Film d’Amr Gamal
Scénario : Amr Gamal, Mazen Refaat
Photographie : Mrinal Desai
Son : Rana Eid
Montage : Heba Othman
Musique : Chen Mingchang
Avec : Khaled Hamdan, Abeer Mohammed, Samah Alamrani
Les Lueurs d’Aden nous plonge dans un quotidien qui semble n’être constitué que d’une lutte fatiguée pour subsister et garder un toit, même délabré, dans un pays (le Yémen) ravagé par la guerre depuis bientôt dix ans.
Synopsis du film
Israa (Samah Alamrani) et Ahmed (Khaled Hamdan) vivent avec leurs trois enfants à Aden, dans le quartier du port. Appauvris par la crise économique liée à la guerre civile, ils ont des fins de mois difficiles. Le jour où Israa réalise qu’elle est à nouveau enceinte, une évidence s’impose pour le couple : celle de l’avortement. C’est le début d’une démarche compliquée…
Critique de Les Lueurs d’Aden
Les Lueurs d’Aden, projeté le samedi 25 novembre dernier au cinéma Le Trianon de Romainville dans le cadre du festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, a été réalisé par un jeune metteur en scène yéménite et si je souligne d’emblée ce point, c’est que le cinéma originaire du Yémen est largement méconnu, peu diffusé et sans doute en grandes difficultés compte tenu de la guerre civile qui sévit dans ce pays depuis maintenant 8 longues années. Il est donc intéressant en soi de voir un film tourné à Aden, car c’est une fenêtre sur une ville dont on ne connait pas grand chose, cette partie du monde n’étant évoquée, dans les médias, que de façon assez sommaire et au travers du prisme du conflit, c’est-à-dire en des termes forcément réducteurs qui ne rendent pas bien compte de ce qu’est la vie quotidienne sur place.
Le scénario est basé sur une histoire vraie, vécue par de proches amis du cinéaste. Pour la raconter, celui-ci a opté pour un traitement très sobre, réaliste, presque documentaire. On suit ainsi le quotidien d’un couple plongé, comme tant d’autres sans doute, dans de terribles difficultés économiques, quotidien que le film décrit sans tentative de dramatisation ou de stylisation. Il y a cependant un parti pris intéressant mais qu’on ne peut saisir que si on connait la ville ; en effet, Amr Gamal a fait le choix de montrer celle-ci comme étant moins animée qu’elle ne l’est réellement, pour exprimer l’état dépressif dans lequel il se trouvait au moment du tournage (et qui correspond d’ailleurs également à l’état d’esprit des protagonistes).
En dehors du constat des effets de la crise liée à la guerre, le film dépeint également la culture locale, imprégnée par la religion musulmane et dont certains aspects rendent plus difficile, encore, la démarche d’avortement initiée par le couple au centre de l’histoire. Le scénario comporte également une référence à la situation de la télévision au Yémen, à travers une brève scène de manifestation et une allusion aux chaînes privées lors d’un échange entre Ahmed et sa mère. Ici, les explications du réalisateur sont nécessaires pour comprendre de quoi il en retourne : depuis le printemps arabe, les chaînes privées se sont multipliées, or la plupart sont très orientées politiquement et ne cherchent pas à traiter l’information sous un angle un tant soit peu objectif (d’où les réticences d’Ahmed à l’idée d’y travailler).
On suppose (compte tenu du manque d’explications concernant certains sujets) que Amr Gamal a préféré, et on le comprend, ne pas trop expliciter certains aspects du récit pour éviter que Les Lueurs d’Aden ne suscite le courroux des autorités locales, pas forcément des plus ouvertes à la critique.
Le film souffre légèrement d’une narration un peu téléguidée, laissant peu de place à autre chose qu’une suite de scènes descriptives ; mais il y a un beau travail sur les cadrages, notamment lors des scènes d’extérieur (d’où émane une impression de torpeur, de suspension), tandis que l’écriture, simple mais efficace, et le jeu des comédiens permettent de donner vie à ces personnages enfermés dans une vie envahie par le souci permanent de ne pas se retrouver dans le rouge au moindre imprévu (par exemple, un simple phare cassé devient une source d’angoisse). Cette pression économique créé une tension au sein du couple dont le film rend très bien compte.
Pour le réalisateur, cette histoire d’avortement est aussi un symbole, celui d’un peuple sans cesse contraint à renoncer, à abandonner tout rêve et tout projet. À la fin des Lueurs d’Aden, seuls les enfants ont encore assez d’insouciance pour s’amuser dans la voiture ; sur les deux sièges avant, leurs parents restent silencieux, comme dans l’attente sourde d’une prochaine épreuve.
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