Film de Christophe Régin
Pays : France
Année de sortie : 2018
Scénario : Christophe Régin
Photographie : Simon Beaufils
Montage : Frédéric Baillehaiche
Musique : Para One
Avec : Franck Gastambide, Alice Isaaz, Hippolyte Girardot, Moussa Mansaly
Djibril : Hey Pitbull, à mon avis les vautours ils l’ont bouffé ton singe !
À l’image de son protagoniste un peu paumé, La Surface de réparation est un premier long métrage humble et attachant.
Synopsis du film
Frank (Franck Gastambide) est un ancien footballeur amateur qui n’est pas parvenu à passer pro ; mais il est néanmoins resté profondément attaché à son club, le FC Nantes, pour lequel il travaille officieusement. Sa mission consiste principalement à surveiller l’hygiène de vie des joueurs et à s’assurer qu’ils ne dérapent pas trop en dehors du terrain. Il gagne sa vie en revendant les places que Yves (Hippolyte Girardot), le président du club, lui donne en échange de ses bons et loyaux et services, ou encore en prenant des commissions sur les ventes d’un garage tenu par l’un de ses amis.
Un soir, Frank retrouve l’un des joueurs nantais dans une chambre d’hôtel en compagnie d’une jeune femme, Salomé (Alice Isaaz). Tour à tour méfiant, agacé et amusé par cette jolie inconnue, Franck finit par s’attacher à elle. Tout en se posant de plus en plus de questions sur son avenir…
Critique de La Surface de réparation
En dehors du fameux Coup de tête de Jean-Jacques Annaud et de quelques autres exemples moins marquants, le football, en dépit de sa popularité, n’est pas si souvent que cela abordé dans le cinéma français (en Angleterre, on citera notamment The Damned United, un biopic très réussi sur le parcours de Brian Clough, réalisé par Tom Hooper et sorti en 2009). En l’occurrence, l’angle choisi par Christophe Régin est intéressant car il nous donne à voir ce que les médias ne montrent pas, à savoir les gens qui gravitent – à différents niveaux et en l’occurrence plutôt en bas de l’échelle (ou dans la marge, c’est selon) – autour d’un club de football.
Précisons-le d’emblée, nul besoin d’être un amateur, encore moins un passionné du ballon rond (on ne voit d’ailleurs jamais de matchs à l’écran) pour accrocher à cette histoire simple qui, au-delà de ce qu’elle montre d’un milieu spécifique, est dans l’absolu transposable dans d’autres univers. En effet, La Surface de réparation parle avant tout de ces personnes qui à un moment donné ont loupé le coche, pour différentes raisons, et se retrouvent un peu dans un entre-deux : ni tout à fait intégrées, ni totalement détachées du milieu au sein duquel elles ne sont pas parvenues à se faire une véritable place.
Franck, ancien footballeur amateur, aurait donc aussi bien pu être un comédien raté, un chanteur de bal en province ou un boxeur des rues que le film de Christophe Régin (son premier long) ne serait, dans le fond, pas radicalement différent (au niveau de ses enjeux dramatiques ; les éléments de contexte, bien entendu, changeraient).
C’est Franck Gastambide qui joue le rôle principal, composant ici dans un registre dramatique très différent de celui qui l’a fait connaître en 2009 (date du lancement de sa mini série comique Kaïra Shopping sur Canal+). Détail amusant, son personnage et lui-même sont reliés par au moins deux choses : ils ont le même prénom et par ailleurs Franck est surnommé « Pitbull » dans le film or, avant de devenir acteur, Gastambide travailla comme dresseur spécialisé dans les chiens dangereux (ce qui lui valut de collaborer avec Mathieu Kassovitz sur Les Rivières pourpres). Le comédien incarne en tous cas avec justesse ce personnage un peu rêveur, sentimental, qui semble observer la vie depuis un banc de touche – celui qu’il quittait rarement du temps de son expérience dans le foot amateur.
Les principales missions que lui confie Yves (Hippolyte Girardot, toujours irréprochable), le président du FC Nantes dans le film, consistent à surveiller les footballeurs au cours de leurs virées nocturnes ou de leurs escapades sexuelles, histoire qu’ils ne traînent pas trop du pied à l’entraînement. Côté logement, Franck squatte l’appartement d’un joueur parti au Qatar ; élément révélateur du fait qu’il n’est pas vraiment chez lui dans ce milieu qui ne lui rend que modérément son dévouement…
Il forme avec Salomé (Alice Isaaz, révélée par Un moment d’égarement, le remake du film éponyme de Claude Berri) un duo bancal et attachant. Elle aussi est un peu paumée : d’une origine sociale qu’on devine modeste, non diplômée, la jeune fille enchaîne les conquêtes avec de riches footballeurs pour se faire payer des gin tonic et des nuits bien au chaud. La caméra et la plume de Christophe Régin ont le bon goût de ne pas juger cette « gourgandine », comme on le disait autrefois, qui fait comme elle le peut et qui a le mérite de ne mentir ni à elle-même ni aux autres. Sa relation avec Franck est boiteuse : il est amoureux ; elle l’aime simplement bien ; il rêvasse ; tandis qu’elle compose sans sourciller avec le quotidien.
Le récit écrit par Régin reflète les mêmes vertus que son « héros » : il est simple, honnête, sans prétention mais loin d’être idiot. Le titre assez bien vu du métrage, référence évidente à la « zone de vérité » qui encadre le but au football, renvoie au parcours initiatique du personnage principal, dont la condition est synthétisée par une réplique significative lancée par Djibril (interprété par l’acteur, rappeur et ancien footballeur Moussa Mansaly) lors d’une scène tournée dans une animalerie : Pitbull, à mon avis les vautours ils l’ont bouffé ton singe !
. Ou comment évoquer, au détour d’une phrase en apparence anodine, la collision souvent rude entre Franck le doux rêveur (que représente en l’occurrence le singe en question) et les lois parfois cruelles de la réalité (les vautours, terme qu’on utilise par ailleurs souvent pour désigner les cyniques de tous bords).
La Surface de réparation saisit ce décalage émouvant sans jamais forcer le trait et sans se complaire dans un quelconque misérabilisme, à l’image de sa conclusion à la fois réaliste et non dénuée d’optimisme. On pourra certes trouver l’ensemble un peu anecdotique, mais c’est bien tourné, bien joué (de discrets plans séquences mettent judicieusement en valeur le jeu des interprètes) et sans longueurs (1h34 tout juste). Ces qualités suffisent à ce qu’on porte une attention particulière au prochain projet de Christophe Régin.
Bande-annonce
La Surface de réparation trouve le ton juste en se gardant de juger ou d'idéaliser ses personnages, dont il rend compte des difficultés quotidiennes avec sobriété et sans pathos. Sans laisser un souvenir impérissable - mais ce n'était sans doute pas ce à quoi il prétendait -, ce premier film se suit donc avec plaisir et ne souffre d'aucune fausse note.
Un commentaire
Moi qui suis de Nantes, je regarderais volontiers ce film.