Film d’Adrian Sitaru
Année de sortie : 2016
Pays : Roumanie
Scénario : Adrian Silisteanu, Claudia Silisteanu
Photographie : Adrian Silisteanu
Montage : Mircea Olteanu
Avec : Tudor Istodor, Mehdi Nebbou, Nicolas Wanczycki, Diana Spatarescu, Anca Hanu
Fixeur est un road-movie initiatique particulièrement sobre, précis et intelligent.
Synopsis du film
Radu (Tudor Istodor) est un journaliste roumain qui aimerait bien grimper dans la profession. Pour l’heure, il est essentiellement pigiste, et remplit ponctuellement le rôle de fixeur – en gros, celui qui fait en sorte qu’un reportage de terrain se passe bien.
Il tente d’insuffler son sens de l’ambition à son jeune fils, qui pratique la natation ; mais son insistance semble peser sur les épaules du garçon.
Un fait divers sordide fait entrevoir à Radu une opportunité pour sa carrière naissante. Il implique deux adolescentes mineures embrigadées dans un réseau de prostitution, et qui viennent d’être ramenées de Paris par la police. Radu négocie, passe des coups de fil, active son réseau, et contacte Axel (Mehdi Nebbou), un ami journaliste. En compagnie de ce dernier et de Serge (Nicolas Wanczycki), un cameraman, il part en voiture dans la région d’où l’une des jeunes victimes, Anca (Diana Spatarescu), est originaire.
Leur objectif : obtenir une interview, coûte que coûte…
Critique de Fixeur
Adopter la bonne distance – c’est sans doute l’une des clés quand on aborde un sujet quelconque au cinéma, notamment quand on souhaite développer un regard critique. Soit le réalisateur prend le parti d’exprimer de façon quasi explicite son opinion sur ce qu’il filme, soit il montre, et laisse le spectateur le soin de se bâtir la sienne propre, avec plus ou moins de conviction et d’affirmation. En général (il n’y a pas de règle absolue dans l’art), le second choix donne lieu à des films plus intéressants : une œuvre d’art n’est pas un éditorial ou un billet d’humeur.

Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi ces termes issus de la presse : Fixeur, le film qui nous intéresse ici, s’intéresse de près aux médias et à certaines méthodes pratiquées dans le journalisme de terrain. Le cinéaste roumain Adrian Sitaru, qui a fait ses armes notamment en assistant Costa Gavras sur la réalisation d’Amen (plutôt une bonne école !), met en effet en scène un aspirant journaliste qui travaille comme fixeur dans l’espoir d’occuper, plus tard, un poste de reporter.

Le fixeur, c’est celui qui accompagne et guide les journalistes dans un pays où ces derniers pourraient connaître des difficultés diverses (communication ; sécurité…) s’ils ne bénéficiaient pas d’un appui local. La caméra de Sitaru suit donc trois hommes (le fixeur et deux reporters) sur des petites routes de la campagne roumaine ; trois hommes en quête d’un étrange « graal » : l’interview filmée d’une adolescente roumaine victime des réseaux de prostitution.

Parmi les deux approches citées en exergue, Sitaru a choisi la seconde : pas un instant, le film donne l’impression de marteler un point de vue, de juger de façon trop évidente, trop articulée, ce qu’il nous donne à voir. La caméra est discrète, pudique, en retrait. L’écriture observe la même tenue : rien n’est surligné, écrit en gras (rendons hommage ici aux scénaristes Adrian Silisteanu, également directeur photo, et Claudia Silisteanu). De bout en bout, Fixeur observe une sobriété qui permet de mieux se concentrer sur l’essentiel : le récit (un récit initiatique, en l’occurrence). La principale chose que devrait servir, sans réserves, un cinéaste digne de ce nom, du moins en ce qui concerne les œuvres narratives (le film d’art n’obéit pas forcément à cette même exigence).

Il eût été facile, tentant, pour un cinéaste plus grossier, de choisir une démarche plus engagée, moins fine ; de taper plus ouvertement sur les médias et leurs représentants, comme il est de bon ton de le faire en ce moment. Entendons-nous bien : Fixeur montre des procédés plus que discutables, mais Sitaru n’est pas un procureur. Il n’est pas là pour juger toute une profession, ni même les hommes qui l’exercent. Il ne se place pas au-dessus de ses personnages : on n’est pas chez Ruben Östlund, qui se croit tellement plus malin que les siens.

Fixeur ne flatte pas notre propension à condamner, à montrer du doigt, à rire bêtement des autres. Il préfère interroger, troubler, questionner l’intelligence du spectateur, et non flatter cette dernière. On ne sort pas de Fixeur avec un jugement définitif sur les médias et les journalistes en général ; ou du moins, ce n’est pas vers ce constat que souhaite nous orienter ce brillant cinéaste.

Sans doute cherche-t-il davantage à provoquer un questionnement à la fois plus intime et plus vaste ; car au fond, il est bien aisé de condamner les journalistes, quand ce sont les goûts du public qui dictent en grande partie leur façon de travailler. Fixeur est en quelques sortes le miroir d’une société, dans laquelle chacun a sa responsabilité propre. D’ailleurs, le parcours du protagoniste illustre la façon dont l’ambition, le désir de réussite sociale peut brouiller nos repères, notre sens moral et notre rapport aux autres, et ce dans bien des contextes.

C’est un constat banal dans l’absolu, mais au cinéma comme en littérature, il ne s’agit pas de dire quelque chose de radicalement nouveau à chaque fois : tout est dans la façon de le dire et de l’intégrer à un récit cohérent et structuré. Celui de Fixeur ne souffre d’aucune approximation, au même titre que la mise en scène. Il n’y a pas un plan de trop, un dialogue superflu, un acteur qui surjoue (les comédiens roumains et français sont tous excellents). Tout est millimétré, jusqu’à une dernière image symbolique, simple et limpide, qui résume à peu près tout. De toute évidence, voici l’œuvre d’un auteur précieux.
Bande-annonce
Fixeur est une œuvre initiatique subtile, qui soulève des questions morales essentielles sans jamais se poser en donneur de leçons, et sans juger ses personnages de but en blanc. Epuré, réaliste, sobre et admirablement bien mené, le film bénéficie en outre d'une interprétation de premier ordre. On citera notamment celles de Tudor Istodor, de Mehdi Nebbou (excellent en journaliste tête à claque, à la fois méprisable par moments mais jamais caricatural), d'Anca Hanu en mère déboussolée et de la jeune Diana Spatarescu.
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