoniste du film se situe dans un entre-deux (elle vient de perdre son travail d’ouvrière), et n’a manifestement pas d’attaches particulières (nul ami, amant ou famille ne l’aide au cours de cette situation difficile) tandis qu’elle a manifestement dû quitter son domicile. Or quoi de mieux qu’une cité portuaire pour illustrer cette idée de transition un peu floue, de flottement indécis ?
Ensuite, on ne voit jamais à l’écran d’éléments (affiches, appareils technologiques, journaux, téléphones portables…) qui permettraient de dater un tant soi peu précisément l’action. Certes tout porte à croire que cela se passe de nos jours (du moins rien ne laisse entendre le contraire), mais les éléments de décor sont largement intemporels. Là aussi c’est cohérent, pour deux raisons : d’abord, la curieuse profession qu’exerce le personnage joué par Marc Barbé consiste justement à préserver des « spécimens » (objets ; squelettes…) des effets du temps ; ensuite, cette absence de repères non seulement rejoint à nouveau l’état d’esprit de l’héroïne, mais donne au film un côté conte, auquel renvoie d’ailleurs le motif des chaussures – celles, à la fois belles et inquiétantes, qu’offre le naturaliste (jamais nommé) à Iris.
Cette cohérence, cette harmonie entre la forme et l’histoire est perceptible également dans l’utilisation de la caméra. La curieuse activité du personnage masculin et celle de sa jeune assistante requérant beaucoup de précision et de délicatesse, les cadrages sont ici millimétrés, et L’Annulaire est sur le plan formel une œuvre rigoureuse, stylisée mais sans effets gratuits ou superficiels. Une œuvre pleine de sensualité aussi, sensualité exprimée à la fois par la moiteur de l’atmosphère (il est censé faire très chaud), par la lumière sophistiquée d’Alain Duplantier et bien sûr par la très belle et alors débutante Olga Kurylenko, que Diane Bertrand filme remarquablement bien. La cinéaste sait par ailleurs exactement comment les comédiens doivent bouger, parler et se déplacer pour figurer une tension sexuelle jamais grossière – y compris lors de scènes plus explicites, d’un érotisme raffiné.

Olga Kurylenko dans « L’Annulaire ». On notera le travail sophistiqué d’Alain Duplantier sur la lumière.
L’histoire est ambigüe ; L’annulaire pourrait de prime abord évoquer, en partie du moins, un récit de soumission, mais ce n’est pas tout à fait le cas, comme l’a d’ailleurs elle-même déclaré Diane Bertrand (je me suis attachée à traduire ce qui, derrière l’apparence d’une toute jeune femme soumise à l’autorité d’un homme, fait d’Iris une héroïne
). C’est un récit trouble, aux enjeux imprécis ce qui, conjugué à un rythme assez lent, peut d’ailleurs favoriser sur la fin une vague sensation d’ennui ; mais celle-ci est vite remplacée par l’impression délicate et mystérieuse que produit l’ultime plan du film.
C’est d’ailleurs dans cette sensation de flottement que le film puise son identité volontairement trouble, à l’image de sa protagoniste à la fois égarée et comme saisie d’une étrange détermination, qu’Olga Kurylenko incarne avec beaucoup de grâce. Une grâce que la réalisation de Diane Bertrand et la musique originale remarquable de la britannique Beth Gibbons (membre de Portishead, groupe culte de la scène de Bristol) capturent avec finesse.
C’est peut-être d’ailleurs ça, le sens de l’histoire : L’Annulaire serait un film sur la préservation de la grâce et de la beauté, la pellicule de la caméra remplaçant les éprouvettes manipulées par Marc Barbé ; tout film, par essence, a d’ailleurs le don de fixer quelque chose dans le temps, et est donc comparable en cela aux spécimens conservés avec soin par le naturaliste dans L’Annulaire. Mais quoi qu’ait voulu dire, ou ne pas dire d’ailleurs, Diane Bertrand, elle nous propose dans tous les cas un long métrage atypique, en donnant l’impression de savoir, de son côté, parfaitement où elle va.
Il émane de L'Annulaire un fantastique poétique et sensuel que le cinéma hexagonal explore rarement, et qui donne au film de Diane Bertrand une belle fraîcheur. Quant à Olga Kurylenko, elle faisait ici des débuts plus que convaincants ; sa prestation lui a d'ailleurs valu le prix de la meilleure actrice au Festival international du film de Brooklyn.
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