Film de Jean-Daniel Pollet
Année de sortie : 1968
Pays : France
Scénario : Jean-Daniel Pollet et Remo Forlani
Photographie : Jean-Jacques Rochut
Montage : Nina Baratier
Musique : Jean-Jacques Debout
Avec : Claude Melki, Bernadette Lafont, Jean-Pierre Marielle, Chantal Goya, Marcel Dalio
Maxime : Ah t’es trop con Léon, t’es vraiment trop con.
Léon : Pourquoi j’suis trop con, hein ?
Maxime : Si t’étais un peu moins con, j’expliquerais pourquoi t’es trop con.
L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste est, comme son titre le suggère, un film doux-amer empreint à la fois d’une forme de réalisme social et d’une poésie qui tend vers l’absurde. L’alliage fonctionne étonnamment bien.
Synopsis du film
Paris, fin des années 60. Léon (Claude Melki) partage avec sa sœur Marie (Bernadette Lafont) un petit appartement Faubourg Saint-Antoine. Tous deux travaillent à domicile : lui est tailleur ; elle exerce comme voyante. Mais Léon ne tarde pas à réaliser que Marie ne fait pas que dire la bonne aventure : en réalité, elle se prostitue pour le compte de Maxime (Jean-Pierre Marielle).
Un jour, Arlette (Chantal Goya), une jeune provinciale originaire de Morlaix, sonne à la porte. Le matin même, elle pensait se suicider mais Marie l’en a dissuadé. La jeune femme décide de passer quelques jours chez Léon et Marie en attendant de trouver quoi faire de sa vie.
Le petit tailleur tombe rapidement amoureux de cette nouvelle colocataire – mais, d’une grande timidité, il a bien du mal à exprimer ses sentiments…
Critique de L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste
Jean-Daniel Pollet est un cinéaste atypique, largement méconnu du grand public, qui a émergé à peu près en même temps que la nouvelle vague – c’est-à-dire à la fin des années 50. C’est en tournant son premier film, un court métrage sans dialogues intitulé Pourvu qu’on ait l’ivresse… (1958), qu’il remarqua, tout à fait par hasard, celui qui deviendra un acteur phare dans sa filmographie : Claude Melki (l’oncle de George). Ce dernier incarnera dans quatre des films suivants de Jean-Daniel Pollet un personnage affublé du même prénom (Léon) et surtout, de la même timidité maladive. Son côté lunaire, sa gestuelle et sa silhouette lui vaudront d’être comparé au célèbre auteur et comédien américain Buster Keaton, référence incontournable du cinéma burlesque.
Du burlesque, il y en a dans L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste, mais ce terme ne saurait en aucun cas définir totalement cette œuvre difficilement classable, qui marque la troisième collaboration entre Jean-Daniel Pollet et Claude Melki. Le film trouve son style dans un entre-deux, dans un mélange nuancé d’émotions qui produit une note étonnante, mais indéniablement touchante.

Arlette (Chantal Goya), Léon (Claude Melki), Marie (Bernadette Lafont) et Maxime (Jean-Pierre Marielle) dans « L’amour c’est gai, l’amour c’est triste »
Il y a ici une dimension sociale évidente. L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste montre en effet le quotidien de gens modestes, pour ne pas dire sans le sous, dans le Paris des années 60 (on notera le soin apporté au décor, très évocateur). Mais par petites touches, l’auteur créé des décalages qui font que le film échappe en partie à ce registre (le drame social). Ces décalages concernent tant le jeu des comédiens que la caractérisation des personnages et certaines situations, qui flirtent avec la comédie et l’absurde sans jamais (et c’est la grande force du film) que la veine sociale et authentique de l’histoire n’en soit altérée. L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste n’est donc pas un drame social ordinaire, pas une comédie populaire classique et pas davantage un film burlesque ; il combine en réalité des ingrédients issus de ces différentes typologies, avec une habileté d’autant plus appréciable qu’elle ne semble pas calculée mais, au contraire, naturelle et spontanée.

L’appartement de Léon dans « L’amour c’est gai, l’amour c’est triste ». Le décor du film est très évocateur du milieu social modeste dont font partie les personnages.
Le titre dit beaucoup de choses sur le film. D’abord c’est un titre simple (en apparence du moins), et le film reflète une approche humble, modeste, à l’image du petit tailleur maladroit incarné par Claude Melki (et de son logement étriqué) ; ensuite, il comporte deux termes antinomiques très représentatifs de la tonalité singulière de l’ensemble : nous sommes en effet face à une œuvre triste et gaie, absurde et réaliste, douce et amère.
Mais ce qui émeut le plus dans L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste, c’est la façon dont Jean-Daniel Pollet filme ses personnages et leur environnement – c’est-à-dire avec une empathie, une humanité, une poésie qui ne sont jamais surexposées, revendiquées, mais dont chaque plan est (discrètement) imprégné. Cette discrétion est assurément la marque d’un auteur précieux et sincère, qui mérite largement qu’on se penche davantage sur sa filmographie méconnue.
À l'image de sa conclusion, L'amour c'est gai, l'amour c'est triste est une œuvre qui ne se fait guère d'illusion, tout en affichant un alliage délicat de mélancolie (soulignée par la musique de Jean-Jacques Debout) et de légèreté. Le film vaut aussi pour son trio de comédiens particulièrement attachant, composé de Claude Melki, de Bernadette Lafont et du truculent Jean-Pierre Marielle. Une rareté à découvrir ou à revoir.
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