Film de Patricia Rozema
Année de sortie : 1987
Titre original : I’ve Heard the Mermaids Singing
Pays : Canada
Scénario : Patricia Rozema
Photographie : Douglas Koch
Montage : Patricia Rozema
Musique : Mark Korven
Avec : Sheila McCarthy, Paule Baillargeon, Ann-Marie MacDonald
Le Chant des sirènes nous plonge dans le « petit monde » d’un personnage féminin particulièrement attachant, dont on suit avec plaisir les rêveries et (més)aventures quotidiennes.
Synopsis du film
Polly (Sheila McCarthy) est une trentenaire rêveuse, maladroite et solitaire vivant à Toronto. Photographe amateure, elle trouve un emploi de secrétaire dans une galerie d’art dirigée par Gabrielle (Paule Baillargeon).
Polly éprouve une forme d’admiration amoureuse pour sa patronne, au point qu’elle voit d’un mauvais œil l’arrivée de Mary (Ann-Marie MacDonald), l’ex-compagne de Gabrielle, qui se rend fréquemment dans la galerie.
Le regard innocent de Polly va peu à peu se heurter au monde souvent arrogant de l’art contemporain, et tout simplement à une réalité pas aussi bienveillante qu’elle-même…
Critique de Le Chant des sirènes
Oh, s’il te plaît, soit capable de jouer
, a pensé en elle-même la réalisatrice et scénariste Patricia Rozema quand elle a vu Sheila McCarthy entrer dans la salle où avaient lieu les castings pour la protagoniste du Chant des sirènes. Avec ses grands yeux sympathiques, son air un peu lunaire, McCarthy semblait faite pour jouer ce personnage de trentenaire candide que Rozema avait commencé à écrire alors qu’elle travaillait comme assistante réalisatrice sur La Mouche, le film culte de son compatriote David Cronenberg.
Comme on comprend ce coup de foudre instantané. On l’éprouve à notre tour dès les premiers moments du film : Polly Vandersma est instantanément drôle et attachante, et si c’est bien entendu à la plume de Rozema que sont dues ces qualités, c’est aussi, dans une très large mesure, à l’aura et au jeu de McCarthy.
Quand on fait un film qui porte principalement sur l’intimité d’un personnage – son quotidien, ses doutes, ses envies –, le personnage en question doit bien évidemment toucher ou a minima intéresser le spectateur pour que cela fonctionne. Comme déjà mentionné, c’est clairement le cas ici : le côté rêveur, naïf, maladroit et bienveillant de Polly font qu’on a immédiatement envie de savoir ce qui va lui arriver. Mais cela ne suffit pas, bien entendu ; il faut une mise en scène, un récit, d’autres personnages autour.
Il y a tout cela dans Le Chant des sirènes. Ce tout petit film indépendant, qui a coûté moins de 400 000 dollars, est réalisé avec talent, sensibilité, inspiration. Le récit, qui égratigne gentiment le monde de l’art contemporain, convainc dans sa manière d’effleurer des thèmes sans jamais les surligner, de dessiner des personnages, et leurs désirs, sans chercher à les cataloguer. L’amour que Polly éprouve pour sa patronne, par exemple, n’est pas évident à définir. Certains spectateurs homosexuels reprochèrent même au film d’être trop peu explicite, et à la réalisatrice de ne pas avouer publiquement son homosexualité. Mais une œuvre d’art ne doit pas nécessairement véhiculer un message politique, ou représenter une communauté. Un film est d’ailleurs souvent plus intéressant quand il est davantage personnel que représentatif. Par ailleurs, une approche différente aurait été en contradiction avec la nature même du personnage, qui précisément ne souhaite pas particulièrement appartenir à un groupe, quel qu’il soit.
Si Polly est en quelque sorte une femme qui se cherche, le film n’est pas axé sur la quête d’une vérité ou d’une voie salvatrice. C’est ce qui distingue radicalement Le Chant des sirènes de nombreux longs métrages faisant mine de s’attacher à des personnages un peu en marge de la société, pour au final articuler le récit autour de leur manière d’accéder à une quelconque forme d’intégration et de reconnaissance. Ici, si la fin donne des raisons d’être optimiste sur le destin de Polly, le scénario n’utilise pas ce ressort dramatique facile et finalement très conventionnel. Polly est comme elle est, et l’enjeu n’est nullement de la voir mûrir ou évoluer d’une façon ou d’une autre ; on souhaite simplement que le destin lui réserve quelques bonnes surprises, voilà tout !
La photographie de Douglas Koch décline une jolie palette de couleurs au cours des déambulations auxquelles se livre l’héroïne dans la belle ville de Toronto et ses environs, tandis que la musique de Mark Korven, qui a signé entre autres les BO du célèbre Cube (1997) et plus récemment celle de The Witch (2015), convient très bien à cette ode à la rêverie, à la discrétion, à la créativité et à la singularité.
Au niveau du casting, outre Sheila McCarthy dont j’ai déjà loué le talent et la présence, Paule Baillargeon est parfaite en directrice d’exposition égocentrique, tandis qu’Anne-Marie MacDonald, dans le rôle de son ancienne petite amie, apporte des nuances à la façon dont le film dépeint le milieu de l’art contemporain, dans la mesure où elle est plus douce et sympathique que Gabrielle.
On notera une amusante similitude entre le déroulement du scénario et le parcours du film. Si la protagoniste semble en effet être engagée sur de bons rails au terme de sa petite aventure, Le Chant des sirènes, film pourtant fauché et premier long métrage d’une réalisatrice inconnue, fut projeté à la Quinzaine des réalisateurs (alors dirigée par Pierre-Henri Deleau) du Festival de Cannes, en mai 1987. Il eut droit à une longue, et méritée, standing ovation. Depuis, on a finalement assez peu parlé, en France en tout cas, de ce petit joyau du cinéma canadien des années 1980. Sa découverte est d’autant plus réjouissante.
Le Chant des sirènes est disponible en ce moment sur MUBI, la plateforme de VOD britannique dédiée au cinéma d’auteur.
Chronique à la première personne d'une jeune femme singulière, lunaire et artiste à ses heures, Le Chant des sirènes est un film pur, sincère, léger mais pas superficiel, dont la vision procure une sensation berçante, comme si l'aura bienveillante de la protagoniste avait imprégné chaque fragment de la pellicule.
2 commentaires
Reminds me of May Sarton’s novel « Mrs Stevens Hears the Mermaids Singing », as well of course of the original line by T.S. Eliot in, I believe, « The Love Song of J Alfred Prufrock ».
Thanks a lot for your comment! I have just read the plot of « Mrs Stevens Hears the Mermaids Singing » and I think you’re right, the title of this movie seems to be a reference to this novel. Do you recommend reading it?