Film de Carol Reed
Titre original : The Third Man
Année de sortie : 1949
Pays : Royaume Uni
Scénario : Graham Greene
Photographie : Robert Krasker
Montage : Oswald Hafenrichter
Musique : Anton Karas
Avec : Joseph Cotten, Alida Valli, Orson Welles, Trevor Howard
Harry Lime: Don’t be so gloomy. After all it’s not that awful. Like the fella says, in Italy for 30 years under the Borgias they had warfare, terror, murder, and bloodshed, but they produced Michelangelo, Leonardo da Vinci, and the Renaissance. In Switzerland they had brotherly love – they had 500 years of democracy and peace, and what did that produce? The cuckoo clock.
Grand classique du cinéma, Le Troisième homme conserve, plus de 60 ans après sa sortie, un intérêt et un charme intacts, du fait de ses qualités esthétiques, des interprétations brillantes de Joseph Cotten et d’Orson Welles, de la musique culte d’Anton Karas et d’une morale réaliste et désabusée.
Synopsis du Troisième homme
Holly Martins, un modeste écrivain auteur de quelques succès populaires, se rend à Vienne sur invitation de Harry Lime, un ami d’enfance. Nous sommes juste après la seconde guerre mondiale, et l’Angleterre, les États-Unis, la France et la Russie se partagent le contrôle de la ville.
Martins apprend très rapidement la mort accidentelle de Lime et assiste in extremis à son enterrement, où un inspecteur de police entre en contact avec lui.
Face à plusieurs informations contradictoires, Martins se met peu à peu à douter de la thèse de l’accident. Il se lance alors dans des recherches qui vont lui apprendre des choses surprenantes sur son défunt ami…
Critique et analyse du film
Aux questions successives de Peter Bogdanovich à propos de sa supposée influence sur la réalisation du Troisième Homme, Orson Welles finit par répondre : Non, c’est un film de Carol [Reed], et de [Alexander] Korda
(source : Moi, Orson Welles, série d’entretiens entre Peter Bogdanovich et le réalisateur).
Si son admiration pour Welles altère peut-être ici l’objectivité du metteur en scène de La Dernière séance (1971), les soupçons de Bogdanovich sont loin d’être absurdes. Carol Reed est bien le réalisateur du Troisième homme et toutes les séquences, dont les plus cultes, sont de sa conception, mais l’influence d’Orson Welles, à d’autres niveaux, est réelle. D’abord, on peut considérer – c’est d’ailleurs ce que Bogdanovich affirma lui-même, et la vision du film tend à confirmer cette impression – que le Troisième homme s’inscrit (au niveau du style de réalisation) dans l’héritage des premiers films de Welles, tournés quelques années plus tôt, dont Citizen Kane, La Splendeur des Amberson et La Dame de Shanghai ; films qui ont indéniablement (surtout le premier) bouleversé la grammaire cinématographique et donc influencé de nombreux metteurs en scène. Ensuite, la patte de Welles dans ses propres répliques est évidente – et pour cause, il en a écrit la majorité, dont les plus célèbres.

Orson Welles
Mais il serait erroné et injuste d’exagérer la contribution, si précieuse fut-elle, de Welles à ce grand classique du cinéma qu’est Le Troisième homme. Le cachet visuel du film tient avant tout au travail remarquable du réalisateur britannique Carol Reed et à celui de Robert Krasker, chef opérateur très fortement influencé par le film noir et l’expressionnisme allemand, comme en témoigne l’utilisation de la lumière et des contrastes dans les différentes scènes du film. La photo est donc superbe, et Carol Reed tourne des séquences qui marqueront l’histoire du cinéma, à l’image de celle qui clôt le film (sur laquelle nous reviendrons), de la première apparition d’Harry Lime ainsi que de la célèbre poursuite (admirablement filmée et montée) dans les égouts de Vienne.

Joseph Cotten
Reed et Krasker utilisent très régulièrement ce qu’on pourrait appeler des « angles de caméra distordus » (la caméra est inclinée vers la gauche, par exemple, ce qui fait que les planchers, silhouettes, plafonds, rues, fenêtres, etc., décrivent des obliques). Présent dans presque chaque scène, ce type de cadrage dépasse probablement le simple effet de style : Le Troisième homme – et c’est en partie ce qui fait son charme et son intérêt – nous dépeint un monde d’après-guerre désordonné, tordu, bancal, aux repères moraux confus. On peut donc supposer que les angles de caméra choisis par Reed et son chef opérateur servent à exprimer cinématographiquement la vision propre au scénario de Graham Greene, célèbre écrivain anglais dont l’œuvre inspira plusieurs films (Un Américain bien tranquille, Le Rocher de Brighton).

