Si certains critiques ont perçu dans Blue Velvet des filiations avec plusieurs films d’Alfred Hitchcock, de Vertigo à Fenêtre sur cour en passant par Psychose (ce dernier parallèle me semblant, contrairement aux deux autres, un peu superflu), ce nouveau portrait croisé met en perspective le film culte de David Lynch et L’Ombre d’un doute, également réalisé par Sir Alfred et sorti en 1943.
Une situation de base similaire
Charlotte Newton (Teresa Wright) et Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan), les héros respectifs de L’Ombre d’un doute et de Blue Velvet, ont plusieurs choses en commun. Ils sont jeunes, vivent tous deux dans une ville représentant le cliché de la petite bourgade américaine paisible (Lynch et Hitchcock font clairement de Lumberton et de Santa Rosa des villes iconiques), ils ignorent le mal (à part au cinéma et dans les livres) et enfin, ils s’ennuient.
Charlotte, au début de L’Ombre d’un doute, se plaint d’un quotidien trop prévisible (We just sort of go along and nothing happens
), quant à Jeffrey, il n’a plus d’amis et son père est hospitalisé suite à un malaise cardiaque. Sa fascination pour le mystère fait écho aux aspirations de Charlotte : tous deux ont soif de quelque chose de différent – ils sont attirés par une dimension du monde que leur vie quotidienne ne leur permet pas de percevoir.
La découverte du mal
C’est dans ce contexte que David Lynch et Alfred Hitchcock orchestrent, dans leurs films respectifs, la rencontre entre ces deux personnages parfaitement innocents et la perversité, le mal, incarnés dans Blue Velvet par Franck Booth (Dennis Hopper) et dans L’Ombre d’un doute par Charles Oakley (Joseph Cotten), l’oncle de l’héroïne.
Ce qui est intéressant, c’est que les deux films représentent le mal non pas comme quelque chose dont les protagonistes peuvent clairement se dissocier mais comme une part du monde, de l’humanité, et donc, par voie de conséquence, comme une part d’eux-même. D’ailleurs, que ce soit devant la caméra de Lynch ou d’Hitchcock, le mal est attirant, séduisant : en enquêtant sur Dorothy Vallens (Isabella Rossellini) au point de s’introduire illégalement chez elle, Jeffrey satisfait une curiosité un peu perverse (même s’il le fait aussi avec les meilleures intentions) ; de son côté, Charlotte admire son oncle et bien qu’il n’y ait pas d’attirance clairement sexuelle entre eux, il y a bien un rapport de séduction. A l’instar de Jeffrey, la jeune femme est attirée par le mystère qu’elle perçoit à travers son oncle (mystère dont elle ignore le caractère sordide).
Des films d’initiation
Jeffrey et Charlotte découvrent, derrière des apparences lisses et colorées, un monde plus complexe, dérangeant et nuancé, moins balisé que celui qu’ils connaissaient (qui, rappelons-le, les ennuyait). Cette soudaine proximité avec le mal est d’autant plus vertigineuse qu’elle produit des échos en eux : Jeffrey finit par satisfaire les pulsions masochistes de sa maîtresse tourmentée, et Charlotte éprouve une colère, une haine telle qu’elle souhaite la mort de son oncle autrefois adoré. Même si elle est légitime, cette violence la renvoie bien entendu à celle de Charles, et plus généralement à celle de ce monde « nouveau » dont elle a brusquement pris conscience.
Les deux personnages font bien évidemment le choix (adulte) de condamner le crime, mais pour autant, ils ne seront plus jamais les mêmes qu’auparavant. Blue Velvet et L’Ombre d’un doute sont donc, chacun à leur manière, deux films d’initiation.
4 commentaires
élégante et pertinente mise en perspective. à bientot
Les dangers et les charmes de la petite ville constituent presque un genre en soi dans la filmographie américaine, carte d’un territoire national immense où les mégapoles côtoient les modestes agglomérations, avec l’entre-deux du motel, espace abstrait, souvent létal. À la violence urbaine banalisée s’oppose l’hideuse violence rurale, particulièrement celle des « rednecks » dans le film d’horreur. Utopique dans les fables de Capra, elle sert aussi de repoussoir des pulsions « white trash ». Une différence entre Hitchcock et Lynch, cependant : l’absence chez le premier de la sentimentalité assumée du second, qui combine les deux tendances dans un écrin naïf et vénéneux, fusion de rêve et de cauchemar entre « Le Magicien d’Oz » et « La Nuit du chasseur ».
Portrait croisé peut être encore plus évident avec le film d’Anne Fontaine « Entre ses mains »
Un bon film ! Il m’a fait beaucoup penser à Chabrol et notamment au « Boucher ».