Film d’Edgar Wright
Année de sortie : 2017
Pays : Royaume Uni, États-Unis
Scénario : Edgar Wright
Photographie : Bill Pope
Montage : Paul Machliss, Jonathan Amos
Musique : Steven Price
Avec : Ansel Elgort, Kevin Spacey, Lily James, Eiza González, Jon Hamm, Jamie Foxx, Jon Bernthal
Edgar Wright, l’un des réalisateurs les plus doués et les plus cool de sa génération, orchestre un retour en fanfare avec ce polar d’action funky qui s’impose à la fois comme une brillante comédie musicale et comme un magistral film de poursuites.
Synopsis du film
Baby (Ansel Elgort) est un jeune chauffeur opérant sur des braquages pour le compte d’un génie du crime (Kevin Spacey). Il doit s’engager sur un dernier coup afin d’éponger une dette envers son employeur, partir ensuite avec la femme qu’il aime, quitter les activités criminelles et vivre de la musique.
Car Baby a une particularité : il vit sa vie en musique, avec des écouteurs perpétuellement enfoncés dans les oreilles pour noyer ses acouphènes. Mais, évidemment, le dernier coup d’un voyou sur le point de raccrocher se déroule toujours mal …
Critique de Baby Driver
Edgar Wright fait partie de cette espèce de réalisateurs dont l’amour du médium cinématographique transpire totalement de chaque photogramme de ses œuvres. Mais contrairement à certains de ses collègues qui masquent leur vacuité artistique derrière des références geeks appuyées, Wright est plus du genre à penser la mise en scène pour en faire ressortir tout ce qu’elle peut offrir d’énergie brute, de ludisme et d’émotion. Le cinéaste britannique investit ainsi plusieurs genres, respectant les codes tout en les dynamitant, ce que beaucoup de jeunes réalisateurs tentent mais que peu d’entre eux parviennent à orchestrer dans une démarche pertinente. En effet, après avoir débuté avec un western parodique méconnu, A Fistful of Fingers, Wright s’est ensuite fait un nom avec la géniale sitcom Spaced, déjà bourrée de références (Star Wars, Resident Evil, …) parfaitement intégrées dans le quotidien de ses protagonistes gentiment allumés.
Puis vînt la découverte euphorisante de Shaun of the Dead, premier volet de sa trilogie « cornetto », complétée par les non moins formidables Hot Fuzz et Le Dernier pub avant la fin du monde. Le premier mélangeait la comédie romantique et le film d’horreur apocalyptique axé sur une pandémie de zombies (le titre parodie ouvertement le Dawn of the Dead de George Romero). Le second s’imposait comme une comédie d’action et un polar rural aux références jouissives (Point Break et Bad Boys 2 !). Enfin, le dernier osait de plus grands écarts en mixant la SF paranoïaque type Body Snatchers, la kung-fu comedy à la Drunken Master et même le western post-apo dans sa conclusion. Entre ces deux derniers titres, Edgar Wright a également réussi un jubilatoire syncrétisme de langages culturels pop, entre la bande dessinée (en mariant comics et mangas) et le jeu vidéo de bastons avec Scott Pilgrim. Et l’un de ses grands exploits est d’avoir réussi à livrer une œuvre folle, aussi divertissante que totalement expérimentale. Dans Baby Driver, son nouveau film, Wright aborde ici un autre sous-genre vitaminé : le car-chase flick.