Alida Valli, Paul Hörbiger et Joseph Cotten. On remarquera l’inclinaison de la caméra, l’un des signes distinctifs du film.
L’esthétique et l’atmosphère du Troisième homme sont bien entendu indissociables du cadre géographique et historique du film (et du tournage), à savoir le Vienne d’après-guerre, qui fascina Graham Greene quand il partit sur place pour l’écriture du script. Carol Reed utilise à merveille ce lieu d’une grande richesse architecturale et historique, au potentiel cinématographique évident, et dont l’histoire fait si bien écho à la fameuse tirade de Welles citée en exergue. Afin d’imprégner davantage encore le film de l’atmosphère typique de la ville, Reed confia la bande-originale au compositeur viennois Anton Karas, qui signa ainsi le plus célèbre thème de cithare au monde.
Outre ses qualités techniques et artistiques, et sa musique mémorable, ce qui donne au Troisième homme cette aura si particulière est la dimension amère et ironique de son scénario. A travers le face à face entre les deux amis d’enfance que sont Harry Lime (Orson Welles) et Holly Martins (Joseph Cotten), le film livre une vision profondément désabusée du monde, le tout sur une tonalité à la fois légère et mélancolique, que la BO de Karas traduit d’ailleurs très bien.
En effet, si la justice et l’honnêteté sont évidemment du côté de Martins, on ne peut pas dire que les choses lui sourient : c’est un romancier de gare et il ne parvient pas à séduire la femme qu’il aime. Celle-ci est éprise de Lime, le séduisant, intelligent et cynique Lime, sujet de pratiquement toutes les conversations du film et qui à chaque apparition impose une prestance volontairement amplifiée par la mise en scène et le jeu de Welles ; comme dans ce plan mythique où la lumière venue d’une fenêtre éclaire soudainement son visage ponctué d’un sourire satisfait, alors qu’il se cachait dans l’ombre d’une entrée d’immeuble, où encore lorsqu’il apparaît, vers la fin du film, d’une manière soulignant son emprise et son charisme (il surgit sur le toit d’un bâtiment majestueux, surplombant littéralement la scène).

On aperçoit la silhouette d’Harry Lime à droite, dans ce plan emblématique de la position dominante du personnage au sein de l’histoire, mais également des influences expressionnistes du chef opérateur Robert Krasker.
On est donc loin d’un schéma hollywoodien typique, loin de l’archétype des westerns classiques que Martins revisite dans ses romans, avec ses héros récompensés pour leur bravoure. Il n’y a pas ce phénomène d’équilibre dans Le Troisième homme, comme le figurent à leur manière les plans distordus qui ponctuent le film. Car aussi sympathique et bon qu’il soit, Martins ne gagne ni l’amour des autres, ni la reconnaissance artistique (les critiques littéraires, prétentieux à souhait, le snobent ouvertement), ni même sa propre estime (I haven’t got a sensible name
est son ultime réplique). Ce qui évidemment ne remet pas en cause ses choix moraux tout à fait légitimes, mais mène à une conclusion teintée d’ironie et de mélancolie que le magistral plan final, un plan fixe d’une minute quarante secondes environ, synthétise à la perfection : seul au bord d’une allée, Martins n’a plus qu’à fumer une cigarette avec un haussement d’épaules. Harry Lime l’avait prévenu : The world doesn’t make any heroes outside of your stories.
La musique du film
Voici un extrait de la bande originale du Troisième homme, composée par Anton Karas :
Si on l'utilise un peu à tort et à travers, l'expression chef d'oeuvre
prend tout son sens quand il s'agit de films tels que Le Troisième homme. Car tout est parfait ici : les prestations de Joseph Cotten et d'Orson Welles ; la réalisation de Carol Reed ; et la tonalité amère et désabusée du récit de Graham Greene, que traduit à merveille l'inoubliable mélodie composée par Anton Karas.
3 commentaires
Salut Citizen Welles. Rien a redire sur celui la. Tout est bon . Jette un oeil sur le Cinéma Coréen. The Yellow Sea ou I saw The devil. J’aimerais ton avis. Bon Week end pascal.
Je note ! J’ai lu de très bonnes critiques sur « I saw the devil », en revanche je n’ai pas entendu parler de « The Yellow sea », je viens de lire le pitch et ça m’a plutôt tenté… Côté ciné coréen, j’ai beaucoup aimé « The Host » et « Memories of murder ». Très bon week-end à toi !
Pour moi, LE film culte par excellence. N’est pas noté dans l’analyse, l’efficacité du découpage : pas un plan inutile. Même la mise en situation est des plus courtes (3 ou 4 plans pour situer l’ambiance, le marché noir, Vienne écartelée entre les puissances occupantes).
A noter aussi, l’excellence des seconds rôles, tous très typés et tous inoubliables.
Détail amusant au sujet de la poursuite finale dans les égouts de Vienne : dans les plans tournés dans les égouts, les acteurs dégagent de la buée en parlant. Ce n’est plus le cas dans les plans rapprochés tournés en studio !
Enfin, à noter un excellent documentaire sur le tournage (pas un making of !) que l’on peut voir (en petits morceaux) sur You Tube…