Film de Nacho Vigalondo
Année de sortie : 2017
Pays : Canada, Espagne
Scénario : Nacho Vigalondo
Photographie : Eric Kress
Montage : Ben Baudhuin, Luke Doolan
Musique : Bear McCreary
Avec : Anne Hathaway, Jason Sudeikis, Dan Stevens, Austin Stowell, Tim Blake Nelson
Gloria: Do you wanna hear an amazing story?
Avec Colossal, Nacho Vigalondo utilise les codes du Kaijū movie pour mieux prendre à contrepied, comme souvent chez le réalisateur d’Extraterrestre, les attentes associées au genre. Le résultat est rafraîchissant, sensible et intelligent.
Synopsis du film
De nos jours, à New York. Gloria (Anne Hathaway), une trentenaire au chômage, se fait plaquer par son petit ami Tim (Dan Stevens) au retour d’une énième nuit blanche alcoolisée. Sans domicile, Gloria est contrainte de retourner dans la maison de son enfance, située dans une petite ville américaine.
À cette occasion, elle croise un ami d’enfance, Oscar (Jason Sudeikis), qui vit toujours dans le quartier. Oscar s’occupe d’un bar local, dans lequel il propose à Gloria de travailler à mi-temps.
Le lendemain d’une soirée arrosée passée en compagnie d’Oscar et de deux de ses amis, Joel (Austin Stowell) et Garth (Tim Blake Nelson), Gloria découvre avec horreur qu’un monstre gigantesque sème la panique à Séoul.
Plus étrange encore, elle remarque des analogies troublantes entre les mouvements de la créature et les siens…
Critique de Colossal
Sorti directement en e-Cinéma le 27 juillet 2017, Colossal n’aura pas eu la chance, comme les trois précédents longs métrages du réalisateur espagnol Nacho Vigalondo, d’être distribué dans les salles de cinéma françaises. Il n’y a pas besoin d’aller chercher très loin les raisons de cette mise à l’écart : les distributeurs détestent, entre autres, les films qu’on ne peut pas appréhender, catégoriser, et donc vendre facilement. Extraterrestre (2011), du même auteur, faisait de prime abord songer à un film de science-fiction, mais s’avérait finalement être essentiellement une comédie romantique singulière, dans laquelle l’invasion des petits hommes verts (invisibles pendant toute la durée du métrage) était en quelques sortes la métaphore du sentiment amoureux naissant entre les deux protagonistes.
Après un Open Windows (2013) trop épuisant visuellement pour convaincre, Colossal adopte une approche similaire à celle d’Extraterrestre, dont il est une sorte de pendant plus sombre (bien qu’il comporte également beaucoup d’humour, dans sa première partie notamment). Et il est tout aussi difficile, voire davantage, de l’associer à un genre cinématographique précis, puisque le film emprunte à la comédie (romantique), au drame et à la science-fiction – plus précisément aux Kaijū movies.
Ce terme (Kaijū) désigne un genre cinématographique japonais mettant en scène des monstres colossaux ; genre qui s’est largement exporté depuis le Godzilla made in Japan sorti en 1954, avec des films comme Cloverfield (2008) ou plus récemment Pacific Rim (2013).
Seulement voilà, si ce ce type de films est plutôt vendeur à la base, Nacho Vigalondo l’aborde ici d’une manière si personnelle et atypique qu’il y avait de quoi dérouter aussi bien les distributeurs que le grand public – et c’est d’ailleurs ce qui s’est visiblement produit, malgré la présence de la célèbre (et talentueuse) Anne Hathaway au générique.
La bonne idée de Colossal (et aussi celle qui explique en partie la perplexité qu’il suscite) est d’utiliser la figure du Kaijū pour parler avant tout de la relation entre un homme et une femme ; relation abusive qui trouve, dans le combat opposant un monstre à un robot géant en plein cœur de Séoul, la représentation symbolique de son caractère violent et tourmenté.
D’ordinaire, les monstres géants qui hantent les Kaijū movies ont une signification différente (quand ils en ont une). Godzilla, par exemple, illustre les ravages du nucléaire. Ici, ils représentent une violence intime – domestique, pourrait-on dire, pour reprendre les propres mots de l’auteur de Colossal : Domestic violence in Spain is a thing, believe me
(La violence domestique en Espagne, c’est quelque chose, croyez-moi
). Pas qu’en Espagne d’ailleurs, et si l’on cumulait les statistiques relatives à ce problème dans le monde entier, on réaliserait vite que la métaphore de Colossal est tout sauf démesurée.
Il y a donc dans ce film léger au début, puis de plus en plus grave, une dimension féministe d’autant plus claire que Gloria est coincée entre deux hommes qui veulent la posséder, la contrôler (même si l’un des deux est nettement plus recommandable que l’autre). Et si ce propos, indépendamment de sa légitimité, interpelle et convainc autant, c’est grâce à la manière originale dont Nacho Vigalondo l’articule, ainsi qu’à la prestation (et au charme) d’Anne Hathaway, qui compose un personnage féminin drôle, attachant et consistant.
Par ailleurs, Colossal, en illustrant à sa façon les répercussions et impacts de nos actes sur les autres, s’interroge aussi sur la responsabilité de chacun au sein de la société et, par extension, de la planète. Une réussite.
Bande-annonce de Colossal
Avec Colossal, Nacho Vigalondo démontre une nouvelle fois, après Timecrimes et surtout Extraterrestre, qu'il aborde le cinéma de genre d'une manière toute personnelle, à la fois métaphorique et divertissante. Pour cette raison, Colossal méritait largement une sortie cinéma, bien davantage que de nombreux films ineptes ayant déferlé dans les salles obscures cet été. Cerise sur la gâteau : une bande originale de qualité qui comporte, entre autres, l'excellent Shake Sugaree d'Elizabeth Cotten (chanté par Brenda Evans).
Un commentaire
Un film plus intelligent que son pitch ne pourrait le faire croire, le tout avec de vrais personnages bien interprétés. On est loin de la morale balourde assénée entre deux coups de tatane par un héro en costume poutre apparente. Le plus gros défaut de ce film est sans doute de n’appartenir à aucun genre en particulier dans un univers cinématographique de plus en plus cloisonné.