Film de Yannick et Jérémie Renier
Année de sortie : 2018
Pays : France
Scénario : Bulle Decarpentries, Jérémie Guez, Yaël Langmann, Agnès de Sacy, Jérémie Renier, Yannick Renier
Photographie : George Lechaptois
Montage : Nico Leunen
Musique : Pierre Aviat
Avec : Leïla Bekhti, Zita Hanrot, Bastien Bouillon, Johan Heldenbergh, Hiam Abbass, Octave Bossuet
Pour leur premier long comme cinéastes, les frères Rénier livrent un thriller maîtrisé formellement, servie par deux bonnes comédiennes. Hélas, un déroulement trop prévisible et approximatif finit par trahir les limites de l’exercice.
Synopsis du film
Samia Barni (Zita Hanrot) est une actrice de renom, tandis que sa sœur cadette Mona (Leïla Bekhti), bien que talentueuse, a du mal à décrocher un premier rôle au cinéma.
Samia est engagée sur le nouveau film de Paul Brozek (Johan Heldenbergh), un cinéaste réputé. Mais sur le tournage, éprouvée par ses problèmes de couple, elle a toutes les peines du monde à se concentrer et demande l’aide de Mona, qui lui fait répéter le texte.
Un jour, après le tournage d’une scène éprouvante, Samia disparaît brusquement…
Critique de Carnivores
On se souvient de Jérémie et Yannick Renier chahutant puis s’engueulant franchement dans l’étouffant Nue propriété (2006) de Joachim Lafosse, où ils jouaient deux frères envahissants face à une mère (Isabelle Huppert) totalement dépassée. Mais c’est bien sûr surtout à leur lien fraternel bien réel que l’on songe à la lecture du pitch de Carnivores, qui met en scène la relation vénéneuse entre deux sœurs rivales.
Il faut croire que les frères Renier entretiennent un rapport plus serein que les protagonistes de leur premier film, car en termes de réalisation et d’esthétique, ce Carnivores est cohérent. Les apprentis cinéastes savent créer une atmosphère et filmer leurs comédiens (le fait d’être eux-mêmes acteurs n’est peut-être pas sans lien avec cette dernière qualité). La réalisation utilise habilement les codes du thriller psychologique et imprime à l’ensemble une tension palpable, un rythme efficace et une dimension sensuelle, charnelle sous-tendue par le titre du film.
Carnivores doit beaucoup à Leïla Bekhti et Zita Hanrot, deux belles comédiennes dont la justesse de jeu et la présence intense donnent corps à ce duo de sœurs rongées par la jalousie et la compétition. Jérémie et Yannick Renier, encore une fois, ont su tirer parti de cet atout, et ce puissant tandem d’actrices est fort bien filmé et éclairé (soulignons sur ce point la photographie très réussie de George Lechaptois).
De son côté, l’acteur Johan Heldenbergh (vu tout récemment dans Gaspard va au mariage) incarne une caricature de réalisateur narcissique, colérique et prétentieux, dont la dimension assez grotesque était probablement souhaitée par les cinéastes (du moins faut-il l’espérer). Sans compter que le film dans le film – une adaptation arty du Justine de Sade – est fort improbable ; mais là aussi, gageons que l’idée était de tourner en dérision les réalisateurs aussi pervers que médiocres, qui se prennent pour des génies (il n’est pas évident de saisir les intentions réelles des frères Renier lors des scènes en question).
On suit dans tous les cas avec un certain plaisir ce thriller techniquement bien exécuté, en attendant de voir où le scénario va nous conduire. Et c’est sur ce point (le dénouement) que le bât blesse.
L’idée d’une relation tendue entre deux sœurs – ou deux colocataires comme dans JF partagerait appartement (1992) de Barbet Schroeder (auquel on pense vaguement à un moment du film) – est en soi assez classique mais au fond, de nombreux thrillers reposent sur des canevas vus et revus ; le tout, quand on fait une variation autour d’un schéma de ce type, c’est d’y injecter un peu de nouveauté ou, du moins, de rester juste jusqu’au bout sur le plan de la psychologie des personnages.
Ici, on a du mal à croire à certaines réactions, soit parce qu’elles manquent de nuances, soit parce que le background des personnages n’a pas été développé de manière à justifier une telle radicalité (ce qui, dans les deux cas, est un problème d’écriture). Par ailleurs, on assiste dans les grandes lignes à un dénouement qu’on avait vu venir d’assez loin – et cela, quand il semblait pourtant possible d’exploiter une scène existante (la rencontre entre les sœurs Barni et deux voyageurs inquiétants) pour faire prendre à l’ensemble une toute autre direction, impliquant un audacieux changement de registre cinématographique.
Cette fin en demi-teinte n’efface bien sûr pas toutes les qualités du film, mais nous laisse sur une impression mitigée alors que le potentiel – aussi bien au niveau de la réalisation que du casting – était bien là. Potentiel qui, dans tous les cas, justifie la vision de Carnivores, quels que soient ses défauts (moins rédhibitoires, au final, que ceux de nombreux films encensés par la presse en ce début d’année).
Bande-annonce
Il y a de bonnes choses dans Carnivores : des qualités esthétiques évidentes, un cadre précis, un rythme resserré et deux comédiennes de caractère. Dommage que le dénouement soit à la fois téléphoné et peu crédible. Pour autant, si frustrante soit-elle en partie, la vision du film reste loin d'être désagréable, et le duo Leïla Bekhti / Zita Hanrot, bien mis en valeur par la réalisation, offre de beaux moments de cinéma.
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