Film de Norman Jewison
Année de sortie : 1975
Pays : États-Unis
Scénario : William Harrison
Photographie : Douglas Slocombe
Montage : Antony Gibbs
Avec : James Caan, John Houseman, Maud Adams, John Beck.
M. BARTHOLOMEW: No player is greater than the game itself. (…) It is not a game a man is supposed to grow strong in, Jonathan. You appreciate that, don’t you?
JONATHAN E.: More and more, M. Bartholomew.
Avec Rollerball, sorti en 1975, Norman Jewison signait un des meilleurs films d’anticipation, réflexion sur le rôle de l’individu dans la société et sur l’ambiguïté de notre rapport à la violence.
Synopsis de Rollerball
L’action du film se déroule en 2018. Dans un monde dirigé par des grandes corporations, le peuple vit dans le confort, et dans l’ignorance totale des décisions prises par les élites. Afin de canaliser la violence et la frustration des foules, le Rollerball, jeu ultraviolent mêlant football américain, motocross et hockey sur glace, est inventé, suscitant un engouement populaire considérable. Jonathan E. (James Caan), vedette incontestée de ce sport depuis plusieurs saisons, est littéralement adulé par les spectateurs du monde entier.
Percevant sa popularité et sa puissance, en tant qu’individu, comme une menace dans une société basée sur le confort et l’apathie collective, les hauts responsables des corporations décident de pousser la star à mettre un terme à sa carrière. Devant son refus, ils durcissent les règles à chaque nouveau match de Rollerball, dans l’espoir de le décourager. Jonathan E., lui, est bien décidé à comprendre l’origine et les raisons de cette décision.
Critique
Rollerball : une réflexion sur la valeur et la place de l’individu dans la société
L’une des grandes qualités de nombreux cinéastes américains est de réussir à faire des films efficaces et prenants, mais avec également un fond particulièrement intelligent. Rollerball en est l’exemple même : c’est à la fois un excellent film d’action, et beaucoup plus qu’un simple film d’action.
Réflexion brillante sur la place et la valeur de l’individu dans la société, le film est d’une intensité d’autant plus exceptionnelle qu’il bénéficie de la présence du charismatique James Caan.

James Caan
Son personnage de sportif adulé dont la vie est totalement réglée par la corporation (après l’avoir privé de sa femme, la société lui fournit, régulièrement, des maîtresses), trouve dans le Rollerball une forme de liberté, et c’est là le paradoxe particulièrement intéressant du film : Jonathan E. exprime dans le jeu sa valeur et sa puissance en tant qu’individu, mais en même temps, le Rollerball n’est qu’un divertissement morbide (les parties sont régulièrement ponctuées de morts et de blessés graves) créé par les élites pour assouvir les besoins d’une population totalement déresponsabilisée et abrutie par les drogues (voir la séquence où au terme d’une fête, les invités deviennent euphoriques en incendiant des arbres).
Le jeu a même été créé, selon l’aveu d’un des cadres de la corporation, pour démontrer la futilité de l’effort individuel par rapport à la notion d’équipe, de groupe, d’entité au sein de laquelle chaque homme est un instrument exclusivement voué à l’équilibre et à la cohésion de l’ensemble. Or Jonathan E., par sa force et son talent, démontre précisément le contraire : l’homme, en tant qu’individu unique, ne peut être réduit à un simple élément de l’équipe dont il fait partie.
Évidemment, cette question fondamentale dans le film dépasse le seul cadre du sport, Rollerball étant une réflexion sur la frontière entre l’équilibre collectif et la liberté individuelle, problématique pour ainsi dire constante dans tout système social. C’est précisément en menaçant cet équilibre, du point de vue des décisionnaires, que Jonathan E. devient un danger pour ces derniers.
Une illustration saisissante de notre rapport à la violence, entre désir, fascination et rejet
Le tour de force du film est de parvenir à nous faire éprouver les mêmes émotions que les spectateurs du Rollerball, hypnotisés par la violence et la sauvagerie du jeu, seul exutoire à la fadeur de leur existence.
De ce point de vue, la scène du match de Rollerball où l’équipe menée par Jonathan affronte Tokyo est extraordinaire. Lorsque le co-équipier et meilleur ami de Jonathan est cerné et frappé quasiment à mort par des joueurs adverses, on éprouve, en tant que spectateur, un besoin de vengeance aveugle particulièrement puissant. Et quand cette vengeance survient, sèche et brutale, un sentiment de malaise nous saisit immédiatement.
La scène illustre parfaitement le rapport complexe et paradoxal du spectateur (d’un film ou d’un événement sportif, Rollerball nous plaçant du point de vue des spectateurs dans les tribunes) à la violence. Les images provoquent, en un court laps de temps, deux émotions opposées, la seconde incitant à réfléchir sur celle éprouvée de prime abord.
Victoire de l’individu ou sombre mascarade ?
