Documentaire d’Andrew Dominik
Année de sortie : 2016
Photographie : Benoît Debie, Alwin H. Küchler
Musique : Nick Cave and The Bad Seeds
Avec : Nick Cave, Warren Ellis, Susie Bick, Earl Cave, Martyn Casey, Thomas Wydler, Jim Sclavunos, George Vjestica
Le documentaire One More Time with Feeling nous plonge dans la réalisation du dernier album de Nick Cave and the Bad Seeds (Skeleton Tree), et du même coup dans son douloureux contexte.
Critique
Dès les premières images de One More Time with Feeling, tournées à l’arrière d’une voiture, le ton est donné : Warren Ellis, membre du groupe depuis 1993, évoque avec la pudeur qui le caractérise le tragique événement survenu pendant l’enregistrement de Skeleton Tree, le 16ème album de Nick Cave and the Bad Seeds. À savoir la mort accidentelle d’Arthur Cave, fils de Nick cave et de Susie Bick, survenue au cours de l’été 2015. Ellis le fait malgré la réserve naturelle qu’il éprouve à l’idée d’évoquer la vie privée de son ami et partenaire musical – il ne dit d’ailleurs pratiquement rien. Simplement, il n’était de toute évidence pas possible de montrer pendant près de deux heures les Bad Seeds travailler sur Skeleton Tree tout en occultant un contexte personnel aussi important. D’autant que ce drame imprègne l’atmosphère du disque, et se lit sur le visage de Nick Cave. Lequel, comme il le souligne lui-même à plusieurs reprises, a changé
, et qu’il doit, en tant qu’autre personne
dans une même peau
, renégocier
sa place dans le monde.
One More Time with Feeling est un donc un documentaire imprégné par le deuil et la création artistique, même si, comme le confie Cave, le traumatisme a d’abord été un frein à l’inspiration. Sa compagne, l’élégante et gracieuse Susie Bick, explique de son côté que son travail (elle est créatrice de mode) a pris encore plus de place dans son quotidien. Tous deux font comme ils le peuvent, et leur témoignage, digne et réservé, inspire un profond respect, tout comme il créé une forme – parfaitement naturelle – de distance.
Nul ne peut en effet imaginer ce que l’on ressent en pareille situation, à moins de l’avoir vécue soi-même. Les mots que Nick Cave et Susie Bick prononcent sont certes compréhensibles, mais les sentiments qu’ils traduisent ne peuvent pas être partagés ou même mesurés. C’est d’ailleurs peut-être la musique de Skeleton Tree qui nous rapproche le plus, toutes proportions gardées, de ce que ressent son auteur.
Le documentaire d’Andrew Dominik accorde une large place à cette musique. One More Time with Feeling nous permet d’entendre dans leur intégralité plusieurs des morceaux de l’album (sorti le 9 septembre dernier), interprétés en studio par le groupe. S’ils ont été majoritairement écrits avant la disparition d’Arthur Cave, il est aujourd’hui difficile de les écouter sans faire le rapprochement, de surcroît dans le contexte du documentaire. Il faut dire que le chant – souvent douloureux, parfois libéré – de l’artiste, mais aussi les paroles des chansons (Jesus Alone fait explicitement référence à l’accident) et leur atmosphère, sont imprégnés par cette épreuve.
Remarquablement aboutis sur le plan des arrangements et de la production, servis par des musiciens d’une finesse rare (les Bad Seeds comptent parmi les plus grands groupes de ces 30 dernières années), les morceaux de Skeleton Tree sont représentatifs d’une nouvelle manière de travailler pour Nick Cave depuis Push the Sky Away (2013). S’il avait coutume, pour la quasi totalité des albums précédents, de proposer au groupe des morceaux déjà écrits et composés (par lui-même), le processus de création est aujourd’hui différent. La musique prend forme au cours d’un long travail collaboratif avec l’incontournable Warren Ellis, au cours desquels les deux hommes improvisent ensemble jusqu’à ce qu’ils trouvent les bons enchaînements d’accords, les bonnes mélodies. Même le texte, signé comme d’habitude par Cave, a été cette fois le fruit d’une démarche plus spontanée, moins réfléchie, quand il n’a pas été en partie improvisé (comme c’est visiblement le cas sur l’hypnotique Jesus Alone, le morceau qui ouvre l’album).

Le génial multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur Warren Ellis, une figure majeure du groupe.
Les séquences musicales, et celles montrant les préparatifs qui les introduisent, comptent parmi les plus réussies du documentaire, même si Andrew Dominik en fait parfois un peu trop sur le plan de la réalisation, comme dans cette scène où sa caméra part du studio pour venir filmer la terre depuis l’espace. Ici, le réalisateur de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford surligne de façon un peu pompeuse ce que le lyrisme des paroles et de la musique exprime déjà suffisamment bien. Si ces envolées visuelles s’avèrent donc un peu superflues, elles sont cependant, il faut le souligner, rares et brèves.
Forcément chargé, parfois pesant, One More Time with Feeling est aussi – même surtout – beau. Parce qu’il nous montre des artistes habités par ce qu’ils font ; des musiciens (Warren Ellis ; Martyn Casey ; Thomas Wydler ; Jim Sclavunos et George Vjestica) qui s’écoutent les uns les autres et se mettent entièrement au service des morceaux, livrant chacun des contributions subtiles et complémentaires. Parce que Nick Cave est un auteur-compositeur fascinant, inspiré, totalement unique en son genre. Et parce que lui et Susie Bick continuent de vivre et de créer, et c’est peut-être l’essentiel de ce qu’il faut retenir ici ; au même titre que l’on retiendra les dernières paroles, douloureuses mais aussi rassurantes, de Skeleton Tree, ultime morceau de l’album éponyme :
I called out, I called out
That nothing is for free
And it’s alright now.
Jesus Alone : le clip officiel
Voici la vidéo de Jesus Alone, la première chanson de Skeleton Tree. La chanson est en grande partie née d’une improvisation, aussi bien au niveau des textes que de la musique (signée Nick Cave et Warren Ellis). On peut voir dans le clip que Warren Ellis s’est chargé de diriger les violonistes, d’une manière d’ailleurs particulièrement subtile. L’atmosphère est assez représentative du style de l’album, même si celui-ci comporte des morceaux plus mélodiques (ici, les couplets sont parlés, évoquant une forme d’incantation) et moins sombres. Les toutes premières paroles de Jesus Alone évoquent directement l’accident d’Arthur Cave :
You fell from the sky
Crash landed in a field
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