Film de Rasmus Kloster Bro
Année de sortie : 2018
Pays : Danemark
Titre original : Cutterhead
Scénario : Rasmus Kloster Bro, Mikkel Bak Sørensen
Photographie : Martin Munch
Musique : Søs Gunver Ryberg
Avec : Christine Sønderris, Kresimir Mikic, Samson Semere
Pour son premier long métrage, le réalisateur et scénariste danois Rasmus Kloster Bro signe un film catastrophe claustrophobique d’une grande efficacité, servi notamment par une bande son remarquable.
Synopsis du film
La journaliste Rie (Christine Sønderris) visite un tunnelier utilisé pour construire le métro de Copenhague. Elle souhaite réaliser des portraits d’ouvriers travaillant sur le chantier.
Elle vient de faire la rencontre de deux d’entre eux, Ivo (Kresimir Mikic) et Bahran (Samson Semere), quand une alarme se met à sonner, pour une raison encore inconnue…
Critique de Exit (Cutterhead)
Le film catastrophe est un genre particulièrement prisé des américains ; en France par exemple, on s’aventure plutôt rarement sur ce terrain. Outre Atlantique, il fournit souvent l’occasion de mettre en scène des élans d’héroïsme et d’humanisme, au cours desquels les personnages n’hésitent pas à braver les pires dangers pour aider leur prochain, voire l’humanité toute entière. Exit propose une approche tout à fait différente, et autrement plus réaliste, du genre.
Le film nous montre en effet que lorsqu’il est confronté à une menace de mort particulièrement concrète et imminente, l’être humain peut se comporter de manière égoïste, et se concentrer avant tout sur sa propre survie. Il peut aussi devenir violent, irrationnel, etc.
Si les réactions des personnages du film de Rasmus Kloster Bro sonnent aussi justes, c’est parce qu’elles reflètent (en partie) cette réalité (peu reluisante certes, mais qu’on se gardera bien de juger) sans pour autant verser dans l’outrance : il ne s’agit pas d’inverser bêtement les codes et les stéréotypes, plutôt d’imaginer comment pourraient réagir des individus ordinaires se retrouvant dans la situation décrite, avec soin, par le film. On obtient ainsi une alternance plutôt crédible de solidarité, d’empathie, de self-control, de panique et de chacun pour soi ; autant de phases par lesquelles passe, dans le désordre, chacun des personnages.
Le souci de réalisme ne concerne pas que la caractérisation et les comportements des protagonistes ; il s’applique tout autant à la restitution de l’environnement. On sent que Rasmus Kloster Bro a passé du temps avec des techniciens qui travaillent dans le métro de Copenhague (ce qu’il a confirmé en interview), voire qu’il a fait valider certains points du scénario par des spécialistes. Ce sens du détail contribue bien évidemment au caractère immersif du film – au même titre que la réalisation, que le sens du rythme, que la bande son (très travaillée), que le jeu convaincant des comédiens et que le décor étriqué au sein duquel ceux-ci évoluent.
Combinées, ces qualités techniques et artistiques font que l’on éprouve, au fil des séquences, un sentiment d’oppression tel qu’on déconseillera la vision d’Exit (en particulier au cinéma) à toute personne souffrant de claustrophobie : l’expérience pourrait s’avérer franchement pénible. (Le port – optionnel pendant la séance – du masque en ces temps de pandémie exacerbant peut-être cette sensation !)
Exit fait donc partie de ces films qui procurent une expérience physique. Ce ne sont pas forcément ceux qui vous marquent le plus sur le long terme, mais leur vision, sur le moment, est particulièrement intense. Par ailleurs, le film comporte une dimension politique qui lui donne un relief supplémentaire certes modeste, mais appréciable.
C’est flagrant dès le début du film, qui oppose la vision pro-européenne et très idéalisée de la journaliste Rie (excellente Christine Sønderris) à une réalité beaucoup plus dure et injuste. Lors d’interviews totalement orientées avec les ouvriers du métro, la jeune femme cherche à faire du story-telling en évoquant un grand et beau projet européen, alors que le chantier emploie des travailleurs étrangers et des réfugiés dans des conditions difficiles, pour un salaire qu’on devine des plus modestes. C’est le reflet de ce que Rasmus Kloster Bro a constaté lui-même sur le terrain pour préparer son film et dès lors, il lui a paru impossible, difficile en tout cas, de renier tout angle politique.
Cet aspect du scénario est intéressant même si Exit demeure avant tout un film à sensations : on sort de la salle fatigué, remué, tout en sachant que le film ne nous restera pas très longtemps en tête, sa matière étant somme toute assez limitée. Mais ce n’est pas une raison pour se priver d’un spectacle aussi haletant, ni pour ne pas suivre les prochains réalisations de Rasmus Kloster Bro, dont le savoir-faire en tant que metteur en scène est indéniable.
Exit est un film catastrophe qui se démarque de nombreuses autres productions du genre par le réalisme et la sobriété avec lequel il rend compte d'un environnement et de réactions humaines. Il porte également un regard critique sur la condition des travailleurs immigrés dans les pays de l'UE, qui sans être développé outre mesure, donne toutefois à l'épreuve subie par les personnages un arrière goût plus amer encore. Pas inoubliable certes, mais diablement efficace. Le film a d'ailleurs obtenu l’Octopus d’or et le Prix du public lors de sa projection à l'édition 2018 du Festival européen du film fantastique de Strasbourg.
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