Ce sous-genre particulièrement populaire aux États-Unis – et aussi en Australie, soit les deux pays de la bagnole – est composé d’intrigues de polar, le plus souvent autour de braquages et/ou de cavales, et gorgé de poursuites de voitures finissant pour le meilleur dans de jolis concerts de tôle froissée. Tarantino a également rendu un bel hommage au car-chase movie dans Boulevard de la mort, avec une magnifique poursuite tournée à l’ancienne, et en citant littéralement plusieurs petits « classiques » du genre : Point limite zéro, Larry le dingue, Mary la garce, La grande casse, etc. Et qui dit sous-genre typiquement américain dit figure mythologique descendante du héros westernien : le « driver ». Depuis The Driver (1978) de Walter Hill, ce personnage relève quasiment de l’abstraction symbolique et apparaît tel un gimmick au sein des titres, comme dans Drive de Nicolas Winding Refn ou le hit vidéoludique Driver sorti en 1999 sur PlayStation.
Wright propose ici une réactualisation « génération y » de cet archétype en en faisant un jeune homme (joué par Ansel Elgort, connu pour figurer dans les adaptions des romans young adults Divergente), et reprend le caractère solitaire et taciturne du driver qu’il justifie par une idée brillante : Baby, c’est son nom, a des acouphènes en permanence depuis un accident. Afin de noyer ces bruits parasites, Baby a constamment des écouteurs vissés dans les oreilles et vit donc sa vie en musique. Ce postulat ne sert pas uniquement pour la caractérisation du personnage mais conditionne littéralement toute la mise en scène du film. Pour ainsi dire, le réalisateur aborde un autre genre : la comédie musicale.

La géniale scène d’ouverture dévoile immédiatement la note d’intention du réalisateur : mettre en scène un film musical où le rythme et le découpage sont dictés par les morceaux de la playlist de Baby. Il faut donc préciser qu’un tel projet de mise en scène pure ne se concrétise pas en un battement de métronome et que Wright le mûrit depuis vingt-deux ans tout de même ! Il s’était d’ailleurs fait la main en mettant en boîte le clip Blue Song de Mint Royale en 2003, qui peut se voir aujourd’hui comme un brouillon de Baby Driver, particulièrement de son introduction. Mais ici, point de chanson jouée ni de numéros de danse (hormis lors d’un flirt entre deux amoureux dans un lavomatic) mais une véritable symbiose entre la musique et la mise en scène.
On sait que ces deux disciplines sont profondément liées depuis les origines du 7ème Art, mais on n’a pas tous les jours une œuvre qui nous le rappelle avec une telle virtuosité, et une telle maîtrise du langage cinématographique dans le but de faire vivre une véritable fête au spectateur. Car le cinéma, dans son essence et ses racines, est avant tout une fête. De plus, ce dispositif permet une immersion et une identification au protagoniste particulièrement poussées, ce dernier faisant figure de médium entre son environnement et le spectateur.

La musique est également au cœur de multiples dialogues, finissant de faire de Baby Driver une œuvre résolument pop qui figurera à coup sûr dans le top de fin d’année de Quentin Tarantino ! Là encore des influences sont visibles, et la plus évidente dans le genre que l’on pourrait qualifier de « car-chase musical » reste l’indétrônable The Blues Brothers. Edgar Wright s’empare alors de deux genres fétiches des américains pour son premier long-métrage purement US (Scott Pilgrim a été tourné au Canada).
Mais ce serait une erreur de croire qu’il ne s’agit que d’une commande ou une façon de faire du pied à Hollywood. En effet, Baby Driver apparaît comme une suite logique, voire un aboutissement dans la filmographie du britannique, qui avait déjà expérimenté des scènes d’action purement musicales dont la plus fameuse est certainement ce travelling circulaire autour de personnages tabassant un zombie en rythme sur Don’t Stop Me Now de Queen dans Shaun of the Dead.
Bande-annonce de Baby Driver
Sous ses allures de divertissement populaire, Baby Driver n’en est pas moins une œuvre personnelle, Wright ayant d’ailleurs écrit le scénario tout seul. Face aux blockbusters hollywoodiens actuels, tous plus formatés ou déglingués les uns que les autres, voir ce film en salles cet été est une expérience hautement rafraîchissante. Enfin il serait dommage de passer à côté d'un film où Kevin Spacey, Jon Hamm, Jamie Foxx et Jon Bernthal jouent les gangsters badass avec une joie communicative !
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