Film d’Amy Seimetz
Année de sortie : 2020
Pays : États-Unis
Scénario : Amy Seimetz
Photographie : Jay Keitel
Montage : Kate Brokaw
Musique : Mondo Boys
Avec : Kate Lyn Sheil, Jane Adams, Kentucker Audley, Katie Aselton, Chris Messina, Tunde Adebimpe
Loot at me. I am going to die tomorrow.
Amy (Kate Lyn Sheil) dans She Dies Tomorrow
Avec She Dies Tomorrow, la jeune cinéaste Amy Seimetz propose une variation personnelle, singulière et existentielle du pandemic movie.
Synopsis du film
Bien qu’elle soit invitée à la fête d’anniversaire de sa belle sœur, Jane (Jane Adams) rend d’abord visite à Amy (Kate Lyn Shell), une amie à elle qui visiblement n’est pas dans son état normal.
Amy lui confie en effet une bien étrange conviction : elle est persuadée qu’elle va mourir dès le lendemain. Jane ne la prend pas trop au sérieux, et prend congé d’elle. Mais peu de temps après, elle se met à éprouver le même sentiment qu’Amy…
Critique de She Dies Tomorrow
Des êtres vivants qui peuplent la terre, l’être humain est, jusqu’à preuve du contraire, le seul qui ait conscience qu’il va mourir. Il parvient cependant, à des degrés divers et sauf cas particuliers, à composer plus ou moins avec cette réalité. Composer n’est pas oublier – chose qui serait d’autant plus impossible que la mort est présente dans notre quotidien soit de façon directe, soit par l’intermédiaire des médias. Elle l’est aussi dans la fiction, ce qui est logique puisque la fiction reflète naturellement l’expérience et les obsessions humaines. La mort est donc présente au cinéma, et encore plus particulièrement dans le cinéma d’horreur.
Le genre horrifique est en effet celui qui met le plus fréquemment en scène, et de façon la plus explicite, la grande faucheuse. D’ailleurs, comme le rappelle la jeune réalisatrice du film qui nous intéresse ici, les personnages d’un film d’horreur dirons-nous « classique » passent une bonne partie de leur temps à fuir la mort, avec plus ou moins de réussite (l’exemple le plus parlant est bien entendu la série des Destination finale, qui a pour particularité que ses protagonistes sont traqués par… la mort).

L’idée simple et plutôt maline de She Dies Tomorrow est de partir de cette condition propre à l’espèce humaine et de la rendre brusquement insupportable, dans la mesure où les personnages du film se livrent, tour à tour, plus ou moins au raisonnement suivant : 1) je vais forcément mourir un jour ; 2) pourquoi pas demain ? Et aussitôt, ce questionnement anxiogène fait place à une certitude (celle que le titre du film exprime) que les personnages du film se transmettent comme un virus (bien évidemment, on n’a pas manqué de faire le parallèle avec la pandémie de COVID 19, qui a d’ailleurs causé l’annulation de la première mondiale de She Dies Tomorrow).
C’est peut-être le premier pandemic movie où ce n’est pas une infection physique mais bien une angoisse métaphysique qui se répand au sein de la population. C’est plutôt bien vu d’ailleurs : les exemples de peurs collectives ne manquent pas dans l’histoire ancienne et récente. Cette angoisse a ceci de déroutant qu’elle repose à la fois sur une hypothèse crédible (chacun peut en effet, dans l’absolu, mourir demain) et sur une certitude absurde (pourquoi mourrait-on nécessairement demain ?). C’est le principe de l’angoisse : elle contourne sournoisement les barrières du raisonnement logique, s’infiltre dans la pensée et provoque la panique. Amy Seimetz se décrit d’ailleurs elle-même comme une personne sujette à des crises d’angoisse (tout le monde l’est plus ou moins, d’ailleurs), et She Dies Tomorrow explore son anxiété qui est à la fois intime, personnelle (notons que l’un des personnages principaux du film porte son prénom) et universelle.

Plutôt lent et avare en péripéties, She Dies Tomorrow reflète un travail évident sur l’image et sur la bande son (Amy Seimetz a cité le récent Shirley comme un exemple de bande son intéressante au cinéma). Travail plutôt inspiré mais qui heureusement, n’a pas remplacé le souci de l’écriture. Le scénario est en effet plutôt intelligent, notamment quand il montre les différentes réactions des personnes « infectées » par ce « virus psychologique ». Cela fonctionne d’autant mieux que les comédiens sont convaincants (notamment Kate Lyn Shell et Jane Adams, vue dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Little Children et plus récemment dans la série Easy).
La narration est curieusement découpée, à l’image d’un montage parfois abrupt, qui nous fait basculer d’un point de vue à l’autre, d’un moment à un autre, d’une façon volontiers déroutante. Le spectateur est intrigué en permanence ; She Dies Tomorrow est un film qui rend perplexe. D’autant plus que son récit se passe de toute explication de texte ; certains y verront un propos bien défini, d’autres, comme moi, une exploration de notre rapport à la mort, qui ne délivre pas d’enseignement ou de message clair. C’est en tout cas une œuvre singulière, parfois à deux doigts de frôler l’ennui (c’est sans doute un film qui gagne particulièrement à être vu au cinéma) mais qui justifie qu’on suive de près le parcours de son auteure.
Bande-annonce
She Dies Tomorrow cristallise, dans un récit à la fois épuré, opaque et surprenant, l’angoisse liée à la conscience de la mort. C’est donc un film qui intègre un élément clé du cinéma de genre tout en le traitant sous un angle particulièrement abstrait (c’est un film d’horreur sans ennemis). Le résultat peut dérouter, mais il possède un cachet indéniable.
Aucun commentaire