Documentaire d’Étienne Chaillou et Mathias Théry
Année de sortie : 2020
Pays : France
Photographie, son et montage : Étienne Chaillou et Mathias Théry
Alors, je suis un connard, ou pas ?
Bastien Régnier dans « La Cravate »
À travers leur documentaire La Cravate, Étienne Chaillou et Mathias Théry brossent le portrait d’un jeune militant du Rassemblement National en adoptant un regard lucide mais jamais manichéen ou condescendant.
Synopsis du film
Bastien Régnier, la vingtaine, milite pour le Front National à Amiens, dans le département de la Somme (région des Hauts-de-France). La Cravate suit son parcours lors de la campagne présidentielle de 2017, à l’issue de laquelle le parti d’extrême droite accédera une nouvelle fois au second tour.
Critique de La Cravate
Il est de bon ton, quand il s’agit d’évoquer les militants et électeurs du FN (désormais baptisé Rassemblement National), d’user d’adjectifs cinglants et d’un ton volontiers moqueur et méprisant ; on retrouve d’ailleurs cette tendance à l’égard de ceux qui ont voté pour Donald Trump aux États-Unis et plus généralement, des sympathisants des mouvements populistes.
On sait pourtant bien que cette approche ne contribue guère à diminuer les scores des partis concernés, et donc à réduire le risque qu’ils représentent. Mais elle apporte un certain confort : elle offre à ceux qui l’adoptent le sentiment d’être meilleurs – plus humanistes, plus cultivés, plus intelligents même – que les individus dont ils condamnent les choix politiques et idéologiques. Elle garantit également l’adhésion de quiconque partage le même rejet, ô combien légitime, des programmes d’extrême droite – terme désormais largement banni de la communication élaborée par ses représentants, en France du moins.
En filmant le quotidien, sur une période d’environ deux ans, d’un militant RN dans la région d’Amiens, Étienne Chaillou et Mathias Théry ne sont pas tombés dans cette posture certes tentante mais un peu facile et pas très constructive. S’il est évident que les deux réalisateurs ne partagent aucunement les idées véhiculées par le parti de Marine Le Pen, ou par celui qu’à créé, depuis, son ancien bras droit (Florian Philippot), ils se posent ici avant tout en observateurs, et montrent envers le jeune picard une forme de respect sans approuver, encore une fois, son parcours.
Celui-ci est à la fois unique et typique ; unique parce que chaque destinée l’est, dans l’absolu, et typique parce qu’on y retrouve des éléments également présents dans la biographie de plusieurs de ses « semblables ». Biographie que malgré certaines hésitations, Bastien Régnier affronte avec une certaine honnêteté ; et la manière dont il accepte l’intrusion, en quelques sortes, des deux documentaristes dans sa vie d’homme et de militant étonne, intrigue même, ce qui n’est pas l’un des moindres intérêt de La Cravate. Un autre point intéressant est l’aspect social du documentaire : il paraît de plus en plus clair, au fil du récit, que la relative modestie du milieu dont provient Bastien constitue un frein à son évolution au sein du RN – preuve que celui-ci snobe ouvertement ceux qu’il prétend défendre.
Outre la retenue et la distance dont témoignent les auteurs, ce qui fait en partie la valeur du documentaire est sa valeur littéraire : le film est en effet accompagné d’une voix off lisant un texte habilement et sobrement rédigé, texte que commente d’ailleurs, par moment, le principal intéressé. La qualité de ce texte fait d’ailleurs qu’il pourrait être lu, et apprécié, indépendamment des images qui l’illustrent même si bien entendu, celles-ci apportent beaucoup à bien des égards.
Comme le confiaient récemment les deux réalisateurs dans le cadre de la promotion du film, un documentaire se doit avant tout de proposer un récit de qualité, au même titre qu’un film de fiction. Celui de La Cravate est impeccablement construit, et réserve même son lot de surprises, de surprises éclairantes d’ailleurs, tandis qu’il laisse au spectateur le soin de se faire sa propre idée de l’ensemble, en l’invitant davantage à comprendre qu’à condamner. Même si cette compréhension ne peut pas être totale, elle nous rapproche sans doute davantage d’une solution au problème que représente la montée du populisme en Europe (et ailleurs) que le simple fait d’en pointer du doigt les différents acteurs.
La Cravate propose un récit qui, parallèlement à ses qualités littéraires, parvient à être critique sans être hautain, compréhensif sans être complaisant. Si on rit parfois des grosses ficelles politiques tendues par le RN, le film cherche plutôt à provoquer une forme d'empathie non pas à l’égard des grands pontes du parti, mais de ceux dont ils utilisent l'énergie et les frustrations à des fins électorales.
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