Film d’Albert Shin
Année de sortie : 2019
Pays : Canada
Scénario : Albert Shin et James Schultz
Photographie : Catherine Lutes
Montage : Cam McLauchlin
Musique : Alex Sowinski, Leland Whitty
Avec : Tuppence Middleton, Hannah Gross, David Cronenberg, Noah Reid, Andy McQueen, Marie-Josée Croze
Disappearance at Clifton Hill est un thriller canadien de bonne facture, porté par un personnage féminin intéressant et complexe.
Synopsis du film
Abby (Tuppence Middleton) retourne à Niagara Falls, où elle a grandi, après le décès de sa mère. Elle y retrouve sa sœur aînée Laure (Hannah Gross), et aussi des souvenirs encombrants : petite, elle a été le témoin du kidnapping d’un enfant.
Devant l’indifférence de la police locale face à son récit, qui ne renvoie à aucun cas de disparition enregistré, Abby tente de faire la lumière sur cette sombre affaire par ses propres moyens. Le problème, c’est que peu de gens la croient : la jeune femme a en effet la fâcheuse habitude de mentir…
Critique de Disappearance at Clifton Hill
Disappearance at Clifton Hill repose sur une situation relativement fréquente dans les thrillers : celle du retour sur le territoire de l’enfance, retour qui vient réveiller quelques vieux démons et autres souvenirs perturbants. En l’occurrence, le point de départ est basé en partie sur une expérience personnelle du réalisateur (et co-scénariste) Albert Shin ; expérience pour le moins dérangeante, puisqu’il pense avoir été le témoin, alors qu’il n’était qu’un enfant, d’un kidnapping (source : article Wikipedia sur le film). Exactement comme la protagoniste de son troisième long métrage.
Le cinéma, c’est aussi des voyages, en quelques sortes, dans des endroits divers et variés du globe. L’action est située ici à Niagara Falls, ville de l’Ontario qui comme son nom l’indique, se trouve près des fameuses chutes éponymes, et ce cadre contribue largement à l’atmosphère volontiers mystérieuse du film, au même titre que la photographie gris-bleu de Catherine Lutes. Cadre d’ailleurs pas si souvent exploité (à ma connaissance du moins) au cinéma, l’exemple le plus marquant étant évidemment le Niagara (1953) d’Henry Hataway avec Marilyn Monroe dans le rôle principal.
La talentueuse comédienne britannique Tuppence Middleton n’évoque guère Marylin, ne serait-ce que du fait de la noirceur de ses cheveux, mais elle compose ici un personnage dont la caractérisation est l’un des aspects intéressants du film. Abby est en effet une jeune femme un peu perdue, mythomane à ses heures qui, paradoxalement (et cette contradiction apparente est l’un des moteurs du récit), se met en quête d’une vérité, celle qui se cache derrière la disparition d’un jeune garçon dont les parents sont des figures locales du monde du spectacle et du cirque.
Dans les thrillers et les films policiers, les motifs personnels qui poussent un personnage à investiguer sont parfois au moins aussi importants, voire davantage, que les rouages de l’intrigue en elle-même, et Disappearence at Clifton Hill est un bon exemple de cette approche intime et psychologique du genre. Cela ne signifie pas que l’affaire criminelle soit dénuée d’intérêt, loin s’en faut (elle a d’ailleurs une portée politique intéressante), mais l’intérêt du film réside essentiellement dans l’impact que cette affaire exerce sur le parcours personnel d’Abby.
C’est une femme seule, isolée au sein de sa propre famille, et le fait qu’elle ait été le témoin, enfant, d’un événement grave, qu’elle n’a pas pu partager avec les autres, a sans doute un rapport direct avec sa propension au mensonge (de même que sa quête obstinée de la vérité est une façon de s’opposer à cette même propension). Vers la fin du film, on voit son reflet dans un miroir, ce qui est sans doute une manière de dire qu’Abby est, en grande partie (et d’un certain point de vue), le sujet de Disappearence at Clifton Hill. Le miroir est aussi le symbole de la surface, des apparences ; il renvoie à l’idée d’une vérité insaisissable et ambiguë.
Bien mené et solidement réalisé, le film se suit avec plaisir, d’autant qu’on y croise un David Cronenberg plutôt rare devant la caméra. Il manque un petit quelque chose pour qu’il soit davantage qu’un (très) honnête thriller ; son dénouement n’évite pas certains clichés du genre (le fameux twist qui survient tout à fait par hasard) tandis que le personnage d’Amy aurait peut-être gagné à être davantage développé, dans la mesure où celle-ci demeure au centre du récit. Mais on passe un moment agréable, ce qui justifie amplement la vision de ce thriller atmosphérique, et psychologique, en terres nord-américaines.
Pour son troisième long métrage, Albert Shin a tenté de mettre en perspective le portrait intime d'une jeune femme avec la sombre affaire criminelle qui l'obsède. Ce louable objectif n'est peut-être que partiellement réussi, mais les qualités visuelles du film, de son interprétation ainsi que la construction maîtrisée du récit font que Disappearance at Clifton Hill s'affirme comme un divertissement intelligent et non dénué de sensibilité.
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