Film de Michel Deville
Année de sortie : 1992
Pays : France
Scénario : Rosalinde Deville, d’après le roman d’Andrew Coburn, Sweetheart
Photographie : Bernard Lutic
Montage : Raymonde Guyot
Musique : Dmitri Chostakovitch
Avec : Patrick Bruel, Jacques Dutronc, Mathilda May, Sophie Broustal, Vernon Dobtcheff, Bruce Myers
Vade : C’est à lui ?
Jeanne : Oui. Mais qu’est-ce que ça peut faire, si ça nous aide ?
Toutes peines confondues est un thriller élégant, tout en nuances, d’une remarquable précision dans sa mise en scène et son interprétation.
Synopsis de Toutes peines confondues
L’inspecteur Vade (Patrick Bruel) enquête sur le meurtre brutal d’un couple de personnes âgées, les Gardella. Leur fils Antoine (Jacques Dutronc), un riche homme d’affaires suisse, se charge lui-même de faire abattre les deux meurtriers, des petits voleurs sans scrupules.
Vade est alors chargé par un certain Thurston (Vernon Dobtcheff), un agent d’Interpol, d’enquêter sur Antoine Gardella, soupçonné de trafics en tout genres. L’inspecteur part donc pour Zurich où il rencontre Gardella et sa femme, Jeanne (Mathilda May). Commence alors un jeu étrange au sein duquel le rôle et les intentions de chacun s’avèrent particulièrement obscurs…
Critique et analyse du film
Vers le début de Toutes peines confondues, Christophe Vade (Patrick Bruel) et Thurston (Vernon Dobtcheff) se retrouvent dans un café. Thurston surprend un échange de regard entre Vade et une serveuse qui se tient derrière le comptoir, ce qui déclenche l’échange suivant :
Thurston : Vous aimez les femmes ?
Vade : Pas vous ?
Thurston : Non.
Vade : Vous préférez les hommes ?
Thurston : Non.
Vade : Vous n’aimez personne ?
Thurston : Si.
Vade : Vous ?
Thurston : Non.
Vade : Et à part ça le boulot, ça va ?
Ce dialogue un peu absurde est très représentatif d’un film où les non-dits, les allusions et les silences s’enchaînent dans une valse lente, étrange, un peu triste parfois, comme celle de Sibelius, même si c’est à un autre compositeur – Dmitri Chostakovitch (1906 – 1975) – que Toutes peines confondues doit en partie son rythme et sa singulière tonalité.
Insistons ici sur le mot « rythme », car celui du film, comme celui de toutes les œuvres de Michel Deville, est d’une précision extrême, tant au niveau du découpage que des mouvements et répliques des comédiens. Tout ici est millimétré, minuté, Michel Deville (Le Dossier 51) faisant partie de ces réalisateurs qui ont une vision claire du montage final au moment de tourner. Les scènes sont souvent assez courtes, très découpées (ce qui permet notamment de mettre mieux l’accent sur un geste ou une expression) ; régulièrement la caméra, d’un mouvement net, passe d’un personnage ou d’un détail quelconque (chez Michel Deville, chaque détail compte) à un autre, imitant un peu un regard – mais un regard affûté, fasciné par les mystères qui planent dans le cadre, comme les volutes des cigarettes qui se consument.
Il ne s’agit pas tant, d’ailleurs, des mystères liés à l’intrigue à proprement parler que de ceux des personnages dont le passé, les désirs et les motivations sont flous, voire inconnus. Toutes peines confondues ressemble un peu au lac suisse près duquel une grande partie de l’action se déroule ; le film nous présente un univers de surfaces, tantôt calmes, tantôt animées d’une houle vaguement inquiétante. Des surfaces auxquelles la ou plutôt les vérités n’affleurent que rarement, et toujours de façon fugace.
C’est donc ici un thriller d’atmosphère, élégant et raffiné (brillamment éclairé par le chef opérateur Bernard Lutic), que signe Michel Deville avec la complicité de son épouse Rosalinde (auteure du scénario, basé sur un roman d’Andrew Coburn) ; un thriller mettant en scène un danger latent et des personnages troubles, dont les dialogues, très écrits, sonnent de façon bien particulière, à la manière des sons et des notes énigmatiques que la musique de Chostakovitch distille ça et là.
La réalisation et le scénario soulignent habilement des idées significatives ; par exemple, pour exprimer l’enfermement qui caractérise la situation de Jeanne Gardella (Mathilda May), Deville la filme en train de marcher sur un labyrinthe dessiné sur le sol ; un peu plus tard, Antoine Gardella (Jacques Dutronc) et son bras droit Scandurat (Bruce Myers) jouent au croquet en s’imaginant que les boules représentent des personnages réels – ce qui accentue cette impression de jeu qui se dégage des échanges entre les différents comédiens.
Ces derniers sont tous remarquables : Patrick Bruel (dont c’est sans doute le plus beau rôle), Jacques Dutronc (qui venait d’incarner – brillamment – le peintre van Gogh dans le film éponyme de Maurice Pialat), Vernon Dobtcheff, Bruce Myers, Sophie Broustal et la troublante Mathilda May jouent ici une partition subtile, sobre et nuancée, formant ensemble une harmonie parfois (volontairement) dissonante mais parfaitement équilibrée.
Quant au titre, il est tentant de lui donner un double sens (de nombreux dialogues en ont un, d’ailleurs) : si le mot « peines » a, au sein de l’expression la confusion des peines
, un sens juridique, on peut également le voir ici comme un synonyme de tristesse »
; en effet, à l’issue de ce poker menteur dont personne ne connait la mise réelle, nul ne finit très heureux…
Les romans d’Andrew Coburn dans le cinéma français
Toutes peines confondues est adapté d’un roman de l’écrivain américain Andrew Coburn intitulé Sweetheart, qui constitue le premier volet d’une trilogie. Avant Michel Deville, deux autres réalisateurs français avaient porté à l’écran une œuvre de Coburn : il s’agit de Michel Vianey et de Pierre Granier-Deferre. Le premier avec Un Dimanche de flic (1983, adapté du roman Off Duty), qui réunit Jean Rochefort et Victor Lanoux ; le second avec Noyade interdite (1987, adapté de Widow’s Walk), un polar en eaux troubles interprété par Philippe Noiret et Guy Marchand, mais aussi Marie Trintignant et Suzanne Flon.
Toutes peines confondues est un film policier d'une rare subtilité, qui peut sembler froid dans sa précision et ses dialogues millimétrés - souvent énigmatiques - mais qui masque en réalité une profonde mélancolie, comme son titre le suggère habilement.
3 commentaires
This film was adapted from my father’s US novel, « Sweetheart. »
« Toutes peines confondues » owes very much to your father’s work. Pierre Granier-Deferre, an other great french director, has also adapted one of his books (« Widow’s Walk », the movie title is « Noyade interdite »).
Toutes peines confondues esr un chef d’oeuvre tout comme Dossier 51