Film de Youssef Chebbi
Année de sortie : 2022
Pays : Tunisie, France, Qatar
Scénario : Youssef Chebbi et François-Michel Allegrini
Photographie : Hazem Berrabah
Montage : Valentin Féron
Musique : Thomas Kuratli
Avec : Fatma Oussaifi, Mohamed Grayaâ, Hichem Riahi, Mohamed Grayaâ
À travers son intrigue minimaliste mêlant polar et fantastique, Ashkal pose un regard sombre et désabusé sur la Tunisie post-révolution.
Synopsis du film
De nos jours, à Tunis. Un homme est retrouvé calciné dans un immeuble vide, situé au sein d’un quartier dont la construction, initiée sous la présidence de Ben Ali, n’a jamais été achevée depuis.
Les inspecteurs Fatma (Fatma Oussaifi) et Batal (Mohamed Grayaâ) mènent l’enquête, laquelle prend peu à peu une tournure irrationnelle…
Critique d’Ashkal
On réalise assez vite, face à Ashkal, que bien que démarrant par la découverte d’un corps par la police, le film n’a guère l’intention de relater une enquête policière riche en interrogatoires, en fausses pistes, en suspense et en rebondissements. La caméra nous donne surtout à voir des rues désertes, des terrains vagues et des bâtiments inachevés, que Youssef Chebbi cadre dans de longs plans fixes millimétrés. Dans ce décor austère, les silhouettes solitaires et minuscules des deux inspecteurs de police campés par Fatma Oussaifi et Mohamed Grayaâ semblent dérisoires, impuissantes, écrasées par un passé chargé, et par une révolution qui manifestement, n’a pas encore porté ses fruits.
La manière dont meurent les différentes victimes (par immolation) renvoyant directement à l’acte désespéré déclencheur du printemps arabe tunisien (lequel avait débuté après le suicide du marchand de fruits et légumes Mohamed Bouazizi en 2010), il parait assez évident qu’Ashkal choisit la métaphore fantastique pour chroniquer une Tunisie enlisée, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Youssef Chebbi, dont il s’agit du premier long métrage, donne peu de raisons d’espérer en des jours meilleurs. On ne trouvera, dans tous les plans à la géométrie glaciale qui ponctuent Ashkal, pas de lueur d’espoir, mais une logique de répétition vaine, celle d’un geste (l’immolation comme protestation ultime) que les responsables politiques actuels ne semblent guère chercher à comprendre.
Porté par un personnage féminin auquel l’actrice Fatma Oussaifi prête une aura et un caractère saisissants, le film va jusqu’au bout de sa logique pessimiste, et n’offre aucun moment contrastant avec sa noirceur, de même qu’il ne cherche pas outre mesure à dynamiser son récit. On ne s’ennuie jamais car c’est bien filmé, bien interprété et que l’atmosphère est travaillée, en revanche, dans la mesure où l’on voit assez rapidement où le metteur en scène veut en venir, le film aurait gagné à densifier un peu son scénario, réduit en quelques sortes à la métaphore centrale sur lequel il repose. On aurait aimé que celle-ci se révèle peu à peu, plutôt que de la voir se déployer inlassablement pendant toute la durée du métrage. C’est le reproche que l’on peut faire à Ashkal, mais cela reste un premier film maîtrisé sur le plan esthétique, et qui interpelle quant à ce qu’il nous raconte sur la Tunisie d’aujourd’hui.
Ashkal, bien qu'un peu trop lisible dans sa façon de diffuser son propos, témoigne d'une belle maîtrise de la caméra et d'une utilisation intelligente des décors urbains où se déroule une intrigue métaphorique, reflet d'un pays où la détresse de Mohamed Bouazizi (et d'autres) n'a visiblement toujours pas trouvé de réponse sociale et politique convaincante.
Un commentaire
précisément le film ne dévie pas du chemin qu’il s’est tracé. Véritable film noir comme ceux américains des années 50 (et ce n’est pas nouveau le flirt du fantastique avec le polar), film politique au sens global du terme (de la vie intime à la vie publique), la fin ne peut déboucher que sur le désespoir. C’est le constat que faisaient les écrivains libéraux dans leurs polars des années 50 (Chandler, Hammett, Caïn, Thompson, Goodis, etc.), c’est encore la réalité aujourd’hui.