Film de Sean Ellis
Année de sortie : 2008
Pays : Royaume-Uni
Scénario : Sean Ellis
Photographie : Angus Hudson
Montage : Scott Thomas
Musique : Guy Farley
Avec : Lena Headey, Richard Jenkins, Melvil Poupaud.
Plutôt mal reçu à sa sortie en 2008, The Broken, second long métrage de Sean Ellis après l’excellent Cashback, est pourtant un bon film fantastique, qui remplit parfaitement ce qui est sans doute son principal objectif : faire douter et frémir le spectateur à travers une variation intrigante sur le thème du double.
Synopsis de The Broken
Gina McVey (Lena Headey) participe à un dîner organisé pour l’anniversaire de son père, lorsque le miroir situé près de la table à manger se brise. Le lendemain, en sortant d’une cabine téléphonique, la jeune femme suit des yeux un véhicule identique au sien, et se voit elle-même au volant…
Critique du film
The Broken : un film injustement mal reçu
Le genre fantastique n’est pas toujours facile à aborder, surtout pour un auteur qui n’y est a priori pas associé par le public et les critiques. Même s’il n’avait fait qu’un film auparavant (le très apprécié, à juste titre, Cashback), on peut supposer que l’accueil très mitigé qu’a reçu The Broken n’est pas étranger au fait que Sean Ellis a été là où on ne l’attendait pas, passant d’une comédie dramatique pleine de poésie et d’humour à un film fantastique parfois à la limite de l’horreur, au rythme lent et au style glacial.
Certains ont cherché de la profondeur qu’ils n’ont pas trouvée, d’autres des sursauts et de la violence alors que le film privilégie la tension à l’action, et d’autres une explication que The Broken ne donne jamais (pour une raison bien précise sur laquelle nous reviendrons). D’emblée, Sean Ellis se met donc à dos trois catégories de spectateurs : les pseudo intellectuels, les fans d’un cinéma de genre spectaculaire et le public qui n’aime pas les zones d’ombre (je schématise, bien entendu : on peut ne pas aimer The Broken et ne se retrouver dans aucune de ces catégories).
Une variation intéressante sur le thème du double
The Broken (comme tout film d’ailleurs, dans l’idéal) doit se regarder sans a priori, sans préjugés, et être considéré pour ce qu’il est : un film fantastique efficace et stylisé qui n’est pas, comme certains ont pu le dire, prétentieux. Ce n’est pas parce que le film s’ouvre sur une citation de Poe et que sa réalisation est très léchée que Sean Ellis a cherché à en mettre plein la vue. Le soin accordé aux cadrages et au montage est ici uniquement destiné à créer la tension et l’angoisse du vide, et cela fonctionne parfaitement. D’abord intrigué, puis tendu, parfois effrayé, on suit avec intérêt une histoire qui, sans être révolutionnaire – la thématique du double n’est pas nouvelle –, est suffisamment bien racontée et filmée pour qu’on se laisse embarquer vers un final peut-être conventionnel mais logique.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à la critique de The Broken par L’Écran Fantastique, qui dénonce un effet manqué depuis le twist de Shyamalan dans Sixième sens. L’auteur de l’article oublie sans doute que ce film ne faisait aussi que reprendre une idée déjà exploitée au cinéma, quoique de différentes manières ; en quoi était-il si original de tourner un film dont le personnage principal est en réalité mort depuis le début ? Personne n’a vu Carnival of Souls ou Dead and Buried ? Écrire un scénario n’implique pas nécessairement de trouver des idées totalement nouvelles, mais de traiter intelligemment et avec un minimum d’originalité des thèmes qui de toute façon ont la plupart du temps déjà été exploités.

Lena Headey
Et de ce point de vue, The Broken est plutôt réussi : le thème du double agressif et déshumanisé est traité sous un angle relativement nouveau. Ainsi, s’il a une signification politique dans Invasion of Body Snatchers (1956), par exemple, l’approche de The Broken est plus obscure. La froideur extrême qui se dégage des différents plans (sur la ville, les visages), symbolisant le vide et l’absence de sentiments qui caractérisent les « doubles », ne renvoie à rien de facilement identifiable. Doit-on la considérer sous un angle social, psychologique ou autre ? Le film ne cherche peut-être pas à soulever ce genre de questions. Sean Ellis met en scène une peur irrationnelle du vide, une angoisse sourde et vertigineuse qui ne dit pas son nom – sinon elle ne l’est plus (vertigineuse) -, et quelque part, une explication ou des pistes trop franches auraient désamorcé la mécanique sur laquelle repose The Broken.

Vue de derrière le miroir…
En réalité, sans doute parce qu’Ellis, depuis Cashback, est considéré comme un auteur à suivre, on attendait de lui qu’il révolutionne le fantastique. Personnellement, je n’attends pas toujours qu’un film suscite en moi une révélation esthétique, ou même que son scénario m’étonne particulièrement, mais parfois simplement qu’il soit suffisamment bien fait pour provoquer un minimum d’émotions ; et cet objectif est loin d’être atteint par des films pourtant bien plus encensés que The Broken.
Intriguant, parfois très angoissant pour peu que l'on se laisse prendre au jeu, très cohérent en ce sens que le style visuel du film est au service de son histoire, The Broken est un film fantastique de bonne facture qui confirme les talents de son réalisateur, même si on peut lui préférer la fraîcheur de Cashback.
Un commentaire
Je lui préfère effectivement Cashback.
Son dernier, Metro Manila, a de belles qualités formelles et une décontraction narrative pas inintéressante. À voir pour se faire un avis 😉