La fin de Rollerball, que je ne dévoilerai évidemment pas, est volontairement ambigüe. On ignore, au bout du compte, si elle exprime la victoire de l’individu sur la société, où, au contraire, dépeint une liberté individuelle illusoire, instrument d’une farce macabre et cynique. Le célèbre thème à l’orgue de Bach qui accompagne le générique final nous ferait davantage opter pour la seconde interprétation. Ou sans doute un peu des deux…
De par sa dimension politique, sa réflexion sur la violence et sur la place de l'individu dans la société, Rollerball se classe sans conteste parmi les classiques du cinéma de science-fiction. L'un des plus grands rôles de James Caan.
12 commentaires
Faut a tout prix que je matte ce film.
Une morale couçi-couçi, quoi.
Je te le prêterai dude!
Le poulpe géant débarque et premier coup de tentacule sur un film étape sous estimé. En ça il ressemble aux flms de Verhooven, Sarship Trooper et Robocop comme dénonciation du fascisme, ou alors ce sont juste de bons gros nanars…
La bise dude
Très bonne analyse, c’est vrai que ce film est saisissant.
Dans la même veine des films d’anticipation dystopiques, je te conseille « Soleil Vert » (Soylent Green) de Richard Fleischer, avec Charlton Heston.
Marrant le sujet du film. Le scénariste semblait craindre que le capitalisme aboutisse finalement à une forme de communisme.
Je viens de voir Rollerball aux Utopiales, et j’ai été impressionné. Je ne m’attendais pas à aussi bien ! Je rejoins Citizen Poulpe dans son analyse, très juste à mes yeux, ainsi que Bernard D., parce que le film pose aussi indirectement cette question.
Mention spéciale à la bande sonore, qu’il s’agisse de la musique, des bruitages (notamment le lancement de la balle, qui à lui seul souligne toute la brutalité du jeu), ou de la gestion du volume sonore. Coup de chapeau aux scènes d’action, réalisées à l’ancienne, avec une vraie foule hystérique et de vrais cascadeurs, et surtout avec une caméra et un montage qui laissent le temps de comprendre et de s’imprégner du « jeu ».
Et avertissement à propos de Rollerball 2002, que je n’ai pas vu, mais qui semble unanimement considéré comme un des pires remakes jamais faits. Manifestement les auteurs n’ont retenu que les scènes d’action et la brutalité, on ignoré tout le reste « ennuyeux » du film, et on produit une bouillie visuelle, sonore et scénaristique absolument indigeste et indigne.
Bravo au Poulpe,
c’est une critique vraiment bien construite. J’ai vu ce film autrefois lors de sa sortie, et c’était déjà un film très fort. Tout le monde en parlait et en connaissait la complexité, cela n’a jamais été un simple film de fiction. Mais bien plus, à cause de la complexité du scénario.
J’étais jeune et je n’en avais pas capté tous les aspects, mais effectivement, ce film est construit sur un fond d’idées très intéressantes : le pouvoir et la force des foules, la valeur de l’individu, la pulsion de violence, la manipulation, la notoriété d’un sportif ou plus largement d’un individu.
Y a-t-il une société idéale ? construit à partir de ce schéma là, on voit bien que le réalisateur n’y croit pas, il y aura toujours une déviance, une impossibilité de s’en remettre à un système soit disant infaillible.
Tous les livres ont été réécrits en abrégés, et toute l’histoire du treizième siècle (après JC ) a disparu de la mémoire de l’ordinateur….
Il est devenu impossible de connaître le nom de ceux qui dirigent. D’ailleurs, ceux là sont assurés de leur pouvoir mais dans le cercle des dirigeants, c’est aussi la confusion, on ne sait pas qui dirige vraiment..
Une vision de fiction qui mérite qu’on s’y attarde, surtout si l’on compare la situation internationale des années 75 et celle d’aujourd’hui 35 ans plus tard.
Très belle critique sur un film qui mérite d’être revu à la hausse. 🙂
Merci, oui c’est un excellent film et James Caan a une présence énorme ! Je crois que c’est l’un de ses rôles que je préfère avec celui de Tony (si je me souviens bien) dans « Le Parrain » et du père de Nicole Kidman dans « Dogville », où son apparition à la fin est incroyable…
Je partage la critique décrite ci-dessus. Toutefois, il reste cette partie (qui n’est pas expliquée) sur le méga ordinateur où toutes les informations, mais surtout celles historiques, sont perdues voire falsifiées… et que l’ingénieur de cet ordinateur n’est plus capable de connaitre la vérité. Je pense que notre « Citizen Poulpe » devrait compléter son analyse et sa critique. Ce serait alors complet et un bien.
Je vous remercie
De l’usage appliqué de la musique classique pour créer un sens du fatum – Fincher s’en souviendra dans « Seven », avec le même compositeur et sa « divine machine à coudre » (citation apocryphe de Colette).