Film de Nathan Silver
Pays : France, États-Unis
Année de sortie : 2018
Titre original : Thirst Street
Scénario : Nathan Silver et C. Mason Wells
Photographie : Sean Price Williams
Montage : Hugo Lemant et John Magary
Musique : Paul Grimstad
Avec : Lindsay Burdge, Damien Bonnard, Esther Garrel, Lola Bessis, Alice de Lencquesaing, Jacques Nolot
Variation acidulée sur le thème de l’obsession amoureuse, C’est qui cette fille ? (Thirst Street) navigue habilement entre comédie noire et thriller anxiogène.
Synopsis du film
Gina (Lindsay Burdge) est une hôtesse de l’air américaine déprimée par le suicide de son ex-petit ami. Un soir, deux collègues l’entraînent dans un cabinet de voyance à Paris. La voyante lui prédit la rencontre imminente d’un homme qui a « quelque chose dans l’œil ».
Aussi, quand quelques minutes plus tard Gina croise Jérôme (Damien Bonnard) dans un bar à striptease, elle perçoit la conjonctivite dont souffre ce dernier comme un signe du destin. Ils ont une aventure d’un soir mais très rapidement, Jérôme réalise à ses dépens que les attentes de Gina sont autrement plus élevées que les siennes…
Critique de C’est qui cette fille ?
Le titre original du nouveau long métrage du jeune cinéaste américain Nathan Silver signifie littéralement « rue de la soif », ce qui renvoie à deux éléments du film : déjà, on lève pas mal le coude dans le quartier parisien où se déroule l’action de C’est qui cette fille ? mais surtout, la protagoniste jouée par Lindsay Burdge, qu’on a vue récemment dans l’excellent The Invitation, est avide non pas d’alcool (même si elle en consomme beaucoup), mais bien d’amour.
Un amour en l’occurrence particulièrement irrationnel, si tenté qu’il puisse en être autrement, dans la mesure où il est le fruit malade d’un deuil traumatisant et d’une croyance parfaitement farfelue (suscitée par une séance de voyance truquée). Bref, c’est ici un désir effréné d’amour qui est à l’œuvre (l’envie d’être amoureux étant plus importante que l’objet même du désir ; et pour cause : Gina ne connaît en effet rien de Jérôme, elle projette sur lui un pur fantasme amoureux). L’origine de ce désir dévorant et possessif est d’ailleurs expliqué dans le film : Gina veut s’oublier dans un autre car sa vie lui est devenue difficilement supportable.
Nathan Silver traite donc ici de l’obsession amoureuse flirtant avec la folie, et du phénomène de harcèlement qui en résulte. On se souvient de la belle et terrifiante Glenn Close faisant passer un mauvais quart d’heure au mari infidèle campé par Michael Douglas dans le thriller vaguement érotique Liaison fatale (1987) d’Adrian Lyne, mais c’est bien davantage à Roman Polanski que l’on songe à la vue de C’est qui cette fille ? ; Polanski que cite d’ailleurs Nathan Silver lui-même dans une interview (évoquant plus précisément Lune de Fiel) tandis qu’une séquence du film est un clin d’œil assez explicite au Locataire (1976), du même Polanski (soulignons d’ailleurs que dans les deux cas, Paris est filmé par un étranger : Silver est américain et Polanski venait plus ou moins d’émigrer en France à l’époque du Locataire).
On ajoutera qu’un détail de l’histoire (les précédents habitants de l’appartement où emménage Gina se sont jetés par la fenêtre) fait référence à la fois à Rosemary’s Baby et de nouveau au Locataire, deux films qui se déroulent dans un appartement ayant été le cadre d’une défenestration.
Mais Silver, s’il a ses références comme n’importe quel cinéaste, possède un style qui lui est propre et que Thirst Street affirme avec panache. Au niveau visuel, le film est assez stylisé. La photographie de Sean Price Williams lui donne une sorte de cachet pop et coloré (Williams et Silver citent l’influence de De Palma et Argento), mais cette sophistication esthétique est avant tout mise au service du récit que nous conte fort bien la jolie voix (off) d’Angelica Huston. Récit bien écrit et équilibré d’ailleurs, au niveau de la caractérisation des personnages notamment qui, principaux comme secondaires, sonnent tous très justes (on pourrait tout à fait croiser dans la rue les parisiens fêtards de C’est qui cette fille ?). Rendons hommage ici aux comédiens, tous très convaincants (citons Esther Garrel, Lola Bessis, Alice de Lencquesaing, Jacques Nolot), et en particulier à Damien Bonnard (d’une très grande justesse) et Lindsay Burdge, laquelle parvient à être tour à tour séduisante (elle pose d’ailleurs sa jolie voix sur la BO du film) et franchement inquiétante (elle l’était particulièrement dans The Invitation, déjà cité dans cet article).
Au niveau du ton, C’est qui cette fille ? propose un alliage étonnant d’angoisse et d’humour grinçant, de drame et d’ironie. On ne s’en étonnera guère à la lecture des propos de l’auteur : life is a joke and it has to be laughed at […] I hate humorless movies
(la vie est une blague et on doit rire d’elle […] je hais les films dépourvus d’humour
). Ce sens de la dérision et de l’absurde habite le film ; mais l’anxiété n’est jamais loin. Elle se fait même assez pressante sur la fin – signe que le récit est bien construit et que sa forme est immersive. Deux bonnes raisons d’aller se balader dans cette « rue de la soif » à la fois familière et étrange, où l’alcool, le désir et la solitude font prendre des chemins douteux, dont on ne revient pas toujours…
Bande-annonce
C'est qui cette fille ? est une comédie noire aux allures de conte déréglé, qui possède une vraie personnalité tout en assumant pleinement ses références. Une réussite.
Aucun commentaire